Un rapport inédit publié par trois ONG à partir de données officielles révèle qu’un tiers des profits bancaires français provient de paradis fiscaux.
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“Jusqu’ici on avait l’intuition que les paradis fiscaux jouaient un rôle essentiel dans la stratégie de développement à l’international des banques. Grâce à l’exercice de transparence auquel doivent désormais se plier les banques, en voici la preuve documentée”.
Dans Le Monde, Manon Aubry et Lucie Watrinet, respectivement d’Oxfam France et CCFD-Terre solidaire, se félicitent. Leur rapport d’enquête, publié mercredi 16 mars, a atteint son but : prouver que le secteur bancaire français, via ses plus grandes enseignes, réalise des bénéfices faramineux en utilisant allègrement les politiques avantageuses de ces îlots de fiscalité.
5 milliards d’euros de bénéfices
Un chiffre, LE chiffre, résume l’influence des paradis fiscaux dans le secteur bancaire : en 2014, BNP Paribas, Crédit Agricole, Crédit Mutuel-CIC, Société Générale et BPCE (Banque Populaire-Caisse d’Épargne) ont réalisé 5 milliards d’euros de bénéfices dans ces pays, soit le tiers des profits réalisés par ces banques à l’étranger. En tête du classement : BNP Paribas et Société Générale, qui ont respectivement réalisé 2,4 et 1,3 milliards d’euros de bénéfices dans le paradisiaque archipel fiscal, qui comprend entre autres Luxembourg, Monaco, la Belgique, Hong Kong ou l’Irlande.
Malgré une rentabilité intéressante pour ces banques, les paradis fiscaux ne représentent qu’un quart de leurs activités internationales déclarées, un cinquième de leurs impôts et un sixième de leurs employés, précise le rapport coécrit par Oxfam France, CCFD-Terre solidaire, Caritas-Secours catholique et l’ONG anticorruption Plateforme paradis fiscaux et judiciaires. À lui seul, le Luxembourg représente 11 % des bénéfices, ce qui en fait le troisième pays le plus rentables pour les groupes bancaires français.
Des données officielles disponibles pour la première fois
Ce rapport, qui permet enfin de quantifier précisément le flux de transfert de bénéfices du secteur bancaire et les réduction d’impôts qui s’ensuivent (on qualifie le procédé, au choix, d’optimisation ou d’évasion fiscale, selon l’endroit où on se place), est une grande première.
En effet, la promulgation de la loi bancaire française de 2013 oblige désormais les établissements à rendre publiques les données de leurs activités pays par pays, dont le chiffre d’affaires, les bénéfices, les impôts et les effectifs, pour plus de transparence. Jusqu’alors, seul le comptage de filiales était possible, ce qui maintenait les activités dans une confortable opacité.
La publication de ces données officielles (le reporting public) pays par pays a ainsi permis aux ONG de mettre en lumière la rentabilité des paradis fiscaux, un univers parallèle où les activités bancaires sont plus lucratives de 60 %, où les salariés sont 2,6 fois plus productifs et où les impôts sont, à bénéfice égal, deux fois moins élevés que dans le reste du monde.
Étendre le reporting
Pour l’économiste Thomas Piketty, qui signe un post de blog à ce sujet le 16 février, ces nouvelles données prouvent “que le reporting pays par pays est un outil indispensable de transparence financière et démocratique”. Prochaine étape pour les ONG : étendre cette obligation de reporting public à tous les secteurs de l’économie, afin de mieux lutter contre l’évasion fiscale des multinationales.
Le 16 décembre dernier, en pleine nuit, les députés avaient pourtant adopté la mesure, avant de se rétracter dans des conditions abracadabrantesques. Le secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert,était en effet intervenu pour interrompre la séance, expliquer aux députés pourquoi le gouvernement s’y oppose et demander une seconde délibération. À 1 h 15 du matin, les 46 députés encore présents (sur 577) enterraient finalement l’amendement. Néanmoins, la mesure sera à nouveau discutée lors de la discussion sur le projet de loi sur la Transparence de la vie économique, le 30 mars prochain.