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De Normal People à Aftersun, la mélancolie de Paul Mescal séduit le monde entier

De Normal People à Aftersun, la mélancolie de Paul Mescal séduit le monde entier

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Par Manon Marcillat

Publié le , modifié le

L’acteur vient d’être nommé à l’Oscar du Meilleur acteur pour son premier rôle principal au cinéma, à l’âge de 26 ans seulement.

Il y a trois ans, le monde confiné tombait amoureux de Paul Mescal lorsque la BBC puis Hulu diffusaient la série Normal People, sublime adaptation sérielle du roman éponyme de Sally Rooney. Dans ses pages, l’autrice irlandaise, véritable phénomène littéraire anglo-saxon, développe la relation d’amour et d’amitié complexe qui unit Connell et Marianne du lycée à l’âge adulte. À l’épreuve du temps et des différences de statut social, leurs rapports seront faits de moments de connexion intense mais aussi d’incompréhensions déchirantes.

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En douze épisodes seulement, l’acteur inconnu, son accent irlandais et son physique de statue grecque sont devenus l’idéal masculin fictionnel du moment. Si la partition de Marianne est écrite et filmée avec un soin égal et que son interprète, Daisy Edgar-Jones, en est à la hauteur, le manque de personnages masculins de cette finesse filmés dans leurs aspérités, leurs doutes, leurs faiblesses et leurs défauts a joué en la faveur de Paul Mescal.

#connellschain

Lycéen populaire et espoir de l’équipe de football, Connell est également lâche et n’assume pas tout de suite sa relation avec Marianne, considérée par ses camarades de classe comme une intello bourgeoise un peu weirdo. Puis c’est lui qui, l’année d’après, ne s’habitue pas au dépaysement de Trinity College, la fac élitiste où ils vont ensemble mener leurs études et où il gagne en maturité.

Il apprend alors à communiquer, avec sa mère d’abord, avec laquelle il entretient une très belle relation de confiance, puis avec Marianne et sa psy lorsqu’il tombe en dépression. La séquence de psychanalyse bouleversante où Connell se laisse aller à ses émotions constitue d’ailleurs un des climax émotionnels de la série.

Si leur relation rencontre au fil des années de nombreux obstacles, des moments de faiblesse et d’éloignement géographique, ou de nouveaux partenaires, Connell ne se défera jamais de sa douceur et de sa bienveillance envers Marianne et ne cessera pas de se préoccuper de son bien-être et de son consentement. C’est la raison principale pour laquelle on chérit Connell et son interprète : ils ont su prouver que masculinité positive et potentiel érotique peuvent faire très bon ménage (d’autres programmes, comme l’affligeant 365 Dni, ne l’ont pas compris).

Les scènes de sexe constituent une des réussites majeures de Normal People. Supervisées par la coordinatrice d’intimité de Sex Education Ita O’Brien, elles montrent du consentement explicite, des préservatifs et du réalisme, mais aussi et surtout beaucoup d’intensité et d’érotisme. Preuve qu’elles ont su émoustiller les spectateurs, la célèbre chaîne en argent de Connell, souvent filmée en plan serré lors des nombreux moments d’échanges charnels, est devenue un phénomène sur Internet, a nourri de nombreux threads Twitter et a même un compte Instagram à sa gloire, connellschain.

Baignade avec Paul Mescal

Propulsé de l’anonymat à la gloire en douze petits épisodes, Paul Mescal a désormais cette image d’homme idéal qui lui colle à la peau, mais dont il s’est empressé de se défaire. Si son premier rôle dans un long-métrage aura été dans The Lost Daughter de Maggie Gyllenhaal, où il incarne un sympathique plagiste au service d’Olivia Colman, on a depuis retrouvé l’acteur dans des rôles opposés à celui de Connell.

On l’a vu dans le drame (déjà oublié) God’s Creatures des jeunes réalisatrices Anna Rose Holmer et Saela Davis, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, dans lequel il incarne un fils chéri de retour dans le petit port de pêche irlandais où il a grandi après des années d’exil en Australie. Aux yeux de sa mère, incarnée par Emily Watson, impériale, c’est lui la créature de Dieu du titre, et quand il sera accusé de viol, elle s’enfoncera dans le déni.

Le film, malgré une très belle photographie au service de ce récit suffocant, est assez peu convaincant et peu subtil dans sa dénonciation de la loi du silence. Mais c’est le premier script que l’acteur a reçu après Normal People et les réalisatrices ont su capter chez lui quelque chose d’ambivalent et lui offrir ce rôle à contre-emploi pour nous rappeler que Paul Mescal n’est pas Connell Waldron (bien que la tentation de transfert soit grande).

On l’a ensuite retrouvé dans Aftersun, premier film et coup de maître de la jeune réalisatrice écossaise Charlotte Wells, qui séduit tout le monde depuis ses premières projections confidentielles à la Semaine de la critique à Cannes. C’est cette fois-ci sur les côtes turques à la fin des années 1990, aux abords de la piscine d’un hôtel à petit budget, que l’on retrouve l’acteur dans le rôle d’un père divorcé en vacances avec Sophie, sa fille de 11 ans.

Aftersun est un coming-of-age movie, sombre et solaire à la fois, qui prend des airs de chronique estivale. Piscine, plongée, glaces et karaoké, les vacances de Sophie et Calum semblent douces et placées sous le signe d’un amour père/fille sincère. Le récit de leurs vacances est entrecoupé des images qu’ils ont filmées tour à tour avec le petit caméscope familial et qui rappellent à Sophie, désormais adulte et à son tour mère de famille, ce père adoré mais insaisissable.

Par petites touches presque imperceptibles, Charlotte Wells dessine, en filigrane de ses souvenirs d’été, un portrait plus sombre de ce père ambivalent mais entièrement dévoué à sa fille. En un crachat à son reflet dans le miroir, une crise de larmes ou un mot d’excuse à sa fille, on devine un mal-être qui nimbe le récit d’une mélancolie qui nous noie dans des pleurs. Sous la caméra de la réalisatrice qui a su capter, avec une rare délicatesse, un moment de tragique bascule, mélancolie et ambivalence parviennent à pénétrer ce physique de statue grecque.

D’une photo de vacances oubliée est né Aftersun, le plus beau film de l’année

Cette performance en père aimant mais imparfait a fait mouche et a ouvert à Paul Mescal la porte des Oscars. Nommé dans la catégorie Meilleur acteur aux côtés d’Austin Butler, Colin Farrell, Brendan Fraser et Bill Nighy, et coiffant au poteau Tom Cruise qu’on annonçait pourtant favori, il pourrait, en mars prochain, remporter la statuette pour son premier rôle principal au cinéma, à l’âge de 26 ans seulement.

Cette année également, Ridley Scott lui a offert de prendre la relève de Russell Crowe dans la suite de Gladiator, où il incarnera Lucius, le fils de Lucilla, petit-fils de l’empereur Marc Aurèle et neveu de Commode. “Si jamais Ridley Scott en a marre de le diriger, je serai là pour l’aider”, nous confiait Charlotte Wells. De notre côté, nous serons aux premières loges pour le voir entrer dans l’arène. 2023, l’ascension de Paul Mescal qu’on attendait.

Article écrit au festival de Cannes le 30 mai 2022, mis à jour le 30 janvier 2023.