Ces vingt dernières années, les séries adaptées de comics, bandes dessinées et romans graphiques ont explosé sur les chaînes et les plateformes. Outre les œuvres populaires issues des grandes maisons d’éditions américaines de super-héros type Marvel et DC Comics, le marché indé a séduit de plus en plus de diffuseurs. The Umbrella Academy sur Netflix, The Boys chez Amazon ou encore Watchmen pour HBO ont agrandi leur fanbase grâce à ce nouveau format. Pourtant, certains auteurs doivent parfois batailler pour garder le contrôle sur l’adaptation et accoucher d’une version à la fois fidèle et contemporaine, doublée des qualités des séries d’aujourd’hui.
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Mais aucune n’a rencontré plus d’obstacle que Y, le dernier homme, un comics culte signé Brian K. Vaughan et Pia Guerra. Cette série terminée, publiée entre 2002 et 2008 chez Vertigo aux États-Unis puis chez nous aux éditions Urban Comics, est une lecture culte pour les aficionados du 9e art.
Récompensée de plusieurs prix élogieux dont les Eisner Awards, adoubée par des auteurs célèbres comme Stephen King, Y, le dernier homme est une œuvre post-apocalyptique aussi culte que The Walking Dead pour les amateurs du genre. Forcément, elle avait tout pour séduire les scénaristes et diffuseurs du petit écran, même s’il aura fallu attendre 2015 et une commande de pilote de la part de la chaîne FX pour poser les premières bases d’une adaptation devenue quasi maudite.
Une production de Charybde en Scylla
La première image du pilote original, alors que la série s’appelait encore “Y”. (Ⓒ FX on Hulu)
Comme souvent dans ce genre de cas, Vaughan est invité en tant que producteur consultant pour élaborer la série. Après un premier script et l’arrivée du showrunner Michael Green sur le projet, l’adaptation semble complètement lancée. En réalité, les deux hommes mettront près d’un an pour accoucher du scénario du pilote, validé par FX en 2017. Puis, silence radio. Jusqu’en janvier 2018, où John Landgraf, le patron de la chaîne, déclare lors des TCA que des décisions créatives sont toujours en cours. En réalité, Michael Green a quitté le projet pour débarquer en catastrophe sur la saison 2 d’American Gods, également privée de son showrunner.
Après trois ans de développement qui n’ont rien donné, on pensait la série définitivement enterrée. Mais à l’été 2018, FX décide finalement de produire le pilote, avec un réalisateur, un cast et le retour de Michael Green à la supervision. À ce moment-là, la sortie de l’adaptation est fixée à 2020. À mi-chemin, Green quitte définitivement l’aventure pour des (notoires) raisons de conflits artistiques, et la série est encore reportée. En fin de compte, la scénariste Eliza Clark (Animal Kingdom, The Killing) prend les choses en main, réécrit les deux premiers épisodes de la saison et recrute une équipe 100 % féminine derrière la caméra.
En résumé, le développement de la série Y: The Last Man a été pour le moins chaotique. Mais malgré les difficultés rencontrées et la pandémie, qui est venue une fois de plus jouer les trouble-fêtes sur un tournage suspendu plusieurs semaines en 2020, l’adaptation a finalement vu le jour. La détermination d’Eliza Clark et de la chaîne FX n’ont toutefois pas suffi pour faire de Y: The Last Man une grande série post-apocalyptique, potentiellement capable de prendre la relève alors qu’un certain blockbuster zombiesque approche de sa fin.
Girls power
Ⓒ FX on Hulu
Le pitch de Y: The Last Man est plutôt simple mais très spectaculaire : la Terre est frappée par une épidémie soudaine et brutale qui tue tous les mammifères porteurs du chromosome Y, les hommes et les animaux masculins en résumé. D’abord paniquées et sous le choc, les femmes doivent rapidement s’organiser pour espérer survivre et maintenir un semblant de civilisation. Pour une raison inconnue, seul Yorick, un magicien raté, et son singe domestique Ampersand, en réchappent. La série suit leur parcours dans une Amérique dévastée alors que sa mère est élue nouvelle présidente des États-Unis et ignore qu’il est encore en vie.
Si l’adaptation est très fidèle aux comics, Eliza Clark a opéré quelques changements majeurs qui concernent surtout l’écriture des personnages, pour les rendre plus réalistes et surtout contemporains. Par exemple, les personnages appartenant au spectre des minorités LGBTQIA+, transgenres ou intersexes et quasi inexistants dans les pages originales, sont désormais intégrés à l’histoire. Ainsi, la showrunneuse a confirmé que les femmes transgenres, les individus androgènes et/ou non-binaires “possédant le chromosome Y sans en avoir conscience” selon ses mots, font partie des victimes de l’épidémie. Une volonté de réalisme qu’on salue et qui se manifeste à l’écran, notamment avec l’ajout de l’acteur transgenre Elliot Fletcher au cast.
L’introduction du cataclysme à l’origine de cet andricide global est retranscrite de façon saisissante dans la série. Si FX a perdu beaucoup d’argent dans le développement chaotique de l’adaptation, cette dernière reste d’une grande qualité visuelle. La mort des “Y” qui survient dans le premier épisode est sanglante, brutale, terrifiante. Du président des États-Unis au petit musicien du quartier en passant par les enfants (oui, oui) et les chiens, tous s’écroulent soudainement devant le regard horrifié de leurs épouses, collègues de travail, tantes, sœurs, etc. Avec une mise en scène soignée faisant grimper l’angoisse de façon crescendo, Y: The Last Man assure son point de départ avec force.
Ⓒ FX on Hulu
À la manière du comics, l’adaptation se transforme ensuite en série chorale où l’on suit le parcours de Yorick mais aussi de plusieurs femmes aux statures, valeurs et personnalités diverses et variées. Jennifer Brown prend les rênes du pays, Hero, la sœur de Yorick, échappe à la prison grâce à la catastrophe, Kimberly, une jeune autrice, doit gérer sa grossesse seule… Les noms et les profils défilent au cours des épisodes, si bien qu’on s’attache à certains personnages tandis que d’autres nous lassent vite. C’est le propre (et la difficulté) d’une série chorale : l’équilibre entre les protagonistes, qu’Y: The Last Man a bien du mal à être trouvé.
Car malgré des prestations solides et des intrigues émouvantes, le show a du mal à tirer son épingle du jeu. Passé l’impact bouleversant de l’épidémie, Y: The Last Man reproduit des codes très classiques du survival. Que ce soit du point de vue de Yorick, amené à trouver un refuge, rencontrer une forme d’antagoniste et finalement fuir pour espérer survivre, mais aussi des femmes qui tentent de reconstruire un gouvernement et peinent à s’imposer ou faire preuve d’une sororité à toute épreuve, les tropes se répètent. La série s’enferme rapidement dans un schéma cyclique qui n’est pas sans rappeler The Walking Dead, et qui ne réinvente rien dans le genre malgré cette thématique très progressiste d’une société finalement devenue matriarcale par nécessité.
Pourtant, il aurait été intéressant de poser les enjeux, les qualités et les limites d’une société gouvernée par les femmes, à l’heure où le patriarcat est fortement critiqué et en pleine déconstruction. Malgré son envie de bien faire, ses ambitions visuelles et ses ajouts narratifs modernes comparé au matériau de base, Y: The Last Man n’ose pas s’attaquer à une forme de révolution féministe à l’échelle planétaire. Or, il est difficile de tenir en haleine le public autour du simple mystère qui entoure la survie de Yorick ou même de l’origine de l’épidémie, qui n’a jamais été pleinement résolue dans les cases de Vaughan et Guerra.
En France, la première saison d’Y: The Last Man est diffusée tous les mercredis sur Disney+, à raison d’un épisode par semaine.