Trois ans après son dernier film, le réalisateur Kim Chapiron effectue ses premiers pas sur une série, Guyane, pour Canal +. Il s’est confié à Biiinge.
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Biiinge | À l’époque de La Crème de la crème, votre dernier film, vous parliez d’un prochain projet centré sur la famille. Comment avez-vous bifurqué vers Guyane ?
Kim Chapiron | C’est Canal + qui est venu vers moi pour bosser sur la direction artistique et les quatre premiers épisodes de la série. Le projet était déjà bien avancé quand je suis arrivé dessus. Je dirais que ça a commencé par un voyage en Guyane. Le matériel de base était écrit et mélangeait aventure criminelle et western moderne. C’est ce qui m’a séduit, cette idée de filmer des cow-boys en quad avec des machettes et des mitraillettes. Il y avait aussi toute la mythologie de l’orpaillage.
Le business de l’or, c’était un sujet dont vous étiez curieux ?
Oui, on a l’habitude d’aborder l’orpaillage à travers des œuvres d’aventure pure et dure, presque romanesques, ou dans des documentaires choc du style d’Envoyé Spécial. J’avais envie de raconter cet univers de façon différente, en rentrant dans la psychologie des personnages, de celui qui va chercher l’or : pourquoi il fait ça et comment il fait ça ? Ça mélangeait plusieurs ingrédients que j’adore exploiter en mise en scène. J’ai plongé dedans, et je me suis retrouvé plusieurs mois dans la forêt amazonienne.
Justement, à quoi ça ressemble un tournage de cinq mois en Guyane ?
C’est très intense à tous les niveaux. On se retrouve à vivre dans la deuxième plus grande forêt du monde. On parle d’un endroit où les arbres font 45 mètres de haut, où tu vois des aras qui volent dans le ciel. C’est le genre d’oiseau multicolore que tu ne vois que dans les dessins animés Pixar normalement [rires] ! Tu croises des bestioles pas possible, des anacondas de sept mètres de long, des caïmans…
Il y a un rapport à la nature que je n’avais jamais eu avant, quelque chose de sensoriel. J’espère que cette expérience transpire dans la série. Toute l’eau s’évapore constamment de la forêt. On parle d’un endroit où il fait très très chaud et très humide. Tous les jours, on a à la fois cette brume et le soleil qui écrase. Ça donne l’impression d’être face à un organisme vivant. Ça été personnellement très fort pour moi.
J’ai eu la chance de vivre une avant-première guyanaise de la série il y a quelques semaines. Juste après la projection, je suis retourné avec des potes en forêt. J’ai vraiment été piqué par cet endroit ! Je suis remonté à Saint-Laurent-du-Maroni, où se trouve un des plus grands bagnes de Guyane. Il y a une charge émotionnelle, triste et lourde, très forte dans ce pays. C’est un pays de bagnards. La Guyane, c’est la fusée, les bagnards, les orpailleurs et la drogue. C’est un résumé violent, mais qui contient une certaine réalité. C’est pour ça aussi que la série montre des personnages confrontés à des moments extrêmes. Pour la narration, c’est un terrain de jeu incroyable.
Quels ont été vos choix en termes de mise en scène ? Est-ce qu’on reconnaît le style Chapiron dans Guyane ?
Le style, je ne sais pas, c’est pas à moi de le dire. Mais en termes de mise en scène, j’ai bossé avec un chef opérateur incroyable, qui s’appelle Sofian El Fani. Il va aussi éclairer mon prochain film. Il a fait La Vie d’Adèle et Timbuktu. Il a cette connaissance des corps et des décors. J’avais en tête cette grammaire intime. Je voulais que la caméra reste au contact avec les gens. Là-bas, on est dénudé en permanence tellement il fait chaud. Si on met un pantalon, on se retrouve avec trois litres de sueur en deux secondes.
Après, chaque mise en scène s’adapte à chaque histoire. Sofian m’a vraiment aidé à trouver un langage visuel sur cette série : les couleurs saturées et délavées. On est dans des pastels. Il fallait retranscrire l’humidité et une sorte de pourriture, aller dans des verts quasiment fluo. Il fallait filmer aussi ce soleil qui nous écrase toute la journée avec des fausses teintes, les nuages qui passent et cette pluie. Ça a été une cuisine interne à faire, avec un travail empirique au jour le jour.
Le casting est un mélange d’acteurs français et guyanais. Comment avez-vous procédé ?
Une partie s’est déroulée en France avec la directrice de casting Gigi Akoka. Je bosse souvent avec elle. Sur place, on a eu une phase de casting sauvage dans des fêtes, dans des villages… On a recruté des gens qui pour la plupart n’ont jamais joué la comédie. Je fonctionne avec ce mélange d’acteur et d’amateurs depuis mes premiers films, et la sauce prend toujours. L’acteur confirmé apporte une technique, une rigueur, et au contraire l’acteur amateur arrive avec une spontanéité et un naturel assez désarmants. Les deux en général se mettent une pression pas possible et sont très impressionnés par le jeu de l’autre. C’est le naturel contre la technique. Le mélange des deux crée en général de très belles scènes.
Si on regarde un peu votre œuvre jusqu’ici, je note que vous vous attaquez à des genres très différents : l’horreur, le drame ultra-réaliste, ici l’aventure. C’est quoi le dénominateur commun d’une production Chapiron ?
Un journaliste m’a dit que le point commun, c’était le sexe et la violence. J’aime bien [rires]. Mais j’aime bien aussi, effectivement, revisiter les genres. Sur Guyane, c’est le sujet et l’endroit qui m’ont séduit. Je suis assez instinctif dans mes choix. Quand un acteur ou une histoire me plaît, j’y vais sans spécialement me poser de questions ou analyser. Ce projet s’est fait très rapidement. Trois semaines après avoir dit oui, j’étais en Guyane.
Avez-vous un projet en tête après Guyane ?
Oui, mais c’est encore très vert. C’est un projet que je vais tourner cet été sur la Côte d’Azur. C’est un film sur la famille. Le casting est encore en court d’élaboration.
La première saison de Guyane débute ce lundi 20 janvier sur Canal +.