Très loin de l’inspiration porn qu’on accole souvent aux personnes en situation de handicap ou neuroatypiques, Special sent le vécu, et c’est ce qui fait toute la différence. Et, chose plus rare encore, c’est une comédie romantique émancipatrice. Son héros n’est pas hétéro, ni valide, il est ultra-attachant mais ce n’est pas non plus un saint (on peut le trouver parfois injuste avec sa mère, ou égoïste), et il ne cherche pas l’amour de sa vie mais simplement à trouver sa place dans un parcours sentimental et sexuel semé d’embûches. Sa première fois, c’était avec un travailleur du sexe, et il pensait ainsi se débarrasser de certains stigmates (imaginaires ou non) qu’un partenaire non rémunéré pourrait avoir sur son corps ou sur sa virginité.
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En saison 2, plus assuré dans ses pompes, Ryan explore toutes les possibilités qui lui sont offertes et il a bien du mal à savoir véritablement ce qu’il veut. Mais après tout, qui n’est pas paumé en entrant sur le grand marché de la baisabilité de nos jours ? La réponse est : toutes les personnes que la société n’estime pas “baisables” justement. Et ça fait un paquet de monde, des gens que l’on ne voit jamais sur nos écrans.
Un début de réponse à ce manque flagrant, c’est donc Special qui nous la sert sur un plateau. En adaptant en série ses mémoires intitulées I’m Special: And Other Lies We Tell Ourselves (2015), Ryan O’Connell se réapproprie les codes de la rom-com et les applique aux spécificités de son existence, celle d’un jeune homme queer qui a été surprotégé par sa mère en grandissant avec une paralysie cérébrale.
© Netflix
Un projet qui fut d’abord difficile à vendre, comme on peut l’imaginer, mais qui saute pourtant à pieds joints dans les questions d’intersectionnalité. Il y a un tel manque de représentations du handicap sur nos écrans que Special a finalement rapidement trouvé sa place. Et quel cadeau elle nous fait en saison 2 ! Ryan est désormais prêt à quitter le nid et à s’extirper de l’étreinte, certes aimante mais un poil envahissante, de sa mère. Maintenant que sa virginité n’est plus qu’un lointain (et embarrassant, selon lui) souvenir, il est bien décidé à cueillir les roses de la vie, à croquer la pomme, bref, à kiffer.
Et plus encore qu’en saison 1 (il y fait l’amour pour la première fois à l’épisode 3), le sexe et l’intimité des corps sont des questions centrales de ces huit nouveaux épisodes. On n’avait jamais vu un corps nu comme celui de Ryan avant sur nos écrans. La vie sexuelle des personnes handicapées reste taboue, inexistante, cachée. Mais pas dans Special. En cela, on peut la comparer à Shrill dans sa démarche de lever un voile sur des silhouettes que l’on se refuse à voir et, par extension, à qui l’on refuse toute existence dans nos fictions (sauf pour jouer les sidekicks). Cette autre petite merveille, disponible sur Hulu cette fois (et sur Canal+ Séries chez nous), met en scène la vie amoureuse et sexuelle d’Annie, une femme grosse.
Ici, non seulement Ryan désire, tâtonne, demande à son amant de s’adapter à lui et s’envoie en l’air, mais il jongle aussi entre plusieurs partenaires. Il y a d’abord Tanner (Max Jenkins), par ailleurs en couple libre avec son boyfriend et avec qui la complicité est d’abord évidente. Et puis il y a Henry, joué par Buck Andrews, lui-même queer et sur le spectre de l’autisme. L’acteur a d’ailleurs participé à l’écriture de cette saison (et ça change tout).
À ce sujet, on n’a pu s’empêcher de rire lorsqu’une collègue de Ryan lui explique mieux comprendre ce qu’il vit car elle a binge-watché Atypical sur Netflix. Pour celles et ceux qui l’ignorent, il s’agit d’une série, au demeurant très mignonne et bourrée de belles émotions, sur un jeune homme autiste, joué par un acteur neurotypique. Comme on dit, comparaison n’est pas raison, et c’est parce qu’elle fait ce rapprochement pour le moins hasardeux que la collègue de Ryan passe, au mieux, pour une ignorante, au pire, pour une cruche (ou l’inverse).
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Mais revenons à Henry et son humour ravageur. C’est donc lui qui va introduire Ryan à son groupe d’ami·e·s handicapé·e·s. Une révélation pour notre héros, qui apprend à naviguer dans les eaux troubles du polyamour tout en découvrant que le monde offre bien plus que ce que nos sociétés validistes veulent bien nous le faire croire. Ryan se crée sa propre tribu, dans laquelle Tanner n’essaye pas vraiment de s’insérer. Et finalement, la seule relation stable qu’il parvient à maintenir (et à faire grandir), c’est son amitié avec la fabuleuse Kim (Punam Patel), qui nous régale une fois de plus cette saison avec ses petites galères.
Sa seule présence invite une autre perspective autour du thème de la comédie romantique, par le biais de cette femme hétéro, grosse, de culture indienne et à la répartie de feu. C’est elle qui, en saison 1, donnait une belle leçon de confiance en soi à Ryan, en amour comme au travail. Parlons boulot justement. Car les scènes qui se déroulent dans les bureaux d’Eggwoke semblent presque appartenir à une autre série tant le ton, celui de la comédie loufoque et un peu perchée, y est différent du reste. Ces petites parenthèses d’humour absurde, qui fonctionnent bien de façon isolée (la cheffe, Olivia, est magnifiquement cringe), n’apportent toutefois rien à l’ensemble beaucoup plus porté sur la rom-com et le difficile apprentissage de l’indépendance.
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Mais qu’importe, cette saison 2 de Special est meilleure encore que la précédente, toujours aussi solaire et plus solide dans ses pompes. Une assurance dans l’écriture sûrement due au fait que Ryan O’Connell, à la barre des huit épisodes de la saison 1, a finalement ouvert les portes de sa writers room à d’autres plumes, d’autres voix. Son héros n’est pas un poster ambulant prônant “l’acceptation des différences”, le “dépassement de soi” ou autre bullshit de coach de vie utilisant les personnes handicapées comme source d’inspiration.
C’est un personnage tout ce qu’il y a de plus réel, à la trajectoire chaotique, et à qui on ne décerne pas une médaille à l’arrivée pour avoir “surmonté les épreuves”. Il a grandi sur certains aspects et n’a pas bougé d’un iota sur d’autres. On le laisse avec ses insécurités persistantes et des petites victoires gagnées sur le terrain de l’amour de soi, mais avec la certitude d’avoir partagé deux ans de la vie d’un personnage vrai et sincère, qui va méchamment nous manquer. Deux saisons et puis s’en vont. On perd, avec l’annulation de Special par Netflix, une série importante en termes de représentation et une délectable rom-com.
Les deux saisons de Special sont à savourer sur Netflix.