On vous raconte notre marathon-relais de Paris dans un article-relais

On vous raconte notre marathon-relais de Paris dans un article-relais

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Par Konbini

Publié le

6 coureur·se·s, 6 personnalités, 1 victoire.

En termes de team building, si certain·e·s préfèrent miser sur une journée spa ou une pétillante soirée karaoké, chez Konbini, on préfère se rapprocher les un·e·s des autres au cours d’un douloureux marathon-relais. Eh oui, on est comme ça, nous. Et puis rien de mieux pour tisser des liens avec ses collègues de bureau que de les voir subir leur vie en K-Way et petit short moulant.

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Invité·e·s à la MAIF Ekiden de Paris, les six sportif·ve·s du dimanche que nous sommes avons tenté cette course originale venue du Japon, transposée dans un parcours parisien qui débutait au pied de la tour Eiffel et empruntait les quais de Seine en longeant le Grand Palais, les Invalides et le musée d’Orsay. Rassurez-vous, malgré les mésaventures et les plaintes qui suivent, cette histoire finit bien, en témoignent les jolis scores ci-dessous que notre joyeuse bande a réussi à décrocher. Certain·e·s s’impatientent de se lancer dans le prochain défi sportif, d’autres arrêtent le sport à vie, mais tout le monde ressort de cette aventure avec le sourire, une jolie médaille autour du cou, et surtout la satisfaction d’avoir relevé le défi en équipe.

Flavio : relayeur 1 – 5 km

Je déteste le sport. De souvenir, la dernière fois que j’ai transpiré, c’est en tentant d’obtenir des places pour la tournée “Renaissance World Tour” de Beyoncé. Je n’ai jamais aimé les gens qui passent des heures à la salle de sport, et encore moins ceux qui font passer un marathon de 42 km comme quelque chose d’humainement réalisable. Mais cette année, j’ai 25 ans, et mon anniversaire tombe pile le week-end dudit marathon-relais. Rempli de bonnes résolutions et d’un peu de désillusion, j’accepte de m’y coller. Le matin de la course, je regrette chaque Moscow mule ingurgité lors du week-end et la mise au lit tardive de la veille – c’était le prime de la Star Ac’ ! Dans quel bourbier je me suis foutu ?

Je rejoins mon collègue Anatole au pied de la tour Eiffel. Je suis encore dans le coaltar de ma courte nuit, mais je sais que j’ai intérêt à me réveiller pour ne pas décéder sur le parcours. Cinq kilomètres, c’est pas grand-chose, si ? J’enfile mon dossard, je dévore une petite chouquette au sucre, je loupe l’échauffement. En bref, j’ai snobé toutes les recommandations qu’on m’a filées au préalable, et ça m’a prouvé en long et en large combien j’aurais dû les suivre à la lettre.

“Mother Beyoncé give me strength”.

Le départ est prévu pour 9 heures. À quelques minutes du coup d’envoi, je me retrouve au milieu d’une foule de gens qui, contrairement à moi, ont l’air de savoir ce qu’ils foutent là. Pour ma part, j’essaie de me fondre dans la masse, j’observe les gens s’échauffer et je les imite, sans vraiment comprendre pourquoi tout le monde se roule les poignets. Ma playlist est prête : sans surprise, j’ai misé sur l’album Renaissance de Queen B, et je prie pour qu’elle me donne la force nécessaire pour survivre.

Sur le départ, j’ai la chance de démarrer avec tout le monde, et un vrai rush d’adrénaline m’envahit. J’ai le sourire, et je me déteste d’être l’un de ces sportifs heureux de se faire du mal. Mais rien n’y fait : je suis vraiment content d’être là, à 9 heures du matin, dans mes confortables runnings adidas, mon K-Way trop serré, avec les “chaussettes qui courent vite” vert menthe offertes par mes potes. La vérité, c’est que dix minutes plus tard, j’ai envie de vomir et de pleurer, mais ça, c’est un détail.

Une compétition de cirque.

La première moitié de la course est plutôt agréable, mais à partir du troisième kilomètre, j’ai mal partout. Le souffle et les muscles me manquent, et c’est là que je comprends que tout est dans le mental… et dans la playlist. Mère Beyoncé, que j’implorais plus tôt de me sauver de ce calvaire, fait fonctionner sa magie. Au rythme de “Heated” ou “Move”, je trouve de nouvelles vies qui me poussent à avancer. Mes lèvres sont sèches comme la mort et je rêve d’un verre d’eau, je respire comme un accordéon mal réglé et je gémis de douleur à chaque pas, mais je m’accroche.

Près de l’arrivée, des bénévoles me tendent un verre d’eau, que je saisis et tente de boire en courant – très mauvaise idée. Je manque de dégueuler l’entièreté de ce verre que je pensais salvateur, et le temps que je me retienne de dégobiller, j’aperçois l’arrivée au loin. Sauf que, pas de chance, notre équipe étant la 2004e, je dois me taper des centaines de mètres supplémentaires avant de trouver Anatole et lui filer le dossard.

J’insulte chacun des derniers mètres que j’ai à franchir, quand finalement, j’aperçois le visage de mon collègue. Une bénédiction. Je lui tends mon dossard et tout me prend au visage : la pression, la fatigue, la fierté aussi. Je suis rouge anus mais je suis le plus heureux des hommes ; je dégaine mon téléphone et j’immortalise ce faciès écarlate de quelqu’un qui vient peut-être seulement de parcourir cinq kilomètres en trente minutes mais qui a l’impression d’avoir décroché un nouveau record du monde de course à pied. Par contre, je déteste toujours autant le sport, mais j’aime encore plus Beyoncé.

Anatole : relayeur 2 – 10 km

Lundi 6 novembre. J’entame mon récit une journée après cette expérience car il me semble primordial de commencer par cet instant : il y a deux heures à peine, j’ai vécu l’extraction d’une de mes dents. Et bien que ma nourriture ait depuis été ingérée à la manière d’un dromadaire, je ressens enfin un profond soulagement de m’être séparé de cette encombrante compagne. La démarche de pingouin que j’ai adoptée pour me rendre chez le dentiste était ridicule, les courbatures s’acharnent à me rappeler que j’ai couru dix kilomètres la veille.

Nous poursuivons maintenant le récit en parlant du commencement. Un jour ordinaire au travail, je passe devant le bureau de Donnia, qui me soumet l’idée d’un marathon en équipe. Je voue une réelle aversion à la course à pied. Courir ne fait partie de mon quotidien que lorsque je tente d’attraper un métro, c’est pourquoi je demeure perplexe face à ceux qui prennent du plaisir dans cette activité. Le deuxième obstacle qui se dresse devant moi est ma récente reprise du tabac. Par conséquent, je finis par accepter de courir les dix kilomètres.

J’abandonne.

Depuis un certain temps, je m’adonne à trois séances de crossfit par semaine, ce qui m’a permis d’apprécier les défis sportifs et de vouloir être énorme et sec. Je ne suis donc pas novice en la matière. Les jours défilent, et il est révélé que nous recevrons une tenue adidas complète ainsi que des chaussures de course à pied. Jusque-là, tout semble aller comme sur des roulettes. Deux semaines avant la course, je décide de prendre les choses au sérieux et de m’entraîner. Malheureusement, je tombe malade. Le samedi, je me rétablis, mais dès le mardi suivant, la maladie s’acharne à nouveau sur moi. Le rhume me met une mandale de l’espace. Cependant, j’ai cessé de fumer en préparation de la course et me suis engagé auprès de mon équipe. Ainsi, il n’est pas envisageable de flancher.

Le vendredi soir de la semaine du marathon-relais, une dent de lait – il me restait effectivement deux de ces vestiges, pour des raisons que je ne saurais expliquer – me fait atrocement souffrir. Mon rhume continue de me mettre une barre au front. Le samedi matin, je préviens mon équipe qu’il est possible que je ne puisse pas courir. Le samedi soir, sous l’emprise de codéine et d’antibiotiques, je me retrouve complètement foncedé, mais je commence à croire en ma capacité à participer.

1 h 01.

Le dimanche matin, à 6 h 30, je me lève. Ma douleur dentaire s’est atténuée et mon rhume m’accorde un répit bienvenu. Je me dirige vers l’arrêt de bus pour rejoindre Flavio, car je tiens à être présent pour son départ. Je suis le deuxième relayeur. Je suis animé par une énergie inattendue, galvanisé par un documentaire sur le combattant McGregor que je viens de visionner. L’ambiance est remarquable, bien que la plupart des participants arborent une apparence athlétique. Il est manifeste que l’événement rassemble tous les coureurs de Paris – et je ne parle pas des amateurs du dimanche.

À 9 h 30, Flavio, tout aussi perplexe que moi, se lance dans la horde des coureurs. Il passe devant moi avec un large sourire, son dernier sourire avant le buffet, plus tard dans la matinée. Le temps file et Flavio, tout écarlate et en nage, me remet la ceinture de relais. Mon tour est enfin venu. Les trois premiers kilomètres se déroulent de manière satisfaisante, et je m’imagine pouvoir continuer ainsi. Le parcours est magnifique. Cependant, au cinquième kilomètre, je comprends que j’ai maintenu un rythme de cinq kilomètres et non de dix. Ma respiration est laborieuse, et la fatigue accumulée au cours des derniers jours s’incarne dans mes jambes. J’atteins le point de relais sans y trouver personne. Les cinq derniers kilomètres s’annoncent donc solitaires.

Honnêtement, je n’ai aucune envie de les courir, mais manquer à mon engagement me paraît bien plus douloureux que les crampes qui m’assailliront par la suite. Au sixième kilomètre, je m’autorise une brève pause de cinq secondes pour récupérer. Un homme me double et me tape sur l’épaule en signe d’encouragement. Si jamais vous lisez ces mots, cher ami, sachez que vous m’avez régalé. Ce geste anodin me procure la détermination de donner le meilleur de moi-même, accompagné par ma playlist des hymnes des Worlds de League of Legends.

Je suis bien déterminé à franchir la ligne d’arrivée en courant. Mes trois derniers kilomètres sont toutefois particulièrement lents. La joie est immense lorsque je rejoins Julie, qui m’accueille chaleureusement aux côtés de Manon et Flavio, faisant de grands signes en guise de soutien. Je leur suis extrêmement reconnaissant. En réalité, il me faudrait un roman pour tout raconter. Toutefois, je tiens à souligner qu’accomplir un parcours de dix kilomètres sous la pluie, avec du vent, sans entraînement spécifique et sous l’effet de codéine et d’antibiotiques la veille n’est pas une idée brillante. Néanmoins, je suis fier de l’avoir fait. Avec un peu d’entraînement, je suis convaincu que je pourrais faire mieux. Mon temps de course est d’une heure et une minute, mon objectif initial était de terminer en moins d’une heure. Je devrai donc y retourner pour atteindre cet objectif.

Julie : relayeur 3 – 5 km

Asthmatique, la rotule droite en vrac et en pleine gueule de bois, ma course n’avait beau s’étirer que sur cinq kilomètres, ce n’était pas gagné d’avance. Et pourtant, je m’en suis tirée sans problème, grâce à un “tic tac tac tac” à 180 bpm dans les oreilles. J’avais environ 13 ans quand j’ai couru pour la première fois avec ma maman. Pendant longtemps, ç’a été notre rituel de la semaine : qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, on s’est tenues à nos excursions d’au moins quarante-cinq minutes en pleine forêt.

Puis j’ai fait une pause de plusieurs années pendant mes études, et quand j’ai essayé de m’y remettre, catastrophe : mon genou droit n’a pas apprécié et je me suis éclaté la rotule. Radio, séances de kiné… J’ai dû réapprendre à courir. Littéralement : mon kiné, à qui j’envoie une pensée émue, m’a fait courir sur un rythme de 180 bpm. Et, que vous le croyiez ou non, cet exercice a changé ma vie.

L’appli qui a révolutionné mes footings. (© Soundbrenner)

En calant sa foulée sur une cadence plus rapide, on fait de plus petits pas, et surtout, on retombe sur le talon au lieu de la pointe du pied. L’idéal pour amortir le choc vers le genou. Pendant mes entraînements et le jour J, je n’ai pas mis du Beyoncé ou du Joy Division à fond dans mes oreilles comme Flavio ou Donnia. Non, j’ai écouté en boucle une série de “tic tac tac tac” à 180 bpm grâce à la super application Soundbrenner. Prenez-moi pour une sociopathe si vous voulez, mais c’était ultra-satisfaisant.

La veille de la course, j’ai une “créma’nniversaire” que je ne peux pas louper. Je préviens mes amies que le lendemain, à 10 heures, je cours cinq kilomètres. On me chambre gentiment, mais l’une d’entre elles, Marie, s’assure de me faire boire de l’eau tous les deux verres. “C’est important, l’hydratation !” Un ange. Quelques heures plus tard, après quatre heures de sommeil, je pars rejoindre ma vaillante équipe de coureur·se·s.

Course relais, H-6.

Après avoir galéré à entrer dans le village – mais réussi, à force de persuasion, avec une camarade de course bien plus athlétique que moi –, je croise Flavio, heureux après son exploit. Il m’explique tout, me prévient que le plus dur, c’est le retour : “Tu cours vers la tour Eiffel mais tu as l’impression qu’elle s’éloigne toujours.” Nous rejoignons le box, Anatole me passe le relais, puis c’est parti.

Le premier kilomètre est très compliqué, je me fais dépasser par des coureurs ultra-secs arborant fièrement le dossard de leur club d’athlé – et puis ils soufflent super fort, c’est très déroutant. Mais je persévère et finis par trouver ma vitesse de croisière. Et puis quel kiff d’arpenter les quais et les ponts de Paris tous vides ! Je viens à bout de mes cinq kilomètres sans difficulté, je pique même un petit sprint pour la forme au moment de passer le relais à Manon, et je sors de cet exercice fière, euphorique – et complètement dégrisée.

L’adrénaline post-course

Manon : relayeur 4 – 10 km

La dernière fois que j’ai couru dix kilomètres, c’était il y a trois ans. Depuis, je n’ai jamais ressorti mes runnings du placard, écœurée par l’ingratitude de ce sport de Satan. Je continue à pratiquer une activité physique régulièrement mais j’ai préféré me tourner vers les cours en ligne de la rayonnante et lumineuse Julie Pujols, qui nous maltraite, moi et les muscles de mon fessier, mais toujours dans la joie, la bienveillance, la bonne humeur, et surtout avec des playlists de grande qualité.

Quand est proposé ce marathon en relais à la rédac, je la ramène un peu trop : “J’ai déjà couru dix kilomètres et j’ai pas trouvé ça si difficile.” Évidemment, on m’attribue donc immédiatement l’une des deux boucles les plus longues, celles de dix kilomètres. Un détail qui a son importance : j’ai effectivement couru un dix kilomètres sans trop souffrir, mais après des mois, voire des années, d’entraînement régulier. Le marathon Ekiden est prévu dans trois semaines, on est en plein mois de novembre, il pleut tous les jours et les tempêtes s’enchaînent.

Je me soumets donc à un petit entraînement en accéléré : je cours un cinq kilomètres un dimanche, un huit kilomètres le dimanche suivant, et je compte sur l’adrénaline (et les millions de squats imposés par Julie Pujols) pour m’aider à faire mes dix kilomètres le jour J. Une amie plus sportive que moi me conseille de ne pas boire d’alcool les jours précédant la course et de petit-déjeuner suffisamment tôt pour ne pas courir en pleine digestion. En bonne élève, je bois trois verres de vin à jeun la veille et je décide de petit-déjeuner des pancakes au sirop d’érable bien lourds. Mais il me fallait un peu de réconfort avant l’effort, parce qu’on n’est pas venus là pour souffrir. Enfin si, un peu.

Jour J : il pleut, j’angoisse un peu, mais je retrouve mes collègues et je reste motivée. Puis arrive Anatole, mon courageux partenaire de galère qui a accepté l’autre grande boucle du marathon, au bout du bout après son dixième kilomètre. J’angoisse à nouveau, je cherche donc un endroit pour faire pipi, puis mon heure vient : me voilà embarquée sur les traces de Lady Di. Pont d’Iéna, pont de l’Alma, Flamme de la Liberté… C’est très beau, mais c’est surtout très vallonné. Au bout du troisième kilomètre, j’ai déjà des idées noires. Au bout du cinquième kilomètre, je comprends que je dois repartir pour un tour et j’arrache mon dossard de rage.

Mais c’est finalement sans m’arrêter – même pour essayer de boire avec un semblant de dignité le verre d’eau tendu par les bénévoles du ravitaillement – que je parviens à finir mes dix kilomètres en un peu moins d’une heure. À 12 h 03, je tends un vieux bout de tissu jaune le relais à ma collègue Donnia en puisant dans mes toutes dernières forces pour lui lâcher un “À toi, Dodo” héroïque.

Donnia : relayeur 5 – 5 km

Il faut savoir que, pour moi, le marathon-relais, alors que je m’étais positionnée sur un petit bout de cinq kilomètres et que j’avais tapé trois semaines auparavant le dix kilomètres de Paris Centre, a été étrangement très… douloureux. Déjà parce qu’il ventait pas mal sur les quais, mais surtout parce que j’étais en retard et que j’ai commencé ma course en bas de l’avenue de Suffren pour arriver à temps.

Le fameux dimanche, en bonne Lune Balance, je prends quatre métros différents par peur d’arriver en retard ; je suis comme une Sim s’affolant face à sa cuisine qui flambe. J’imagine le pire : qu’un malaise voyageur m’empêche de rattraper le relais brandi par ma talentueuse coéquipière, que ma vessie ne soit pas de mon côté, que mon cœur s’arrête, qu’une gastro-entérite se déclare à la toute dernière minute, qu’une rupture d’anévrisme m’immobilise…

Ma sauce.

Bref, tout se calme quand je retrouve ma co-relayeuse Julie, fière de sa course et boostée par le high de son cinq kilomètres. Pendant qu’elle déguste sa boisson chaude hautement méritée, je lui montre avec fierté les deux petits drapeaux que j’ai accrochés à mon imperméable adidas turquoise : ceux de l’Algérie et de la Palestine. Après ma course, un bénévole me demandera : “Pourquoi ces deux petits drapeaux, alors ?” “Parce que ce sont mes deux pays”, répondrai-je dans toute mon algérianité. C’est un regret que j’ai eu lors de mon dix kilomètres : de ne pas avoir affiché une fierté ou un combat.

2004, c’est le numéro de notre équipe. J’ai pensé : “Tiens, le même jour que l’anniversaire d’Olivia Rodrigo, ça nous portera chance.” Manqué : elle est née en 2003. Chaussée de mes baskets adidas ultra-high-tech (qui remplacent mes mythiques et attachantes Kalenji qui ont fait le dix kilomètres avec moi, il faut grandir…), je lance la BO très rock, très new wave du film Les Magnétiques de Vincent Cardona, sorti en 2021. Camera Silens, Trisomie 21, Robert Görl, The Undertones, Joy Division passent dans mes oreilles.

Mes petits drapeaux.

Manon arrive, toute pimpante, avec le relais – à y repenser, je me dis que j’aurais pu tricher un peu et venir vers elle, gratter des mètres sans me faire cramer, mais tant pis ; Manon, si tu me lis, j’espère que tu ne m’en veux pas… Je suis fière du score des autres, qui font, pour la plupart, leur première compétition de course à pied, donc je veux les honorer et tenter de faire mon tour en moins de trente minutes.

Cinq kilomètres plus tard, c’est chose faite, j’ai dû faire vingt-huit minutes ou légèrement moins, même si j’en ai chié car le parcours présentait des pavés, de sacrées montées et descentes. Je ne m’entraîne jamais sur de la montée, c’est une règle que je me suis imposée, en bonne flemmarde. Mais sah quel plaisir de voir le 16e arrondissement parisien privatisé pour nous. Je vois Damien au loin, alors que je me ramollis un peu, et mon esprit se réveille subitement. Je me presse pour lui filer le relais : “Allez, vas-y !!!!”, je lui gueule. À toi, Damien.

Damien : relayeur 6 – 7,5 km

Certains ont fait la fête la veille, moi, j’ai mis fin à plus de deux ans de relation. On casse pas l’ambiance, nous ??? Naïf, je crois pouvoir puiser dans ce cataclysme sentimental pour triompher pendant la course. J’ai en tête le cliché du récent célibataire qui voue un culte à son corps, puisqu’il est désormais seul et qu’il n’a rien d’autre à faire que devenir la meilleure version de lui-même. Je me vois déjà courir avec mon casque sur la tête, isolé du reste du monde, bercé par les voix de Tarik et Nabil de PNL qui me rappellent à quel point Le Monde Chico est délicieux quand on est triste…

Dimanche matin, je redescends vite sur terre quand je réalise à nouveau que je suis célibataire et que, malheureusement, la vie n’est pas un film. Dès les premières foulées, je comprends que je n’ai juste pas envie de courir. Je sens que mes jambes sont lourdes, et je me demande si je vais réussir à finir la course. Mais bon, étant à l’initiative de ce marathon collectif, je me vois difficilement leur annoncer que je n’ai pas fini, et je crois surtout qu’ils me tueraient s’ils n’avaient pas leur médaille. Après à peine quelques mètres, je troque l’album de PNL pour une playlist créée pour l’occasion, parce que sinon je vais vraiment plonger dans la Seine.

Bon, pas besoin de vous refaire la course, vous commencez à la connaître. Seule différence, j’ai le droit à la ligne d’arrivée. Quand je la vois au loin et que je comprends que ce supplice est bientôt terminé, je me chauffe et commence à accélérer la cadence. Hop hop hop, beaucoup trop tôt, Damien, beaucoup trop tôt. J’arrive enfin, 4 h 22 affiché au timer ; j’ai fait environ quarante-cinq minutes, et je ne sais pas si c’est parce que je suis trop lent ou trop rapide, mais quand j’arrive, je suis seul. Et je ne vous cache pas que le moment où tout le monde vous regarde, vous applaudit et où le speaker vous gueule dessus, alors que vous avez l’impression d’être au ralenti, est légèrement cringe.

Enfin bon, voilà une bonne chose de faite. Je récupère mon lot de médailles, je passe manger deux-trois mignardises et siffler une bouteille de Coca au buffet, je me rappelle pour la 48e fois de la journée que je n’ai plus de copine, et je m’en vais prendre le métro. Je réalise que j’ai oublié mon casque au buffet. Comme je suis convaincu qu’en ce moment, ma vie, c’est de la merde, je suis sûr qu’il n’y sera plus. J’y retourne, il est encore là. Je le récupère, je me rappelle pour la 49e fois de la journée que je n’ai plus de copine, et je rentre dormir.

Un dodo à six médailles.

Article coécrit, dans l’ordre du relais, par Flavio Sillitti, Anatole Paput, Julie Morvan, Manon Marcillat, Donnia Ghezlane-Lala et Damien Garcia, dans le cadre d’une invitation du MAIF Ekiden de Paris et d’adidas.