Témoignage : j’ai longtemps masqué ma dépression

Témoignage : j’ai longtemps masqué ma dépression

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Par La Zep

Publié le

À la mort de son grand-père, Marie est tombée en dépression. Plutôt que d’en parler à ses proches, elle a longtemps préféré cacher son mal-être. Avant d’être prise en charge par une psychothérapeute.

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(© Sara Bentot/Konbini)

Lorsque l’on a une vie parfaite comme la mienne, on ne se plaint pas. J’ai toujours eu une famille unie qui me supporte, des amies qui me soutiennent, je suis douée pour l’école, j’ai tout ce que je veux et je voyage presque à toutes les vacances. En comparaison avec la vie des autres, je n’ai rien à dire.

Quand mon grand-père paternel est mort en 2012, j’étais en cinquième. À partir de ce moment-là, sans vraiment m’en rendre compte, je suis tombée dans la dépression. On m’a laissée seule “pour m’aider à me remettre”, mais moi, j’ai sombré. J’étais désagréable avec tout le monde et froide. Tout dans ma vie me semblait horrible et insurmontable. Je restais dans mon lit et ne pensais à rien. Je faisais des insomnies et ne dormais que deux à trois heures par nuit. J’étais crevée et tout me semblait encore plus sombre. Cercle vicieux. J’ai fini par inventer des histoires dans ma tête, un univers dont j’étais l’héroïne et où la vie était sombre ; j’y combattais mes démons.

J’ai oublié qui j’étais pour oublier ma peine

Au bout de quelques mois, j’ai compris plusieurs choses : la première était que la mort de mon grand-père n’était qu’un élément de plus qui avait accéléré ma dépression et la deuxième était que je n’avais pas le droit de me plaindre. Plutôt, je me suis persuadée qu’avec la vie que j’avais, je n’avais pas ce droit, et surtout pas auprès de mes amies. Je ne montrais aucune émotion. En fait, je n’en avais aucune.

Ce fut la pire période de ma vie. Quand on s’empêche de se faire de nouveaux amis, qu’on en perd. Quand on n’a pas de confidente, c’est dur. À cette époque où l’on se cherche et l’on ne cesse de changer, j’avais besoin de personnes à qui parler, de personnes de confiance ; mais je n’avais pas le droit de faire voir mon mal-être. J’aurais dû m’expliquer, mais cela aurait été me plaindre. Alors j’ai feint la bonne humeur, la joie et plein d’autres sentiments positifs. Je riais pour rien et fort, je souriais constamment, je jouais l’hyperactive, la folle. C’était une activité du quotidien, au collège, dans la vie de tous les jours, avec mes parents, mes sœurs, en bref, avec tout le monde. J’ai oublié qui j’étais pour oublier ma peine.

On m’a surnommée “la folle”

Mes parents, mes meilleurs amis, ceux qui me connaissaient avant n’ont rien remarqué. Je ne leur en veux pas, ça signifie que je suis une bonne actrice ! Et ceux qui ne me connaissaient pas avant m’ont surnommée “la folle” ou “la fille étrange”. Mais ça ne me faisait rien, j’avais arrêté de ressentir quoi que ce soit. Plus rien ne me plaisait, plus rien ne me déplaisait, j’étais vide. Je ne pleurais pas, je faisais semblant de rire, je ne devais inquiéter personne, je ne voulais embêter personne.

Quand je dis que je ne ressentais plus rien, il faut comprendre le stress, la tristesse, la joie. Je n’appréciais plus la nourriture, la musique, les sorties avec les amies que j’ai vite arrêtées… Dans cette situation, on se demande pourquoi on existe. Pourquoi tout est gris, sans couleurs ? Pourquoi on doit mentir pour être comme tout le monde ? Pourquoi ? On ne se pose même pas la question de savoir comment sortir de cette situation, puisqu’elle nous semble tout simplement être la destination finale d’une vie. La seule chose qui m’a empêchée de passer à l’acte, cela a été ma sœur : elle était dans la même chambre que moi et comme je n’en sortais pas, c’était pour moi le seul endroit où en finir.

Pendant trois ans, je n’ai rien dit de mon état puis, par épuisement, j’ai fini par avouer à mes parents que je dormais mal. Je ne leur ai parlé que de mes insomnies, ils m’ont avoué qu’ils avaient remarqué mon état constant de fatigue et m’ont demandé si je savais pourquoi j’étais comme ça. Je leur ai répondu “non” : un autre mensonge. Ça aussi, ça me fatiguait. Mentir et paraître joyeuse était tout aussi fatigant que mes insomnies. Mon médecin m’a prescrit des somnifères de plus en plus puissants qui ne fonctionnaient qu’une semaine. Puis on m’a envoyée chez une psychologue.

J’ai pleuré, pour la première fois depuis quatre ans

Comment expliquer ? J’en ai vu quatre. Toutes plus inutiles les unes que les autres, je les ai menées en bateau toutes les quatre. Elles ont toutes dit que c’était la pression du lycée qui m’empêchait de dormir. Puis, lors de ma quatrième année de dépression, mes parents m’ont emmenée devant la tombe de mon grand-père. Là, j’ai pleuré, pour la première fois depuis quatre ans. J’avais enfin ressenti quelque chose. Quand vous vous retenez pendant des années de pleurer et que soudainement la barrière que vous aviez dressée en vous s’effondre, c’est… perturbant. Ça soulage et en même temps, vous avez l’impression que tout le travail que vous avez fait n’a servi à rien. Et pour ces deux raisons, vous pleurez encore plus.

Une semaine plus tard, j’ai avoué à mes parents les vraies raisons de mes insomnies. Ils m’ont inscrite dans une institution : le Claparède. J’ai été en contact avec un homme, un psychothérapeute, qui m’a mise en confiance. Il est le premier à avoir tout entendu, à m’avoir fait tout avouer. Il est l’un des seuls êtres humains à avoir toute ma confiance. Je ne dirai pas ici tout ce qui m’est passé par la tête, car ça me rappelle de trop mauvais souvenirs et qu’ils sont encore trop récents.

On ne parle jamais assez sérieusement de la dépression

Aujourd’hui, je suis toujours dépressive, mais j’ai découvert des activités qui me font réagir : la dépense physique comme le kung-fu ou bien l’équitation, mais surtout : la musique. J’ai gardé de cette période noire le besoin d’être seule dans mon monde, mais pour ne pas penser à tout et n’importe quoi, la musique est le meilleur remède. Je suis toujours incapable de recevoir des compliments et je reste bien trop souvent dans mes livres, mais aujourd’hui, je peux le dire : je vais mieux. Je ne serai peut-être jamais à nouveau celle que j’étais avant, mais je ne pense plus au suicide dès que je vois une vitre. Aujourd’hui encore, mes sœurs ne sont pas au courant de ce que je traverse et leur dire n’est pas un de mes objectifs même si, je le sais, elles ne me jugeront jamais.

Quand on parle de dépression, on n’en parle jamais assez sérieusement. Lorsque l’on apprend que l’on est dépressif, on apprend une autre manière de vivre : survivre. Des baisses de moral, on s’en sort, mais des dépressions, ce n’est pas toujours le cas. Moi, je m’en suis sortie, mais j’ai connu des jeunes qui ne sont plus là pour témoigner. Alors pour tous ceux-là, j’avais besoin d’en parler. Le seul conseil que je peux donner aujourd’hui, c’est d’en parler à quelqu’un à qui vous faites pleinement confiance. C’est pas forcément un psy, ça peut être votre voisin, vos amis, vos frères et sœurs, ou un total inconnu. Du moment que vous êtes à l’aise, c’est tout ce qui compte.

Marie T., 18 ans, étudiante, Courbevoie

Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.