Den Sorte Skole, le groupe danois cent pour samples

Den Sorte Skole, le groupe danois cent pour samples

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Par Tomas Statius

Publié le

Avec Lektion III, le groupe danois Den Sorte Skole impose une nouvelle manière de faire de la musique et compose uniquement à partir de samples. Un pari fou que Martin Højland et Simon Dokkedal entendent réitérer avec un album à paraître en avril. 
Avec Den Sorte Skole on se trouve face à un gros problème. Car ce que font Simon et Martin – les deux membres du groupe né un beau jour de 2001 sur les bords de la mer baltique – ça n’a pas vraiment de nom, ni de précédent.
Pour la faire simple, plutôt que de jouer du clavier et de tâter la boîte à rythmes comme tout bon musicien électronique qui se respecte, les deux hommes ont pris les chemins de traverse et passé trois ans à sampler tout ce qui passait dans leurs casques. C’est comme ça qu’ils ont composé leur troisième album Lektion III, à base de samples de guitares éthiopiennes, de slide blues, de voix féminines ou de nappes planantes.
Si le rendu est impressionnant – écouter Lektion III est véritablement une expérience étonnante tant le résultat final est net et précis – des questions restent inlassablement sans réponse à propos du groupe dont le nom veut dire l’école noire. Qui sont-ils ? Qu’est-ce qu’ils faisaient avant ? Et surtout qu’est-ce qui est passé par la tête de deux jeunes mecs qui se sont enfermés pendant trois ans avec le seul plaisir relatif de geeker sur Discogs comme unique distraction ?
C’est pour répondre à ces interrogations qu’on est allé les voir.

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Contre les apparences médiatiques qui font du groupe un phénomène relativement récent, on est étonné d’apprendre d’emblée que Den Sorte Skole c’est une histoire qui remonte au début des années 2000 quand Simon est tombé sur Martin alors qu’il était en train de mixer en plein air, l’été. “Je trouvais qu’il passait de bon disques” commente le premier, “je me suis arrêté et j’ai amené mes disques. C’est comme ça que tout a commencé”. 
D’abord trio, le groupe a rapidement évolué vers sa forme actuelle : un duo qui bosse à base de samples. C’est pour ça qu’ils sont d’ailleurs connus au Danemark, eux qui ont déjà joué plusieurs fois à Roskilde, le plus grand festival du pays, surnommé le “Woodstock de l’Europe du Nord” :

Martin | On s’est rencontrés il y a 12 ou 13 ans. On est un groupe depuis 11 ans. Avant cet album, on avait joué que deux fois en dehors du Danemark. On a joué deux fois à Roskilde, déjà. Et jusqu’ici personne ne nous connaissait hors du Danemark. Et il faut dire qu’on a pas fait beaucoup d’efforts pour que ça soit autrement. Ça nous suffisait jusqu’à là.

“Quand tu es sur Discogs, tu as l’impression que tous les disques ont une importance”

Martin | Je n’ai pas écouté de nouveautés pendant trois ans. C’est devenu une obsession véritablement. Quand tu es sur Discogs tu as l’impression que tous ces disques ont de l’importance et que tu dois les posséder. Tu ne peux plus te contenter de ce que tu écoutes à la radio.

Dévoilé il y a un peu plus d’un an sur Soundcloud, distribué gratuitement (aucune maison de disque ne peut se permettre de vendre un album fait de samples dont la plupart ne sont pas déclarés) avant de sortir en vinyle il y a peu,  le disque est à l’image de l’engagement des deux hommes : gigantesque. Pour leur prochain album annoncé pour le 27 avril, ils promettent encore plus de samples.

La création musicale a-t-elle une fin ?

Alors qu’ils sont confortablement assis, et sirotent leur café, est-ce qu’ils ont conscience que leur manière de procéder met un peu à mal la manière canonique qu’on a de faire de la musique aujourd’hui ? Oui et non. Si le manifeste accompagnant leur disque est digne d’un article universitaire et parle de l’équivocité à faire un disque à partir d’autres, Martin et Simon eux, repoussent cette image d’intello de la musique. Ils ont juste un message à faire passer. Aujourd’hui comme hier, la musique répond à des normes. Et celles-ci font que les copies sont nombreuses. Simon explique :

Simon | Mettons tu veux produire une chanson en mi-mineur. Quand tu regardes un peu ce qui a été fait, tu te rends rapidement compte qu’il y a des milliers de chansons qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.
Si on avait continué selon ce processus on aurait pu empiler des chanson similaires : même progression, même tonalité. D’une certaine manière, tout a déjà été fait. Je ne sais pas vraiment si de la nouvelle musique a été produite… peut-être qu’elle n’est que la copie de ce qui était fait avant…

Aujourd’hui, faute d’invention de nouveaux outils ou de nouveaux us, la musique tourne en rond. Un peu comme Awesome Tapes From Africa qui allait voir ailleurs pour se nourrir de sons novateurs, Den Sorte Skole regarde en arrière. Avant, la musique se suffisait et répondait vraiment à l’envie de créer. Aujourd’hui c’est plus compliquée : 

Martin | Bien-sûr il y a encore des groupes qui rendent la musique vivante. Voir un groupe de free-jazz dans un club n’a rien à voir avec aller à un gros concert. Eux, ils vivent la musique…
Simon | Aujourd’hui tu as l’impression que les gens vivent pour faire de l’argent. Dans les années 1950, 1960, on jouait de la musique en grande partie parce que tu pouvais le faire genre “hé regarde j’ai ce nouveau piano, essayons-le”. Aujourd’hui on essaie de tout mettre dans des boites. Tu te rends compte que la spontanéité, cette énergie est moins forte qu’elle ne l’était avant.

La quête de l’école noire n’est pas encore arrivée à son terme. Rendez-vous le 27 avril prochain pour découvrir la prochaine leçon.