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Awesome Tapes From Africa n’est pas juste un mec qui mixe avec des cassettes

Awesome Tapes From Africa n’est pas juste un mec qui mixe avec des cassettes

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Par Tomas Statius

Publié le

From Ghana With Love

En 2002, Brian n’est pas encore Awesome Tapes From Africa. Étudiant en ethnomusicologie, il n’est qu’un “random dude” qui barroude en Afrique de l’Ouest à la recherche de la vraie musique africaine, celle qui est écoutée par les locaux et fait vibrer d’Accra jusqu’en haut de la côte d’Or. De retour dans la capitale ghanéenne en 2005 pour un voyage d’étude, le jeune homme tombe finalement amoureux de la musique africaine.
Des raretés traditionnelles aux curiosités locales :

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Ce qui m’intéresse le plus, encore aujourd’hui, c’est la musique de la Corne d’Afrique [péninsule d’Afrique de l’Est qui regroupe Djibouti, l’Érythrée, la Somalie et l’Éthiopie, ndlr], de la folk music ou des trucs qui sonnent comme de la musique traditionnelle mais sur lesquels les gens dansent en soirée. Les dernières années, la musique Fuji du Nigéria m’a aussi vraiment passionné, notamment leur utilisation des outils électroniques comme les synthétiseurs et les boîtes à rythme.
Toutes les régions ont leurs lots de styles musicaux, de langages, et d’artistes. Il y a encore tant de choses à découvrir, et tant d’artistes qui méritent d’être repérés par l’industrie musicale.

Cassette-mania

On ne sait si c’est l’attrait grandissant des producteurs occidentaux pour la musique africaine ou la quête éperdue des jeunes générations pour de vintage mais la sauce Awesome Tapes From Africa finit par prendre. Rapidement, l’homme empile les clics, les encouragements et les soutiens. “Encore aujourd’hui les gens m’envoient des cassettes : des journalistes, des amis, des fans” précise t-il. Depuis quelques années, il trimballe aussi ses cassettes aux quatre coins du monde pour les faire vivre en DJ-set. Une manière pour lui de promouvoir la musique de son coeur. Et de la rendre à son contexte d’origine :

Je n’ai jamais eu pour but d’être un DJ mais mais il faut le dire, c’est aussi le moteur du label. C’est comme ça que le projet avance.
C’est génial d’avoir une performance live. C’est très difficile de faire jouer des musiciens africains en Europe en raison des visas, du coût des billets etc. En fait mes DJ set c’est une sorte de palliatif : c’est comme ça que je diffuse cette musique dans le monde et que je fais connaître le projet. Et puis je trouve ça important de remettre la musique dans son contexte d’origine : elle n’est pas faite pour qu’un mec l’écoute tout seul dans sa chambre.

D’un blog dédié à la musique africaine diffusée par cassettes, Awesome Tapes From Africa est devenu il y a quelques années une entreprise complètement dédiée à ce médium. Alors que ses contemporains et les musiciens africains délaissent finalement les bandes pour les disques ronds ou durs, Brian lui continue à s’y accrocher. Altruiste, il récupère encore des raretés qu’il poste sur son site en version numérique. Ou ressort en grande pompe : “Ma principale activité c’est de rééditer des albums de musique africaine qui sont sortis uniquement localement, des oeuvres brillantes qui mériteraient d’être disponibles à l’international”.  

“Ramener de l’équité dans un système qui ne l’est pas”

Derrière l’archivage, le but de Brian Shimkovtiz c’est aussi d’être le moteur d’une prise de conscience. Dans la musique, depuis l’internet et la démocratisation des outils de production, il n’y a plus de frontières qui vaillent, plus de séparations qui aient du sens. Ne reste qu’un grand village mondial, une gigantesque sono dont les rythmiques vrombissent du Cap jusqu’à Sidney :

Ce qui m’intéresse c’est d’abattre ces cloisons mentales que nous avons encore aujourd’hui dans le milieu musical. Aujourd’hui tu sais, il y a surement des mecs en Afrique du Sud qui adorent Radiohead et d’autres en Europe qui vouent un culte à Fela [Kuti, le père de l’afro-beat, ndlr]. Il est important de ramener de l’équité dans un système qui ne l’est absolument pas. La terre est ronde après tout. Autant que la musique tourne.  


Cette idée, ils étaient d’ailleurs quelques-uns à la défendre aux dernières Trans Musicales, de Den Sorte Skøle à Prieur de la Marne. Si les premiers, danois, ont fait étalage de leur connaissance exhaustive de la musique à chaque chanson où ils allient les samples comme d’autres empileraient les Duplo, le second, français, fait se rencontrer musique électronique et classique de la chanson française. Loin d’être deux cas isolés, pour l’intéressé, c’est le signe que la création musicale a besoin de respirer pour continuer à inventer.
Et pour le faire, elle se doit de regarder devant. Ou ailleurs :

Les gens en ont marre d’écouter la même merde qui existe depuis des années. Certes les Beatles c’est très cool, mais c’est difficile de se renouveler constamment à partir d’une même base. Nous vivons dans un monde globalisé et je pense que les gens ont finalement envie d’écouter de la musique différente.
Alors que des mecs créent à Paris avec la production des autres, à Dakar il y en a d’autres qui font exactement la même chose.

Par l’archivage, c’est des ponts entre les cultures qu’entend construire Brian dit Awesome Tapes. “Je suis un ethno-musicologue qui oeuvre pour le bien commun” conclut-il finalement. Comme une évidence.