Dans le métro, dans la rue, partout, je crois que les gens sont choqués quand ils voient mes jambes et c’est parce que je ne m’épile pas. Il y a du dégoût aussi bien sûr, du moins je pense. Et moi, je suis quelque peu désemparée devant le poids de cette norme sociale. Les gens insistent : les poils, c’est moche ! C’EST MOCHE !
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Encore la semaine dernière, au restaurant, j’entendais une dame chuchoter peu discrètement à son mari en regardant mes jambes que cela la dégoûtait chez une femme. De belles jambes de femmes sont des jambes sans poils, bien lisses, avec le teint uni et hâlé comme dans les pubs Veet.
Quand j’ai arrêté de m’épiler régulièrement les jambes, je n’ai pas trouvé mes poils beaux. Je ne les trouvais pas moches non plus, mais j’étais indifférente. Je me rendais juste compte que je n’en pouvais plus de me faire souffrir. La brûlure du rasoir, la sécheresse de ma peau, les démangeaisons, les poils incarnés, la douleur de l’épilation à la cire, le temps phénoménal gaspillé, l’argent dépensé dans du matériel. Je n’en pouvais plus !
M’épiler, j’ai commencé à 11 ans
J’ai commencé à m’épiler quand j’avais 11 ans. Les filles commencent à peu près à cet âge-là, non ? Peut-être vers 12 ou 13 ans. J’étais déjà bien installée dans la puberté et je crois que j’étais plutôt contente de me raser. Je me sentais grande. Je voulais me raser impeccablement les jambes. Quand j’allais à la plage, j’apportais toujours un rasoir pour éliminer les poils que je n’avais pas vus. Ensuite, j’ai découvert la cire et l’épilateur électrique qui m’ont permis d’échapper aux saignements accidentels en les remplaçant par de la douleur et encore de la douleur.
Avec le temps, j’ai commencé à m’épiler de moins en moins. Je comprenais aussi de plus en plus ce qui était attendu par la société pour qu’une femme soit considérée comme belle, acceptable, et désirable. Ce qui est, comme chacun sait, le propre de la femme… Comme chacun le sait aussi : il faut souffrir pour être belle… Je pense que je me suis progressivement rendu compte du mal que je me faisais et j’en ai eu marre.
En parler, c’est s’entraider
Maintenant, j’en suis sûre : j’ai la flemme de souffrir. J’ai la flemme d’attendre d’être vieille pour n’en avoir plus rien à foutre ! Tant pis si les gens me trouvent dégueu, je n’ai nullement envie de leur faire plaisir. Je vois bien leurs regards sur mon corps tous les jours de chaleur quand je sors en short, en jupe ou en robe. Mais, moi, je suis heureuse ! Je me suis entourée de personnes “safe” à ce sujet. Elles comprennent mon choix et l’encouragent.
Et qu’on ne me dise pas “chacun fait comme il veut, ça sert à rien d’en parler, on s’en fout !” C’est absolument faux. Les femmes sont OBLIGÉES de s’épiler pour être considérées comme belles. Elles en discutent souvent entre elles et sont d’accord sur le fait qu’elles s’épilent plus quand elles doivent montrer leurs jambes ou quand elles couchent avec un homme. J’en parle énormément avec ma meilleure amie qui a aussi arrêté l’épilation régulière et systématique. Les femmes souffrent de cette norme du glabre et je me demande si la pression n’est pas plus forte pour elles parce qu’elles sont hétéros.
Une économie de temps, d’argent et de douleur
À ceux qui diront que je ne peux pas plaire avec mes poils, je leur dis que je suis mariée et que je n’ai pas envie de plaire à des gens qui pensent que mes poils sont dégueus. Et j’ai couché avec des mecs ! C’était nul mais pas parce que j’avais des poils ! Ils ne m’ont pas fait de remarques sur ma pilosité. Je couche avec des meufs aussi et ça va très bien ! Souvent, elles admirent mon “courage”. Je n’ai pas envie d’être courageuse. J’ai envie d’économiser du temps, de l’argent et de la douleur en arrêtant de m’arracher les poils constamment !
Tout cela ne veut pas dire laisser tout pousser et forcément “ressembler à un grizzli” ou je ne sais quelle autre comparaison douteuse. Entre les jambes, par exemple, j’aime m’épiler de temps en temps. J’enlève aussi de temps à autre ceux de mon visage. Le plus souvent, je laisse tout pousser par grande flemmardise. Mais la vie est tellement belle quand on a la flemme !
Emmanuelle, 24 ans, salariée, Paris
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.