Mais au fait, d’où vient le mythe du vampire ?

Mais au fait, d’où vient le mythe du vampire ?

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Opération : retrouver le grand-père de Dracula – bouh !

Il se repaît d’hémoglobine fraîche, chasse de nuit et son teint maladif fait flipper tout le voisinage. C’est le vampire, bien sûr. L’une des figures horrifiques les plus bankable de la littérature comme du cinéma, parfaitement intégrée à la luxuriante galerie des démons stars de la culture pop.

Si ses caractéristiques sont bien connues, son ascendance, elle, paraît plus obscure. Au fond, que savons-nous de l’arbre généalogique de nos Dracula, Nosferatu, Blade et autres Morbius ? Peu de choses. Séquence investigation du côté des barbaries d’un chef de guerre roumain surnommé “l’Empaleur”. Mais aussi du folklore slave moyenâgeux, des littératures romantiques européennes. Bref, visite guidée à travers les arts torturés et croyances ténébreuses en quête des racines du plus dandy des morts-vivants : le vampire. Et zééééééééé parti.

Du vampire partout, tout le temps

Comme souvent en matière de mythes, les sources sont multiples. Impossible de dégager une origine unique, car la figure du “buveur de sang” est transversale à une myriade de cultures, traverse les âges et les territoires. L’empusa de la mythologie grecque suce le sang d’endormis, et le brahmaräkshasa du culte hindou se nourrit de l’hémoglobine d’innocentes victimes. Suivant le même modus operandi, la légendaire tribu Tagalog frappe aux Philippines, et la horde de navyï des croyances slaves déferle en Europe de l’Est. Ce tandis que le nukekuki, quant à lui, hante la péninsule nippone de ses crocs acérés…

Si les créatures maléfiques un peu trop enclines à la morsure sont légion dans les folklores depuis des millénaires, la popularisation de la figure du vampire telle que nous la connaissons remonte au XVIIe siècle. Pour être précis, le terme émerge en Serbie vers 1725. C’est d’ailleurs précisément du côté turc de ce royaume que, pour l’une des premières fois dans la littérature française, un auteur, Jean-Baptiste Boyer d’Argens, mentionne l’existence du monstre dans son roman, Les Lettres juives (1736). L’association du monstre à la chauve-souris, elle, est l’œuvre du célèbre naturaliste Buffon qui, dans son Histoire Naturelle (1761) lie le terme “vampire” à une espèce d’animal venue d’Amérique du Sud. Et suceuse de sang, bien sûr.

Dans le courant du siècle, le mythe, longtemps décliné sous des formes variables, s’uniformise autour de caractéristiques cardinales. Grosso modo, il se nourrit de sang à la faveur de la Lune pour rester jeune, crèche dans un cercueil et arbore des canines anormalement aiguisées. Cette figure alimente une véritable psychose populaire qui prend, en une certaine mesure, le relais de la chasse aux sorcières dont on estime qu’elle s’achève en Europe aux alentours de 1680. Le nouvel ennemi est donc trouvé.

On le soupçonne de nombreux maux. Partout on le craint, partout on croit le voir. À tel point que durant l’épidémie de peste qui ravage la Prusse orientale en 1710, les autorités mènent souvent des enquêtes sur les cas de “vampirisme” signalés. Jusqu’à ouvrir certains tombeaux. Histoire de vérifier si le défunt y sommeille bien. Sait-on jamais…

Raz-de-marée littéraire

C’est donc paradoxalement dans un siècle des Lumières épris de rationalité cartésienne que le mythe du vampire prend son essor. Et cette croyance populaire nourrit, au passage, l’imaginaire d’une foule d’artistes. Dans La Fiancée de Corinthe (1797), Goethe, figure de proue du romantisme allemand (Sturm und Drang), consacre un savoureux poème sur une femme à mi-chemin entre la vie et la mort, subsistant en se nourrissant… de sang.

Côté britannique, la même soirée où Mary Shelley accouche de Frankenstein, ou le Prométhée moderne, son compère, le poète Lord Byron suggère une intrigue qui sera reprise par John Polidori sous le nom évocateur du Vampire. L’ouvrage connaît un succès si retentissant que la figure de ce mort-vivant devient incontournable. Un chapelet d’auteur parmi lesquels Théophile Gautier, Hoffmann et Tolstoï (tout de même) s’empare du sujet.

Mais c’est surtout le Dracula de Bram Stoker qui figera le “profil” du vampire moderne. Paru en 1897, l’ouvrage, qui, notons-le, a souvent été présenté comme ayant été plus vendu que la Bible, tire son patronyme du surnom de Vlad III. Un dirigeant militaire de l’Europe de l’Est tristement renommé pour avoir, au mitan du XVe siècle et selon les légendes locales, fait frire, clouer, brûler ou même empaler ses contradicteurs afin d’asseoir son pouvoir. De cette figure sanglante, l’auteur de Dracula fit un “vampire aristocrate” capable de convertir l’humain en vampire. Et évidemment affairé à lutter contre ses rides en pompant le sang de nos compères homo sapiens.

Dracula, coqueluche même pas fardée de Hollywood

Après avoir ravi les lecteurs avides de romantisme noir et d’ambiance gothique, le terrible Dracula a (assez logiquement) trouvé une place de choix dans les salles obscures. Tout d’abord avec Nosferatu le vampire, premier film à faire figurer le monstre où d’aucuns (notamment la veuve de Bram Stoker) virent une adaptation à peine voilée de Dracula.

Tout le siècle est traversé par l’apparition et réapparition du monstre à canines. Si certaines œuvres passent inaperçues, d’autres font date. Ainsi du cultissime Dracula (1992) de Francis Ford Coppola, une adaptation (assumée, cette fois) du roman original avec, au casting, un certain Anthony Hopkins. Ah, et Keanu Reeves. Et Gary Oldman, Winona Ryder, Monica Bellucci. Oui, rien que ça.

Déclinable à l’envi dans le registre comique (Hôtel Transylvanie), romantique (Only Lovers Left Alive) et horrifique (Thirst, ceci est mon sang), le vampire apparaît au cœur de plusieurs franchises à succès. Blade, par Guillermo Del Toro, les Underworld de Len Wiseman et, bien sûr, la saga Twilight écrite par Stephenie Meyer avant d’être portée sur grand écran. L’échec cuisant du récent Morbius de Marvel, mettant en scène un vampire (Jared Leto), signerait-il l’acte de décès de la “vampire mania” ? On ne risquerait pas un billet là-dessus.

Source d’angoisse, vedette de récits millénaires, démon (sérieusement) considéré comme l’un des fléaux des Lumières, idéal romantique porté aux nues par le romantisme noir et, enfin, vedette de la culture pop. Qui d’autre que le vampire pourrait prétendre être tout cela à la fois ? Pas de doute : le plus élégant des revenants a la vie dure. Et l’avenir devant lui ! Brrrrr… *Chair de poule*