ATK : l’heure du grand retour a sonné pour le mythique collectif de rap français

ATK : l’heure du grand retour a sonné pour le mythique collectif de rap français

Image :

Clip ATK “Comme On A Dit”

photo de profil

Par Jérémie Léger

Publié le

Vingt ans après la sortie de son classique Heptagone, le collectif de rap français ATK revient avec un nouvel album : On fait comme on a dit.

À voir aussi sur Konbini

Extrait noir et blanc du clip on fais comme on dis, du collectif ATK.

Extrait du clip de “Comme on a dit”.

Il y a des noms dont la simple évocation fait remonter de vieux et merveilleux souvenirs. Énoncez les trois lettres d’ATK ou son gimmick “Avoue que tu kiffes” à un amoureux de rap français de la grande époque, et vous le ferez immédiatement frissonner.

C’est en 1998, une année historique pour le hip-hop français, que ce mythique collectif parisien sort de l’ombre avec l’album Heptagone. “Heptagone”, car le crew, qui comprenait initialement 25 membres, va réduire ses rangs à ses sept piliers : Cyanure, Test, Freko Ding, Antilop Sa, Axis, DJ Tacteel et le regretté Freddy K, décédé le 6 novembre 2007 après un accident de moto.

Les années sont passées, et après une période de doutes, le crew a repris du poil de la bête. Au point même qu’il a décidé de revenir sur le devant de la scène avec un nouvel album au titre prophétique, On fait comme on a dit. Amorcé par une performance live lors du dernier Demi Festival, ce projet de 18 titres résonne comme un véritable nouveau départ pour ces frères de son.

Mais qui dit nouveau départ dit aussi la fin d’une époque. Sans doute est-ce pour cela que les gars d’ATK ont aussi choisi la date de la sortie de leur nouvel opus pour fêter les vingt ans de leur album Heptagone. Un anniversaire en bonne et due forme, porté par deux concerts événements au New Morning, à Paris.

Peu avant le jour J, on s’est posé avec Cyanure, Test, et Antilop Sa, trois des membres fondateurs du groupe, pour une interview fleuve entre souvenirs nostalgiques et regards tournés vers l’avenir.

Konbini | Salut les gars ! Je voudrais revenir avec vous sur l’histoire du groupe. Tout a commencé au lycée ?

Cyanure | Il va falloir se rafraîchir la mémoire ! Je pense que chacun a sa propre histoire d’ATK. On s’est rencontrés dans le quartier, entre les terrains de basket et les lycées des uns et des autres. Dans mon lycée, il y avait Pit Baccardi. Kesdo et Axis, je les ai rencontrés sur le terrain de basket de Paul Valéry.

En termes de musique, on a eu la chance avec Kesdo et Axis d’accéder à un studio. Financièrement, cela valait l’équivalent de 1 000 euros aujourd’hui. On a pu commencer à faire des petits sons, on a fait un concert pour la “Fête de la jeunesse”, qui n’existe plus. On s’est dit que ce serait l’occasion de fédérer tous les gens qui rappaient un peu pour partager le moment.

Test | Si ma mémoire est bonne, on se connaissait déjà tous effectivement. On habitait dans le même quartier, donc on se voyait au bahut. Je me souviens qu’ATK faisait passer un casting aux mecs du quartier pour savoir qui avait le potentiel pour rapper. Je l’ai passé deux fois. Je me suis fait recaler deux fois, mais au bout de la troisième c’est passé.

Quelles étaient les conditions pour rejoindre ATK ?

Cyanure | Les conditions pour entrer, c’était de faire un texte.

Test | Et il fallait qu’il soit bon ! Je me suis fait recaler deux fois, alors que c’est mon cousin qui créait le truc [rires] ! Ça s’est passé sur plusieurs mois. Il y a même une version du freestyle sur lequel j’avais posé qui est passé en radio, vous avez enlevé ma partie et je n’étais même pas au courant. J’ai appelé Kesdo et il m’a dit : “Ouais on t’a zappé, t’es nul !” Mais j’ai continué.

ATK, c’est l’histoire de 25 gars qui marchent ensemble…

Test | On était trop nombreux : parmi les 25, certains ne se connaissaient même pas. C’était difficile à gérer, mais à un moment, on a dû faire un choix. Les gens ont dû faire des choix. Tout le monde est parti, à part quelques irréductibles. Il y avait Cyan, le capitaine, Axis, le fils de l’empereur, Antilop Sa, FK, que Dieu ait son âme, Frecko et moi.

Cyanure | Ce choix s’est fait par dépit. On a entendu des anciens du collectif dire : “ATK, c’est mort.” Il y en a aussi 4 ou 5 qui sont allés chez Time Bomb, Pit Baccardi, les Jedis… Certains étaient en dilettante, d’autres étaient découragés, d’autres encore sont partis en solo, comme Matt Houston. Nous qui sommes restés, on a gardé notre nom. Il y a un truc un peu revanchard dans la démarche.

Cette revanche, c’est votre album Micro Test.

ATK | Carrément. À cette époque, quand Micro Test est sorti en 1996, le premier maxi de Time Bomb n’était pas encore sorti. Ceux qui sont partis sont allés avec des grands, et nous, on était tout seuls. Ils étaient les petits des grands, nous on était nos propres grands. On se représentait nous-mêmes.

Ce ralliement de certains à Time Bomb a joué sur votre motivation ?

Cyanure | Au contraire, ça m’a motivé. C’était un peu tendu au début, mais ça nous a donné la rage de sortir un vinyle. Axis m’avait dit : “C’est marrant, toi qui n’es jamais prêt à temps pour faire des trucs, là t’es prêt à le sortir.” C’est parce que je voyais les autres qui étaient allés soi-disant dans une meilleure école, mais je pense qu’on a fait notre truc comme il faut. Chacun a fait ses choix.

Où en sont vos relations avec les quatorze autres qui sont partis aujourd’hui ?

Test | On s’est recroisés. Il n’y a pas d’animosité, en tout cas pas de ma part. Dans la vie, on fait des choix, on prend des décisions. Je n’en veux à personne, même si à un moment c’était tendu sans que l’on sache pourquoi. Il y a une forme de rivalité qui s’est instaurée malgré nous, parce qu’à la base ce sont nos amis. La musique a fait qu’on est devenus rivaux.

Il y a un côté compétition qui est propre au rap, mais il y a aussi le fait que vous ayez considéré ça comme un coup dans le dos, non ?

Test | On ne va pas se mentir, à l’époque je l’ai mal vécu. J’ai pris ça comme une trahison. Il y avait du dédain de la part d’une équipe qui avait décidé de changer de camp. Ils disaient de nous “c’est nul”, alors qu’ils faisaient partie du groupe. Mais on n’en veut à personne. Il n’y a pas d’animosité. On a recroisé tout le monde, notamment à l’enterrement de Freddy K. La page est tournée.

Cyanure| On l’a pris comme une trahison de la part de ceux qui sont partis du côté de Time Bomb. Ils ont oublié d’où ils venaient. Les autres ont toujours représenté fièrement les couleurs d’ATK. Des mecs comme Boramy, Odji ou Loko ont toujours supporté le collectif. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier.

Après ce coup dur, qu’est-ce qui vous a motivé à continuer ?

Test | L’amour de la musique déjà, et l’amitié. On s’est naturellement soudés encore plus avec ceux qui sont restés.

Comment ça se passe aujourd’hui ? Vous vous voyez moins souvent qu’avant, je présume.

Cyanure | C’est plus compliqué, c’est vrai. Avant, le rap, c’était 100 % de notre vie, aujourd’hui c’est devenu anecdotique pour certains. Ce qui est plus compliqué, c’est la distance géographique. Axis habite à Annecy, Frecko n’est pas forcément sur Paris… On a nos vies, nos tafs, nos enfants, nos galères. On a des vies d’adultes, donc on traîne forcément moins ensemble qu’au lycée.

En 1998, lors de la sortie d’Heptagone, comment vous vous situiez parmi les grosses sorties de cette année-là ?

Cyanure | J’avais l’ambition de vendre 2 000 albums, et dans ma tête je me disais que si on arrivait à 5 000, ce serait génial. Les trois premiers mois, on en a vendu 12 000. À côté des grosses machines qui sortaient, on était petits. Il y a la FF, IAM, le Secteur A, Arsenik, Oxmo, Time Bomb, Ideal J… et puis il y a ATK. On était très étonnés que les gens accrochent au truc.

Après, il y a eu des parenthèses solo pour certains et pas mal de mixtapes, dont les “Oxygène O2”, mais aussi le projet Silence Radio, le tout sous l’impulsion de Freddy K…

Test | À la période Oxygène, on s’est un peu dispersés parce que chacun avait sa vie. Antilop et Frecko faisaient leur projet solo, Cyan bossait dans une maison de disques et Axis travaillait en dehors de la musique. Freddy était vraiment resté dans la musique parce qu’il avait réussi à construire son studio.

Tous les jours, il disait : “On est forts, on est ATK, on devrait sortir un truc tous les six mois !” On lui répondait : “Non mais t’es mignon Freddy….” Il a répliqué : “Vous ne voulez pas le faire ? Ok, moi je vais faire un truc ! Ça va s’appeler Oxygène et je vais y mettre tous nos trucs qui sont jamais sortis !” C’est parti comme ça.

Antilop Sa [qui nous a rejoints] | FK aurait pu devenir directeur artistique. Il avait le truc, l’entrain qu’il fallait. Ça nous a fait du bien d’avoir Oxygène, même si moi, à cette époque, j’étais avec un autre label pour préparer mon premier solo. Ces projets ne seraient pas sortis sans lui. Il avait le mental, le nez pour flairer, comme un directeur artistique.

Cyanure | Quand il avait sorti le tout sur cassette, au début, j’étais dubitatif. Avec le recul, il a fait un truc de ouf. Tout ça, il l’a fait lui, mais au nom du groupe. Il avait cette force du groupe avant tout.

À sa mort, vous avez voulu tourner la page ATK ?

Cyanure | Il était un moteur évident. On avait chacun nos vies et sa disparition nous a mis un coup. J’ai longtemps été réticent à un retour d’ATK, mais j’ai toujours été le plus motivé sur la longueur. Ma réticence est due à mon tempérament de toujours prêcher le pire pour être content si jamais quelque chose arrive. Quand je disais qu’il n’y aurait pas de retour, je le disais avec beaucoup d’amertume.

Antilop Sa | Chacun devait faire son deuil et rebondir à sa façon. C’est pour ça qu’on est là aujourd’hui. On a eu une période d’introspection depuis sa mort, c’est sûr.

À lire aussi -> ATK est de retour : “Notre nouvel album, c’est de l’artisanat”

Il y a quelques mois, vous nous disiez que votre envie de revenir est due au morceau “Drapeau Blanc” avec Ul’team Atom…

Cyanure | J’ai toujours eu envie de refaire un album et de remotiver tout le monde. Quand Ul’Team m’a invité au studio pour poser sur “Drapeau Blanc”, j’ai vu Test arriver, puis Antilop la semaine d’après. On a eu une discussion et ça nous a donné l’impulsion de faire l’album. Test, Antilop, Axis, Freko et moi avions deux solos chacun, ça faisait dix morceaux.

Il ne nous restait plus qu’à se poser en studio un week-end pour faire quelques sons en groupe et plier un album. On est partis de cette idée, et c’est vraiment Ul’team Atom qui nous ont donné l’impulsion. Ils nous ont lancés dans un truc qu’on n’arrivait pas à faire jusqu’à présent : réunir le groupe.

Antilop Sa | Ul’team Atom, si je disais que ce sont des petits frères du rap, ce serait réducteur. Ils ont toujours été là. C’est eux qui ont rallumé la flamme ATK. De manière totalement désintéressée, juste dans une volonté de voir des MC’s qui ont du rap à revendre se retrouver autour du mic. Et pour ça, on leur sera toujours indéfiniment reconnaissants.

Sachant que Freddy n’était plus là pour chapeauter tout le monde, quel rôle chacun a eu dans la conception de cet album ?

Cyanure | Il y a un véritable équilibre sur cet album. Antilop a eu un rôle de locomotive, il a choisi énormément de thèmes et d’instrus. Après, tout le monde est monté progressivement dans les wagons et a apporté de nouveaux éléments à la base qu’est devenu l’album. Chacun était dans son rôle, mais tout s’est fait collectivement.

Antilop Sa | On a eu une politique du cyclisme. C’est-à-dire que quand Cyan avait un truc à faire dans la vie, quel qu’il soit, il y avait un relais entre nous. L’énergie que Freddy a réussi à rassembler de son vivant, on l’a fédérée. On se combine avec Cyan et on a fusionné comme dans DBZ pour lancer la machine.

La première fois que vous vous êtes réunis pour l’album, c’est en décembre. Qu’est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ? Vous aviez peur ?

Antilop Sa | Oui, forcément. Ce n’est pas anodin de se lancer dans un tel projet. Il y avait beaucoup de choses à paramétrer, des réponses à trouver : pourquoi enregistrer, avec qui le faire, pourquoi le faire ? Composer des morceaux, voir Cyan tous les week-ends, c’était un plaisir. On était en home studio. On s’est retrouvés dans la convivialité, avec cette énergie héritée de Freddy.

3 des membres d'ATK réuni dans leur studio, en plein enregistrement.

(© Sarah Meunier/Linsolente Prod)

L’alchimie entre vous était-elle intacte au retour en studio ?

Cyanure | C’était compliqué de tous se rencontrer, mais tout s’est déroulé sans problème. En regardant le résultat, on se dit que c’est au-delà de nos espérances. Il y a 18 morceaux, et tout le monde est présent. Bien sûr, certains rappent plus que d’autres, mais dans l’ensemble, c’est un album d’ATK qui ressemble à du ATK.

On a l’impression que vous avez toujours la fougue des vingt ans !

Cyanure | C’est clair que personne ne démérite sur l’album, personne n’est has been. Être entre le truc has been et le truc trop jeune qui ne nous ressemblerait pas, ce n’était pas évident, mais on a réussi à trouver un compromis.

Affiche du concert des 20 ans du groupe ATK, au Heptagone New Morning, affichant complet.

Qu’est-ce que vous nous réservez pour le 14 décembre ?

Cyanure | C’est le concert des 20 ans d’Heptagone et non celui du nouvel album, il faut le dire. Ça va être un grand moment de hip-hop. C’est le premier concert parisien du millénaire d’ATK dans sa formule actuelle. Nouvelle formule, nouvel arôme. On a le temps de défendre l’album. Là, les gens ont envie d’écouter des morceaux qu’ils connaissent, ils n’ont pas envie d’être égarés.

Dans “Comme on a dit”, Axis rappe : “On a effleuré le succès sans jamais toucher le jackpot.” C’est quelque chose que vous regrettez aujourd’hui ? Un déficit de reconnaissance envers le groupe ?

Cyanure | La reconnaissance est là, mais il nous manquait ce petit truc pour décoller. Tous les groupes qui ont décollé étaient de la même époque que nous. Il y a des gens qui nous disent qu’ils ne comprennent pas qu’on n’aient pas été plus exposés. On n’a pas pas fait ce qu’il fallait à l’époque.

Je suis fier d’Heptagone et avec le recul, peut-être que si ça avait été bastonné à la radio, on serait sans doute passés pour des rappeurs “commerciaux”. Ça nous aurait peut-être rempli le frigo, mais je pense que les gens n’auraient pas eu cet œil bienveillant sur l’album.

Vous voyez ce nouvel album comme un nouveau départ ?

Cyanure | Il fallait qu’on fasse un nouvel album pour les 20 ans. C’était maintenant ou jamais. Ça a donné une certaine impulsion et je pense qu’on va reprendre le chemin des studios avec beaucoup plus d’aisance qu’avant. Je ne sais pas quelle sera la suite, peut-être un deuxième album d’ATK ? On est dans une vraie dynamique.

Vous avez toujours été un peu nostalgiques. Quel est votre meilleur souvenir concernant ATK ?

Cyanure | Il y en a plein ! J’en aurais des particuliers avec chaque membre du collectif, mais dans le groupe, je me souviens du concert à la “Fête de la jeunesse”, ce 20 mai 1995. Voir arriver tout le monde, chacun avait mis ses meilleures sapes et fait son truc. C’était une belle journée, très fédératrice.

Antilop Sa | La reformation d’ATK pour le Demi Festival avait un goût de cette fameuse journée. “Peace, Unity & Having Fun”, c’est le hip-hop et c’est ce qu’on a ressenti. Les deux concerts étaient fédérateurs, les gens se rassemblaient autour d’une passion commune avec le sourire. C’était agréable comme sensation. J’avais dit à Demi Portion qui j’avais l’impression d’être dans Retour vers le futur.

Vous parlez à Freddy dans cet album. Si vous aviez une chose à lui dire ici et maintenant, la veille de la sortie de votre album, quelle serait-elle ?

Cyanure | Ça dégage un peu d’émotion, j’étais pas prêt… C’est un peu attendu, mais je lui dirais : “On fait comme on a dit, et la pochette de l’album est un heptagone, pas un hexagone.” On n’a pas retiré un point ou un segment de la forme, Freddy est toujours avec nous.

Antilop Sa | Freddy a fait beaucoup de choses pour pas mal de personnes. À mes yeux, il aurait été cool que ces personnes s’expriment de manière ouverte sur ce que Freddy a fait pour elles, dans la musique ou en dehors. Ca aurait été une belle reconnaissance et une manière d’honorer sa mémoire d’artiste et d’être humain.

Qu’est-ce qu’on peut souhaiter à ATK pour l’avenir ?

Cyanure et Antilop Sa | Qu’on fasse comme on a dit, tout simplement.