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On a parlé avec le navigateur Maxime Sorel qui vient de gravir l’Everest

Mer ou montagne

On a parlé avec le navigateur Maxime Sorel qui vient de gravir l’Everest

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©Maxime Sorel

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Par Benjamin Mangot

Publié le

Embouteillages, pollution, projet fou d’Inoxtag, engagement associatif… Maxime Sorel nous livre le témoignage d’une aventure hors du commun et nous éclaire sur l’alpinisme.

Pour certains, l’aventure, c’est un week-end rando dans les Cévennes, mais d’autres n’aiment pas faire les choses à moitié. C’est le cas de Maxime Sorel, ce navigateur français de 36 ans qui s’est éloigné quelque temps de son voilier afin d’atteindre le sommet du mont Everest le 18 mai dernier. Il est alors devenu la première personne à boucler “l’Everest des mers”, surnom du Vendée Globe, qui est un tour du monde en solitaire sans escale et sans assistance, et à avoir gravi la plus haute montagne de notre planète.

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Quelques jours après son nouvel exploit, on a eu la chance de l’interviewer pour évoquer cette ascension incroyable ainsi que d’autres sujets comme la pollution sur l’Everest, les embouteillages, le projet d’Inoxtag ou encore son engagement associatif.

Konbini ⎮ Comment passe-t-on de la navigation à l’alpinisme ?

Maxime Sorel ⎮ Pour moi, c’est plus une passion, à la base. C’est avec mon frère, qui travaille avec moi, que j’ai découvert le milieu de la montagne avec toutes sortes d’activités, comme la cascade de glace ou le ski de randonnée, et c’est comme ça que je me suis passionné pour l’alpinisme. Malgré tout, c’est un milieu qui est assez similaire à ce qu’on peut retrouver en mer : des grands espaces, une activité qui se pratique en lien avec les éléments. Il y a souvent de grandes similitudes entre les histoires racontées par les montagnards et celles racontées par les marins.

Gravir l’Everest ne se fait pas en deux jours. Comment tu as vécu cette expédition ?

Le mot “expédition” prend tout son sens quand tu restes quarante-trois jours à attendre, à te préparer avant l’ascension finale. C’est quelque chose qui m’a plu mais que j’ai trouvé vachement long, alors que lorsque tu fais un tour du monde en bateau, t’es toujours en activité, t’as toujours quelque chose à faire. L’ascension de l’Everest, c’est donc beaucoup d’attente pour que ton corps s’adapte, crée des globules, s’acclimate au milieu, pour faire l’ascension finale qui ne dure que trois jours de montée et deux jours de descente.

Cette attente fait que ton corps s’acclimate petit à petit mais ton niveau de forme baisse aussi, c’est comme si tu vivais en permanence avec une bronchite. C’est ça, la vraie difficulté que j’ai rencontrée, c’est qu’au moment où tu vas faire l’ascension, ton état de forme s’est dégradé et t’es moins affûté que lorsque tu es arrivé.

Alors, on ressent quoi quand on est sur le toit du monde ?

Sincèrement, c’est quand même quelque chose d’assez magique. Moi je suis arrivé de nuit, donc au début, je n’ai pas vu grand-chose hormis ce ciel étoilé, en me disant que je ne reverrai jamais ces étoiles d’aussi près. Puis, quand le soleil s’est levé, c’était hallucinant… Tout est petit en haut de l’Everest et même les autres sommets de 8 000 mètres tu les regardes de haut comme si c’étaient de petits cailloux.

De nombreux témoignages parlent d’une surpopulation dangereuse sur l’Everest cette année. Partages-tu ce constat ?

J’y étais cette année où il y a le record de permis qui ont été délivrés (454 accordés par le gouvernement népalais). Sachant que chaque détenteur de permis est au moins accompagné d’un sherpa, on peut déjà multiplier ce nombre par deux. Ça fait vite du monde, et au camp de base, je ne m’attendais pas à voir une espèce de camping géant. Sur les pentes de l’Everest, on a dû ruser un peu en partant en décalé par rapport à la foule pour pouvoir éviter de se retrouver dans des bouchons sur des zones où tu ne peux pas passer à plusieurs.

Aussi, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de gens qui soient peu sensibilisés au milieu, c’est-à-dire des gens qui ne connaissent pas grand-chose à l’alpinisme et qui sont incapables d’être autonomes dans la montagne. Il y en a certains, on peut se demander ce qu’ils font là.

Certaines agences népalaises promettent 100 % de réussite à ceux qui sont prêts à mettre le prix fort, les permis ont dépassé les 10 000 euros… Pour toi, l’himalayisme est-il devenu une affaire de gros sous ?

Aujourd’hui, les Népalais, qui auparavant étaient recrutés par des agences internationales, ont créé leurs propres agences et détiennent la quasi-totalité de ce marché, ce qui est très bien pour eux, notamment car c’est un pays pauvre avec des salaires très faibles. En revanche, là, ils ont atteint un nouveau palier, car désormais, n’importe qui ou presque peut s’inscrire et grimper l’Everest. Sauf que cette année, il y a déjà eu treize morts.

On a vu Nims Dai (Nirmal Purja, Népalais star de l’alpinisme et du film documentaire Netflix 14 x 8000 : Aux sommets de l’impossible) et c’est juste du délire les tarifs qu’il propose à ses membres (clients) et le nombre de sherpas (porteurs et guides népalais) que ses membres ont pour assurer leur montée, c’est juste dingue. Et pourtant, ces membres ne sont pas prêts, car ils manquent de préparation, et ça, c’est assez dramatique.

Malgré tout, il y a clairement une prise de conscience de la plupart des agences et des sherpas. Ils commencent vraiment à se demander s’il ne faut pas vraiment durcir les règles et imposer un certain CV d’alpiniste prouvant que la personne a déjà grimpé au moins un autre sommet de 8 000 mètres.

Il y a quelques mois, le youtubeur Inoxtag, qui n’avait auparavant aucune expérience en alpinisme, annonçait son projet de se laisser jusqu’à fin 2024 pour arriver au sommet de l’Everest… Penses-tu qu’il s’agit d’un projet réalisable ?

Oui, clairement ! J’ai vu qu’il s’entraînait beaucoup, notamment du côté de Chamonix avec Mathis Dumas qui est un guide de haute montagne et photographe. Au début, je me suis dit que ça allait dans le sens de la polémique “n’importe qui peut grimper l’Everest”, mais j’ai l’impression qu’il se donne vraiment les moyens et qu’il prend cela très au sérieux. Pour moi, en un an, s’il prend vraiment le temps, il a moyen de devenir presque autonome, de prendre suffisamment de notions et de connaissances et de s’entraîner suffisamment pour être capable de gravir l’Everest. S’il le fait comme ça, je trouve ça génial, car il va pleinement vivre l’aventure, il va pouvoir profiter et ne pas simplement subir en se faisant tirer par des sherpas.

Partages-tu le constat de certains alpinistes qui décrivent l’Everest comme une décharge à ciel ouvert ?

Je pense que concernant ce discours-là, il faut aller voir pour constater. Au niveau du camp de base, il n’y a vraiment aucun papier qui traîne et j’étais assez surpris à ce niveau. C’est quasiment pareil sur les camps 1, 2 et 3. Cependant, il y a une problématique avec le camp 4 (dernier camp avant l’ascension finale), car avant que les membres n’arrivent au camp 4, les sherpas montent des tentes qui restent trois ou quatre jours sur place et, parfois, il y a des vents très violents qui déchirent les tentes. Ces morceaux de tentes vont alors se retrouver bloqués dans la glace et il est quasi impossible d’aller casser la glace pour les retirer.

Donc oui, on voit une certaine pollution au camp 4. En revanche, le gouvernement népalais et des agences montent des expéditions de dépollution de ces camps. Ces opérations ne se font pas tous les ans, car ils alternent entre les différentes montagnes, mais ils mettent en place des choses pour dépolluer. Il faut aussi faire attention, car certaines images relayées sur les réseaux sociaux, même par des comptes “spécialisés” dans l’alpinisme, ne sont pas forcément des images actuelles. De plus, s’il y a encore clairement de la pollution, la situation est bien mieux qu’il y a dix ans où c’était véritablement une décharge, en particulier sur le camp 4, notamment grâce à ces expéditions de dépollution qui ont été mises en place ces dernières années.

Tu as grimpé pour l’association Vaincre la mucoviscidose. Peux-tu expliquer ce que cela représente pour toi ?

Quand j’étais enfant, j’avais un voisin atteint de cette maladie qui avait reçu une greffe cœur-poumons, donc j’ai rapidement été sensibilisé à cette maladie. Avec mes parents, on a donc été proches de cette association et à partir du moment où j’ai commencé à faire des courses à forte ampleur médiatique, j’ai commencé par demander symboliquement à mon voisin d’enfance de venir hisser le drapeau de l’asso dans la mâture du bateau. Puis, de fil en aiguille, l’asso m’a contacté pour qu’on aille plus loin.

Aujourd’hui, je suis parrain national de cette association, et cette ascension, je l’ai clairement faite pour ces patients, pour me mettre moi-même dans des difficultés de capacité respiratoire, là où il y a le moins d’oxygène au monde, pour ressentir ce qu’eux vivent au quotidien. En haut de l’Everest, tu n’as que 30 % de capacité respiratoire, et c’est environ ce qu’a un patient atteint de mucoviscidose en attente de greffe. C’était assez symbolique pour moi aussi.

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Au final, c’est quoi le plus dur entre “l’Everest des mers” et le vrai Everest ?

Le plus dur, ça reste “l’Everest des mers”, le Vendée Globe, car toutes disciplines confondues, il n’y a vraiment pas plus dur. C’est une épreuve qui dure en continu pendant trois mois, où t’es tout le temps en activité et souvent en difficulté. En revanche, là où j’ai eu le plus peur, c’était clairement l’Everest, parce qu’à très haute altitude, la météo change très vite, avec un vent fort et des températures glaciales. Dans mon bateau, au moins, j’ai un pare-éléments, avec ma boîte à carbone, alors que sur l’Everest, c’est ton corps qui est en contact direct avec les éléments et tu sens que ça peut vite mal tourner.