“Gilets jaunes” : la perception d’Éric, tout juste sorti de prison

“Gilets jaunes” : la perception d’Éric, tout juste sorti de prison

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Manifestation des “gilets jaunes” à Paris, samedi 1er décembre. © Louis Lepron

“C’est clair, hein : tout ce qui va viser à remettre en cause le pouvoir en place obtiendra l’adhésion des prisonniers.”

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Éric a 35 ans. Incarcéré le 12 novembre 2015, il est sorti de prison le 26 novembre dernier, après trois ans et dix jours derrière les barreaux. Samedi 1er décembre, l’ambiance était plus que tendue dans l’Hexagone et en particulier à Paris. On lui a demandé comment la genèse du mouvement des gilets jaunes avait été perçue depuis sa prison de Châteaudun, en Eure-et-Loire et ce que cela faisait de sortir dans un contexte comme celui-ci.

Comment a-t-il suivi les événements depuis sa cellule ? Que se disaient les détenus ? Un point de vue qui permet de mettre en lumière la déconnexion des personnes incarcérées, à qui les revendications des gilets jaunes sont non pas étrangères, mais paraissent très lointaines.

“Tout ce qui va servir à contester le pouvoir, les détenus auront tendance à le soutenir”

Konbini | Bonjour Éric. Durant votre incarcération, comment vous informiez-vous ?

Éric | Salut ! Alors, je n’avais pas accès à Internet et aux réseaux sociaux, qui sont là où le mouvement des gilets jaunes s’est vraiment développé et était le plus présent. Mon principal moyen d’information, c’était la télévision. Et parfois la radio, j’écoutais pas mal Jean-Jacques Bourdin.

Depuis votre prison, aviez-vous mesuré l’ampleur de ce qui se jouait à l’extérieur ?

Il faut dire que quand je suis sorti, il y a une semaine, l’envergure du mouvement n’était pas la même qu’aujourd’hui. Avec la télévision, je comprenais donc ce qu’il se passait, les faits n’étaient pas minimisés par les médias, hein.

On sentait qu’il se passait quelque chose d’important, oui. On en parlait avec certains codétenus. Alors que je m’apprêtais à sortir, il y en a un qui est venu me trouver pour me dire : ‘Alors ! Tu vas sortir, tu vas aller sur Paname avec tout le bordel et les gilets jaunes !’

Du coup, qu’est-ce qu’il se raconte au sujet des gilets jaunes en prison ?

Fondamentalement, on ne va pas se mentir, tout mouvement qui va servir à contester le pouvoir, les détenus auront tendance à le soutenir. C’est clair, hein : tout ce qui va viser à remettre en cause le pouvoir en place obtiendra l’adhésion des prisonniers. Ils ne peuvent que soutenir, pour le principe, sans même forcément réfléchir à ce qu’il y a derrière. 

Puis, j’en ai également parlé avec les surveillants, qui ont accès à l’extérieur. Faut dire que dans cette région [l’Eure-et-Loire, ndlr], ils ont tous besoin de leur voiture pour aller travailler, donc ils se sentaient concernés et étaient très sensibles au combat des gilets jaunes. 

Derrière les barreaux, on regarde plus NRJ 12 que Gilles Bouleau

© PASCAL PAVANI / AFP

De quelle manière le mouvement était-il suivi par vos codétenus ?

Les détenus qui suivent les informations sont une minorité. On ne va pas se mentir, la majorité passe son temps devant NRJ12. Pour les autres, ceux avec qui j’en ai parlé soutiennent plutôt le mouvement effectivement.

Je doute que les revendications se multiplient en prison. Là-bas, les gens n’ont plus envie de se battre. D’ailleurs, ils ne savent pas non plus comment se battre. Ils sont complètement défaitistes, pour eux, la situation ne va pas changer, en tout cas, pas en prison. Ils peuvent adhérer au mouvement des gilets jaunes, mais je ne pense pas que les détenus s’identifient, saisissent le mouvement pour en profiter et faire monter leurs revendications.

Honnêtement, beaucoup de personnes incarcérées sont dans un délire tel qu’elles ont oublié toute forme de revendication. Pour la plupart, on les a laissés partir beaucoup trop loin et on ne peut plus les rattraper maintenant. La question d’intégration dans la société ne les concerne plus. Ils vivent leur vie en prison tranquille, si je puis dire… Aussi tranquillement que faire se peut, disons. 

La prison, une réalité à mille lieux des Champs-Élysées

Manifestation des “gilets jaunes” à Paris, samedi 1er décembre. © Louis Lepron

Après votre sortie, samedi 1er décembre, avez-vous pris part à la manifestation ?

Absolument pas, je sors de prison. Je dois encore me réapproprier ma liberté, c’est déjà chelou [sic] de sortir. Je comprends l’importance du mouvement mais j’ai mes propres batailles d’ex-détenu à mener. Je suis sorti il y a dix jours après trois ans, j’ai d’autres trucs à faire.

Quelle est votre opinion sur le mouvement ?

Je pense que les gens ont fondamentalement raison de se battre pour des choses comme la redistribution des richesses, l’utilisation de notre argent, même moi depuis ma cellule je me suis rendu compte à quel point on fait n’importe quoi avec notre argent. Mais je ne suis pas sûr que les revendications soient bien toutes réfléchies. Mais on ne peut pas demander à un mouvement aussi spontané de faire dans la précision.

Et concernant les violences ?

J’étais désolé en voyant les images de l’Arc-de-Triomphe. Je trouve ça très très con de défoncer les vitrines d’un magasin ou d’une Porsche, mais alors défoncer le patrimoine, c’est non. Je pense qu’on ne devrait même pas s’attarder sur ça.