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Dans l’excellente saison 4 de Big Mouth, Missy trouve enfin sa voix

Dans l’excellente saison 4 de Big Mouth, Missy trouve enfin sa voix

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© Netflix

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Par Delphine Rivet

Publié le

Cette saison 4 introduit une nouvelle créature, le "moustique de l'anxiété", et Missy part en quête de son identité.

Sortie le 4 décembre dernier sur Netflix, la saison 4 de Big Mouth reprend là où on avait laissé la série précédemment. L’été est là, Nick et Andrew sont toujours fâchés depuis que le second a vu le premier embrasser son ex-petite amie Missy. Bien malgré eux, ces derniers vont se retrouver dans le même camp de vacances. Ils y retrouvent Natalie (campée par la jeune actrice trans Josie Totah), une ado qui a fait sa transition durant l’année scolaire.

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En dépit des mises en garde maladroites du mono (joué par John Oliver, qui ne manquera pas de faire des clins d’œil à son émission satirique Last Week Tonight), ses anciens potes garçons vont se montrer particulièrement indélicats en faisant des blagues sur ses parties génitales. De l’autre côté, chez les filles, on va essayer de la faire entrer dans le moule d’une certaine idée de la féminité.

Natalie va heureusement trouver une alliée inattendue en la personne de Jessi. L’occasion, pour la série, de se pencher sur la transidentité des ados et d’évoquer, entre autres, les inhibiteurs d’hormones, un traitement qui vise à bloquer la puberté. Car, on ne le répétera jamais assez, Big Mouth reste, à ce jour, l’une des meilleures représentations de l’adolescence sur le petit écran parce qu’elle refuse de prendre des gants et a bien compris que cette période ingrate tourne autour de cette grande question existentielle : “Qui suis-je ?” Une quête qui peut prendre différentes formes, et est aidée (enfin, pas toujours) dans cette entreprise par une poignée de créatures.

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Nous connaissions déjà les “monstres hormonaux”, et la “chatte de la dépression”, aussi écrasante que réconfortante par moments, a fait son entrée en saison dernière (avec la voix parfaite de Jean Smart). Cette année, ce sont les “moustiques de l’anxiété” (joués par l’excentrique Maria Bamford) qui débarquent dans ce bestiaire déjà bien fucked up. Les voilà qui viennent pourrir la vie de Nick, Andrew et Jessi. C’est encore une formidable trouvaille de la part des scénaristes de Big Mouth, car qu’y a-t-il de plus nerveusement éprouvant que d’être enfermé·e dans une pièce avec en fond sonore le bourdonnement d’un moustique ? On ne pouvait rêver (ou cauchemarder) meilleure incarnation pour l’anxiété, ces pensées parasites qui virevoltent dans notre tête sans relâche. 

Missy, elle, a son propre monstre à terrasser, une hydre à plusieurs têtes : elle-même. Poussée par sa rencontre avec ses deux cousines Lena et Quinta (respectivement interprétées par Lena Waithe et Quinta Brunson) à questionner complètement son identité, notre adolescente va finalement trouver sa voie… et sa voix.

En effet, suite à une controverse portant sur le fait que Missy, une fillette métisse, est doublée par une femme blanche, Jenny Slate, les auteurs ont recasté son interprète. Cet été, alors que le mouvement Black Lives Matter réveillait massivement les consciences, les créateurs de la série Andrew Goldberg, Nick Kroll, Mark Levin et Jennifer Flackett ont opéré une salutaire remise en question. L’actrice Jenny Slate avait pris les devants et émis des réserves quant à sa légitimité dans ce rôle. Dans un post publié sur Twitter cet été, Nick Kroll et ses collaborateurs ont tenu à faire amende honorable :

“Nous tenons à nous excuser sincèrement et regrettons notre décision initiale de caster une actrice blanche pour jouer un personnage métis. Nous avons fait une erreur, nous avons pris notre privilège pour acquis, et nous travaillons dur pour devenir meilleurs à partir de maintenant. Nous sommes fiers de la représentation qu’offre Missy en tant que femme de couleur cérébrale et sensible, et on a bien l’intention de poursuivre dans cette voie et de faire grandir Missy en castant une actrice noire pour l’interpréter. […]”

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C’est dans cet esprit que l’actrice et scénariste Ayo Edebiri a repris le rôle de Missy. Et ce changement a parfaitement été intégré à l’intrigue. L’adolescente, qui ne sait plus vraiment qui elle est, va recevoir quelques leçons de la part de ses cousines sur ce qu’est son “identité noire”. Entre autres découvertes, elle apprend ce qu’est le “code switching”, soit la manière qu’ont les personnes noires en particulier de modifier leur façon de parler ou de se comporter en fonction de leur interlocuteur. Une adaptation hélas nécessaire dans des sociétés qui discriminent encore celles et ceux s’exprimant avec un accent ou arborant une coiffure afro (ou des cheveux au naturel, ou tressés, d’ailleurs).

Une fois relookée, Missy n’est pourtant pas tellement plus avancée. Pire, elle nage désormais en pleine confusion. Lors de son exploration, presque désespérée de réaliser qu’elle n’entre pas dans une case, elle va finalement avoir une épiphanie (tirée tout droit du film Us, de Jordan Peele) : elle est une multitude de choses, et c’est ce patchwork qui fait d’elle une personne unique.

C’est là, et seulement là, dans l’avant-dernier épisode, qu’Ayo Edebiri s’empare de Missy, comme une évidence. Notre héroïne, cette saison, a eu une véritable trajectoire, complète, honnête, émotionnellement et scénaristiquement juste, avec une conclusion aussi réconfortante que satisfaisante. Ses petits camarades ne sont pas non plus en reste (même si Missy leur vole la vedette), avec leurs angoisses toutes très légitimes (Jessi et son premier tampon devraient rappeler des souvenirs à certain·e·s). Même si du haut de notre grand âge aujourd’hui, on se dit qu’on faisait vraiment du drama pour pas grand-chose… Big Mouth est là pour nous rappeler que, quand on est ado, le moindre changement est vécu comme un cataclysme et la plus insignifiante déception est une tragédie. Et ça fait un bien fou de les voir se matérialiser, de façon toujours aussi juste et hilarante, dans cette merveilleuse série.

Les quatre saisons de Big Mouth sont disponibles sur Netflix.