Une planète dévastée, inhabitable, avec zéro trace de vie à des kilomètres à la ronde : tel est l’état déplorable, et surtout irréversible, dans lequel Clarke et ses pairs ont laissé notre Terre, à l’issue de la cinquième saison de The 100 programmée en 2018. Au vu de ce dénouement, la série n’avait d’autre choix que de se réinventer, et ce le plus radicalement possible. C’est ce qu’elle a fait, en partie, dans son sixième tour de piste qui signe le début d’une nouvelle ère. Pour l’humanité, mais aussi pour l’humain.
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Plus d’un siècle après avoir fait leurs adieux à feue la planète bleue, Clarke et son équipage sortent de leur coma artificiel pour s’enquérir d’une mission précise : aller explorer Sanctum, le seul astre potentiellement habitable en vue. Très vite, une fois sur place, ils entrent en contact avec le peuple vivant là depuis des décennies, composé d’ex-terriens qui ont élu domicile ici et ont formé leur propre société. Une société élitiste, gérée d’une main de maître par Russell (J. R. Bourne, croisé dans Teen Wolf).
Car oui, les résidents de Sanctum obéissent à un groupe de personnes, appelées les “Primes” en VO et qu’on pourrait appeler les Pionniers. Ce terme désigne les quatre familles qui ont colonisé pour la première fois la planète en question. Au fil du temps, les membres de ces familles ont été placés sur un piédestal, le reste de la population leur rendant fréquemment hommage à travers des rituels quasi religieux. La cérémonie la plus notable est appelée “Naming Day” : une personne issue du peuple est alors sélectionnée pour devenir la réincarnation de chaque Pionnier. Et pour le coup, on parle de réincarnation littérale.
(Ⓒ The CW)
Plus que sur Terre, la technologie sur Sanctum paraît hautement plus pointue et permet, entre autres, le transfert de conscience. En effet, si ces rites de réincarnation semblent plus symboliques qu’autre chose aux yeux de Bellamy et de ses comparses, il n’en est rien. Dans les faits, la conscience de chaque Pionnier est encapsulée dans une puce et se voit par la suite implantée dans le corps d’un citoyen choisi. Ce dernier n’est donc plus vraiment là, puisque c’est la conscience du Pionnier qui prend le dessus et s’empare ainsi du contrôle de son enveloppe charnelle. La finalité ? Les Pionniers sont capables de vivre éternellement, changeant de corps à n’importe quel moment, selon leur bon vouloir.
En soi, The 100 s’était déjà frottée au transhumanisme tout au long de la troisième saison, quand l’intelligence artificielle A.L.I.E. prenait le contrôle des survivants terriens en s’immisçant dans leur conscience, comme un virus via une puce élaborée. Mais c’est ici la première fois dans la série que la conscience d’un être humain est transférée dans le corps d’un autre être humain.
The 100 aborde le transfert de conscience de la même façon, ainsi que le développe le Daily Mail dans son article creusé sur le transhumanisme. Dans cette analyse du journaliste Alexander Thomas, on redécouvre peu ou prou l’intrigue que suit la série post-apocalyptique en saison 6 :
“On se retrouverait avec un scénario comprenant une petite élite, qui concentre presque toute la richesse avec un accès aux technologies les plus puissantes de l’histoire mondiale, et une masse excessive de personnes qui n’ont plus leur place dans l’environnement évolutif au sein duquel elles se retrouvent et qui sont donc dépendantes de la bonne volonté de l’élite.”
C’est ce qui se passe sur Sanctum, où la “plèbe” est soumise aux directives des Pionniers, qui sont détenteurs des plus grandes ressources technologiques de la planète. Cela dit, on pourrait très bien soutenir que la population pourrait s’extirper de leur joug pour gagner en émancipation. Une alternative a priori simple, qui ne l’est en fait pas du tout. En partie car le peuple n’est pas pleinement au courant que les cérémonies de réincarnation sont en réalité des transferts de conscience. Et s’ils ne sont pas au courant, c’est bien parce que l’élite le leur cache, avec pour couverture une prétendue religion qu’ils ont pris soin d’instaurer.
Les Pionniers établissent leur suprématie en se faisant passer, aux yeux du peuple, pour des divinités qui bravent le temps en changeant d’enveloppe corporelle. “Si nous voulons la vie éternelle, nous devrons réécrire notre code génétique truffé de bugs et devenir semblables à des dieux”, explique David Pearce, l’une des figures majeures du mouvement transhumaniste. Chez The 100, on applique cette réflexion un peu trop au pied de la lettre. Sous couvert de la déification qu’ils s’octroient, les Pionniers s’assurent de maintenir l’ordre et de légitimer leur place en haut de l’organigramme sociétal.
(Ⓒ The CW)
Il y a bien un détail qu’on ne peut s’empêcher de remarquer. Lorsque la science a commencé à se développer au fil des siècles, elle était constamment mise en opposition avec la religion, comme si la croyance, la foi n’étaient pas compatibles avec le progrès technique en un sens. Ce qui est intéressant dans cette sixième saison, c’est que les deux fonctionnent conjointement, mais pas de la manière à laquelle on pourrait s’attendre. Ici, la religion est un prétexte venant couvrir les dérives de la technologie.
Au-delà de tout ça, The 100 veille à soulever une question éthique. Effectivement, les Pionniers poussent à l’augmentation de leur population afin d’avoir une multitude d’hôtes potentiels chez qui transférer leur conscience si besoin est. Le dilemme est donc le suivant : faut-il se reproduire pour donner la vie, ou bien se reproduire pour que cette vie soit dérobée et utilisée comme simple réceptacle ? Pour nous mettre sur la voie, la série inclut les Enfants de Gabriel, un groupe dissident s’opposant fermement aux pratiques des Pionniers, qui pourraient s’apparenter à de l’atteinte à l’intégrité physique par chez nous.
Dans ses meilleurs moments, The 100 réussit à outrepasser son statut de série ado pour s’attaquer à des questionnements forts, touchant aussi bien à l’éthique qu’à la philosophie. Si le reste est assez édulcoré, la série de Jason Rothenberg a le mérite de mettre des pistes de réflexion à la disposition de son jeune public. Et prouve, dans la foulée, qu’il est possible d’allier le genre du teen drama futuriste avec des problématiques sociétales pertinentes.
La saison 6 de The 100 est actuellement en diffusion sur la CW aux États-Unis, et reste encore inédite en France.