Le Parrain : une offre que Coppola ne pouvait pas refuser

Le Parrain : une offre que Coppola ne pouvait pas refuser

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Question de survie.

Il y a 50 ans sortait Le Parrain. Premier volet légendaire d’une trilogie mythique. Pièce majeure du cinéma de gangster, et du 7e art tout court. Un de ces chefs-d’œuvre incontestés autour duquel on a tous envie de se raconter de belles histoires. Sur sa création, notamment. Quel plaisir de s’imaginer que le film serait né d’un choix de cœur de son réalisateur, Francis Ford Coppola. Plus encore : que le cinéaste aurait accouché de cet opus magna au terme d’une longue et patiente gestation, à l’image du Il était une fois en Amérique de Sergio Leone. Joli tableau… Sauf que non, l’histoire est tout autre.

Lorsque Coppola accepte de tourner le film qui devait le couronner comme l’un des plus talentueux cinéastes de sa génération, il est en dèche de thunes. Genre en rade, vraiment. Alors ce n’est pas pour l’amour du script qu’il se lance dans le projet mais tout bonnement par… Nécessité. Et à reculons. Ça casse un peu le mythe, hein ? Voyez plutôt.

I need a dollar, dollar

Après avoir vécu sur le fil en trimant pendant de pénibles années dans le milieu des petites productions érotiques courant 60’s, Coppola signe une poignée de longs métrages parfois remarqués (Big Boy, 1966). Surtout, il fonde avec un certain George Lucas les studios American Zoetrope, en 1969. Tout semble alors possible. Mais les folles aspirations du tandem tournent court. À l’automne 1971 sort le THX 1138 de Lucas, produit par la société qu’il a cofondé. C’est la douche froide : le film est un échec cuisant au box-office.

Les doux rêves de conquête de Hollywood partent en fumée. Et Coppola se retrouve endetté auprès de la Warner Bros. d’une somme mirobolante : 400 000 dollars. Le réalisateur a deux jeunes bouches à nourrir, et une société à maintenir à flots. Panique. C’est durant cette période pas franchement fastueuse que la Paramount s’adresse à Coppola pour tourner un film de mafieux à petit budget : Le Parrain.

Malgré ses soucis financiers, il décline le job. Motif ? La source d’inspiration du film (un roman éponyme publié en 1969) serait sensationnaliste et sordide – une œuvre “de bas étage”. N’empêche. C’est accepter, ou risquer de devoir mettre la clé sous la porte des studios American Zoetrope. Après mûre réflexion, et de houleuses discussions avec son entourage, Coppola s’engage dans le projet, un peu la mort dans l’âme – avec l’espoir, quand même, que ce pari commercial lui permette bientôt de recouvrer sa liberté artistique.

“Ils voulaient le faire (le film) avec un très petit budget, c’est sûrement pour cela que j’ai été engagé. J’étais jeune ; j’avais deux enfants et un bébé en route. Je n’avais pas d’argent. Donc, je n’ai eu d’autre choix que de réaliser le film pour le studio”, avait expliqué le réalisateur dans une interview de 1997 qui accompagnait l’édition spéciale 25e anniversaire du Parrain.

La patte Coppola, le triomphe du Parrain

Notre réalisateur est officiellement annoncé réalisateur du Parrain en 1970. Avec en tête, déjà, l’idée de faire de ce film de commande retraçant la sanglante ascension d’un membre de la Cosa Nostra une audacieuse métaphore du capitalisme sauvage américain. La méthode ? Présenter la famille Corleone comme structurée par une hiérarchie pyramidale autoritaire, mettre en scène des protagonistes jouant des coudes pour acquérir plusieurs “parts de marché”. Et suggérer que derrière chaque liquidation de concurrence, il y a le fameux “it’s business, nothing personal”. Voilà pour le concept.

Côté coulisses de tournage, gros orage dans l’air. Coppola engage un corps-à-corps pugnace avec la Paramount pour imposer Marlon Brando dans le rôle Vito Corleone, et a souvent répété en interview que son expérience sur les plateaux avait été cauchemardesque. Le studio n’appréciait ni son casting, ni sa manière de filmer. Après avoir accepté pour ainsi dire par “contrainte” le projet du film, Coppola a le sentiment qu’une épée de Damoclès plane au-dessus de sa tête. La Paramount allait-elle le renvoyer avant que le projet n’aboutisse, lui qui peinait à joindre les deux bouts ? Nous connaissons la réponse.

Non seulement le cinéaste est resté à son poste, mais il a fait du Parrain un immense succès. Le film rafle trois des plus prestigieux oscars : meilleure réalisation, meilleur acteur – pour Brando –, meilleur scénario adapté. Le film se propulse au rang de film le plus rentable de tous les temps, jusqu’à ce qu’il soit détrôné par Les Dents de la mer en 1975, un film tourné par une autre signature majeure du Nouvel Hollywood : Steven Spielberg.

La suite n’a rien d’un secret. Un second volet retentissant, le triomphe d’Apocalypse Now, la troisième partie du Parrain venant clôturer une saga qui ne cesse de fasciner, aujourd’hui encore. La preuve, Paramount+ vient d’accueillir la série The Offer qui revient, en coulisses et dans les détails, sur le tournage chaotique du premier volet de la saga.

Ne cherchez pas le nom de Coppola au générique, vous ne l’y trouverez nulle part. Le réalisateur n’a pas participé au show. Trop occupé, peut-être, à enfin faire aboutir Megalopolis. Un projet qui le tient en haleine depuis les années 1980 – période durant laquelle il avait commencé à rédiger le script de ce projet SF pharaonique qui devrait se dérouler dans un New York futuriste, inspiré de la Rome antique. Ambition visionnaire, long temps de maturation… Le nouveau bébé de Coppola serait-il le projet bien-aimé que Le Parrain n’avait pas été ? Possible. Reste à lui souhaiter la même réussite que son aîné !