Par amour, on élève nos enfants et on continue de s’aimer à plus de 5 000 km d’écart

Par amour, on élève nos enfants et on continue de s’aimer à plus de 5 000 km d’écart

Image :

Image d’illustration : Marion Kuntz / Konbini

photo de profil

Par Astrid Van Laer

Publié le

Cette semaine, on vous raconte une histoire de distance, de patience, mais encore et toujours, surtout une histoire d’amour.

Par amour amical, familial ou amoureux, ils ont réalisé des choses hors du commun. Dans sa série “Par amour”, chaque semaine durant l’été, Konbini vous raconte leurs histoires. Cette semaine, on vous parle d’Ingrid et Aly.

À voir aussi sur Konbini

L’histoire de cette semaine commence en janvier 2020. Lorsque Aly, le conjoint et père du futur enfant d’Ingrid, était expulsé en Guinée. Ingrid avait alors alerté les médias, et Konbini News avait interviewé la future maman, à l’époque enceinte. Depuis, Ingrid n’a pu se rendre qu’une seule fois à Conakry, mais le couple a eu deux enfants, qu’elle est contrainte d’élever seule. Et ils continuent, malgré les multiples épreuves, de s’aimer à distance.

Quand on a recontacté Ingrid pour lui proposer de témoigner dans cette série “Par amour”, elle n’a pas hésité une seconde, rétorquant tout de go que cela leur “correspondait encore parfaitement à ce jour”. Elle nous raconte leur quotidien, rythmé de désillusions et d’espoirs, mais surtout d’appels vidéos.

Par la force des choses, depuis l’expulsion de son conjoint il y a deux ans et demi, Ingrid élève seule leurs deux enfants d’à peine quinze mois d’écart. Le 15 janvier 2020, Aly était renvoyé en Guinée. Quatre mois après, le 28 mai, le petit Ézéchiel naissait. Il s’agit du quatrième enfant d’Ingrid et du premier enfant d’Aly. En septembre suivant, alors que “le petit bonhomme n’avait même pas quatre mois”, mère et fils prennent l’avion et effectuent un “sacré périple”, très onéreux, dans un monde gangrené par le Covid, pour que le bambin puisse rencontrer son père à Conakry.

La pandémie, occasionnant quelques désagréments, leur permettra de passer six mois ensemble. Mais ce sont six mois qu’Ingrid vivra difficilement. Éloignée de ses trois premiers enfants, elle vit cette situation comme un arrachement. “De toute façon, que je sois ici ou là-bas, c’est un déchirement pour moi”, nous dit-elle, arguant : “soit je ne suis pas avec Aly, soit je ne suis pas avec mes enfants, donc quoi qu’il arrive, c’est déchirant et d’une manière ou d’une autre, il y en a qui seront pénalisés.”

Un accouchement sur FaceTime

D’autant plus qu’Ingrid peine à trouver sa place entre ce père et ce fils, alors âgé de trois mois et demi, enfin réunis : “Aly a pris son fils et ils ont été dans une bulle immédiatement, ça a été une fusion immédiate et totale entre eux. Je pense que des six mois où je suis restée, si j’ai quatre fois fait prendre son bain à mon fils, c’est le maximum. ‘Non repose-toi’, me disait-il tout le temps. Il lui donnait à manger, le baignait, dormait avec lui, ne le quittait pas.”

“Et même si Ézéchiel était petit, le retour a été très difficile pour lui, il n’a rien compris. On l’a changé totalement d’environnement et en plus, on lui a enlevé son papa donc ça a été très dur”, poursuit la mère de famille.

Mais ce fut aussi six mois durant lesquels une “petite surprise géniale” va voir le jour : Ingrid, malgré la contraception utilisée, tombe à nouveau enceinte. Force est de reconnaître qu’en apprenant la nouvelle, c’est en premier lieu “panique à bord”, comme le confesse Ingrid, qui souligne : la situation ne s’y prêtait absolument pas”.

Elle rentre dans l’Hexagone enceinte de quatre mois, et le 3 septembre suivant, Inaël pointait le bout de son nez. Lors de ses deux accouchements, Ingrid est accompagnée de sa fille aînée. Pour Ézéchiel, une infirmière lui tient un téléphone lui permettant d’être en vidéo en direct avec Aly, qui suit l’accouchement minute par minute, pendu à son téléphone. “Il chronométrait, me disait : ‘t’as fait 5 poussées c’est génial, t’as géré'”.

Aly n’a toujours pas rencontré son deuxième fils

En revanche, pour la naissance d’Inaël, quelques complications ont empêché Aly d’y assister par téléphone. Une fois de retour à la maison après une césarienne, c’est le début d’un calvaire pour Ingrid, qui doit s’occuper seule, “comme un robot”, d’un nourrisson et de quatre enfants dont un en bas âge.

“Je n’ai pas pu respecter les indications des médecins, au risque de me retrouver avec une éventration. À ce moment-là, tout est remonté et je me suis dit que ce n’était pas humain de nous faire vivre ça, de laisser une femme seule avec ses enfants.”

Sans oublier que leurs espoirs de se retrouver rapidement sont vite grandement refroidis par la situation sanitaire, qui paralyse le monde, et par la situation politique guinéenne, qui ralentit toutes leurs démarches. Pour l’heure, la demande de visa d’Aly a été refusée et le couple a déposé un recours. Ingrid, qui n’envisage pas de déménager en Guinée puisqu’elle a ses trois autres enfants en France, ne se fait pas d’illusion : si elle veut retrouver son compagnon, il va falloir être patiente.

Pour l’heure, Aly ne connaît pas son deuxième fils. “C’est dur, là, il voit qu’Inaël va avoir un an en septembre donc en ce moment, il ne va pas très bien”, souffle Ingrid, qui ajoute :

“Il est tout seul là-bas, et il vit très mal la solitude, le fait de ne pas voir ses enfants, de pas les voir grandir. Il a déjà loupé de peu les premiers pas d’Ézéchiel, qui a marché une semaine après notre retour en France. Et il voit Inaël qui grandit, il va fêter son premier anniversaire et il ne l’a toujours pas vu.

Ça lui fait également beaucoup de mal de voir que je suis toute seule à tout gérer, il se morfond de me voir en peine.”

“Ça ne fait pas deux ans qu’on se bat pour baisser les bras maintenant”

“Moi, c’est de voir qu’on nous enlève le bonheur qui me fait le plus de mal”, ajoute-t-elle, la voix tremblante. “On ne fait pas attention à ce qu’on a, car on s’habitue au bonheur, mais quand on nous les enlève, c’est très douloureux.”

Sur leur profil Facebook, les déclarations d’amour se multiplient. Le couple se bat pour rester ensemble, malgré la distance. Mais un tel éloignement occasionne forcément quelques tensions. La séparation ? Ingrid confesse l’avoir brièvement envisagée, car “c’est très compliqué de s’aimer de si loin, pendant si longtemps”, avant d’immédiatement avoir décidé de se battre : “On n’a pas fait tout ça pour rien, ça ne fait pas deux ans qu’on se bat pour baisser les bras maintenant. Nos enfants ne méritent pas ça, et nous non plus.”

“Être ensemble et avoir une vie normale”

Et pour Ingrid, difficile, si loin, de ne pas être jalouse :

“En plus de la distance qui nous sépare, n’oublions pas qu’en Guinée, beaucoup d’hommes sont polygames, donc forcément parfois, ça me taraude. Quand on est en FaceTime, il y a toujours des blagues à deux balles des copains ou des cousins, qui me disent : ‘Ingrid t’inquiète pas, pour ton mec, on va lui trouver une deuxième femme’. Je ris jaune à chaque fois, mais ça renforce la jalousie. Même si ce ne sont que des petites blagues, ça ne passe pas du tout avec moi. Aly le sait que ça ne va pas le faire, la petite blague. [Rires]

J’ai été très dure avec lui, j’ai été chiante. Heureusement, j’ai toute confiance en lui, il est tellement gentil.”

Le couple se parle très régulièrement, s’appelle souvent plusieurs fois par jour, parle du quotidien, de son rêve commun. “Notre rêve est très simple : être ensemble et vivre une vie normale. Qu’on travaille tous les deux et qu’on éduque nos fils normalement et correctement”, explique-t-elle.

Aly, très intégré dans la famille d’Ingrid, fait partie du groupe Messenger familial, parle avec ses belles-sœurs, sa belle-mère ou aux enfants d’Ingrid très fréquemment.

“Marque le but, mon fils”

Tout ceci a évidemment un coût. Ingrid évoque un budget de 60 à 70 euros de téléphone et de crédits Internet par mois. “C’est énorme mais il faut maintenir le lien entre Ézéchiel et son père et créer, malgré l’écran, un lien avec Inaël. C’est hyper important. Et c’est très touchant de voir Inaël au téléphone avec son père parce qu’il l’appelle ‘papa ‘alors qu’il ne l’a jamais vu et qu’il ne dit pas encore ‘maman’.” Et de poursuivre : “et il commence à faire des bisous, donc il embrasse le téléphone quand il appelle son père, c’est trop mignon.”

Le téléphone permet également à Aly de transmettre à Ézéchiel sa passion du football. Sa mère raconte :

“Il y a toujours un truc qui me fait super mal au cœur, c’est de voir Ézéchiel en appel vidéo. Il me demande ses chaussures de foot, je lui mets ses petits crampons, il va chercher son ballon et dit : ‘papa on joue ?’

Il a compris où poser le téléphone dans le couloir pour que son père le voie de plain-pied, il commence à jouer et Aly commente : “Ézéchiel Diawara va marquer le but !!! Et non, il y a une faute sur monsieur Diawara, Ézéchiel !!!’ Il crie dans le téléphone en regardant son fils qui est à fond, concentré sur le ballon, sur ce que dit son père.

“Dribble ! Tir ! Marque le but, mon fils. C’est excellent de voir ça, et en même temps, ça me brise le cœur.”

En ce moment, Ingrid et ses enfants sont en plein déménagement dans une nouvelle maison. Elle espère pouvoir se rendre en Guinée en septembre prochain afin qu’Aly et Inaël se rencontrent enfin. En attendant de pouvoir s’aimer de près, ils continuent de se battre, prenant chacune des batailles causées par la distance les unes après les autres, pour se construire malgré les milliers de kilomètres qui les séparent.

À lire aussi : Par amour, je vais donner un rein à mon frère