Les banques européennes font un quart de leurs bénéfices dans des paradis fiscaux

Les banques européennes font un quart de leurs bénéfices dans des paradis fiscaux

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Par Thibault Prévost

Publié le

Selon le rapport de l’ONG Oxfam, les 20 plus grandes banques du continent ont dégagé près de 5 milliards d’euros de bénéfices au seul Luxembourg.

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Luxembourg,  Irlande, Hong Kong : voilà le tiercé gagnant de la finance européenne lorsqu’il s’agit de faire migrer ses bénéfices. Selon un rapport de l’ONG britannique Oxfam, paru le 27 mars avec l’aide du réseau Fair Finance International, les 20 plus grandes banques européennes déclarent plus d’un quart de leurs bénéfices dans ces paradis fiscaux – soit 25 milliard d’euros en 2015 –, alors que ceux-ci ne représentent, en moyenne, que 12 % de leur chiffre d’affaires et 7 % de leurs employés. Plus fort encore, pour 2015 ces établissements ont déclaré 628 millions d’euros de bénéfices dans des paradis fiscaux où elles ne possédaient pourtant… aucun employé.

Comment expliquer une telle surreprésentation de ces pays dans les livres de comptes de la finance européenne ? Par les profits que leurs politiques financières – pour le moins accueillantes voire carrément laxistes – permettent : dans ces pays, les établissements bancaires réalisent en moyenne 42 euros de bénéfice sur 100 euros de transaction, contre 19 euros de moyenne mondiale, offrant ainsi l’opportunité pour ces banques d’échapper à l’impôt.

Selon l’étude, le taux d’imposition moyen des banques dans ces paradis fiscaux “s’élève” à un maigre 6 %, descendant parfois à 2 % dans certains pays et chez certains établissements. À titre de comparaison, le taux d’imposition du secteur bancaire le plus faible de l’Union européenne s’élève à 12,5 %. Enfin, 383 millions d’euros de profits réalisés n’ont simplement pas été taxés, précise l’enquête.

Au Luxembourg, des employés 348 fois plus productifs

Au-delà de certaines situations particulières liées aux paradis fiscaux (Hong Kong est le siège de la banque HSBC), c’est le Luxembourg qui retient particulièrement l’attention des enquêteurs d’Oxfam. Le Grand-Duché, par bien des aspects, est en effet un monde merveilleux où la finance s’ébroue joyeusement dans les vertes plaines de la fiscalité avantageuse : en 2015, 4,9 milliards d’euros de bénéfices ont été dégagés là-bas par les 20 grandes banques européennes, soit “plus qu’en Grande-Bretagne, en Suède et en Allemagne combinées”. Au total, le Grand-Duché représente 5,2 % des bénéfices des grandes banques, pour 0,5 % de leurs employés.

Des employés stakhanovistes, dont la productivité est bien supérieure à celle de leurs homologues : chez Barclay’s, par exemple, 42 salariés ont dégagé 557 millions d’euros de bénéfices. Cela représente un montant ahurissant de 13 millions d’euros par employé, 348 fois supérieur à la moyenne mondiale de l’établissement, qui démontre l’absurdité de ces montages financiers.

Même constat en Irlande, autre pays de cocagne de la finance européenne, ou cinq banques  – dont la Société générale – “ont obtenu une rentabilité supérieure à 100 % et dégagent plus de bénéfices qu’elles n’ont de chiffre d’affaires”, souligne le rapport. Ubuesque.

90 milliards d’euros par an

“Un grand nombre de pays se retrouvent privés de l’argent nécessaire pour lutter contre la pauvreté et l’inégalité par des évadés fiscaux professionnels, les pays les plus pauvres étant touchés le plus sévèrement. L’évasion fiscale des entreprises multinationales coûte aux pays pauvres près de 90 milliards d’euros par an [selon les dernières estimations, elle serait de 18 milliards d’euros par an en France], conclut l’ONG. C’est suffisamment d’argent pour fournir une éducation aux 124 millions d’enfants qui ne vont pas à l’école et financer une couverture santé qui permettrait d’éviter la mort d’au moins 6 millions d’enfants.” 

Si l’on commence enfin à pouvoir mettre des chiffres sur l’ampleur des systèmes de l’évasion fiscale internationale, c’est grâce aux récentes mesures de transparence adoptées par l’UE obligeant depuis 2015 les banques à indiquer leurs profits pays par pays, ainsi que l’échange d’informations automatiques mis en place avec la Suisse depuis cette année.

Grâce à ces nouveaux outils, Oxfam avait pu sortir en 2016 son premier rapport sur l’activité du secteur bancaire dans les paradis fiscaux, qui révélait que les banques françaises réalisaient un tiers de leurs profits à l’étranger, soit 5 milliards d’euros échappant aux caisses du fisc français. Un premier pas vers plus de transparence avant, espérons-le, une harmonisation des politiques fiscales européennes plus que jamais nécessaire.