Lancée par Marja-Lewis Ryan sous la houlette de Ilene Chaiken, le reboot de The L Word: Generation Q vient d’achever sa première saison sur Showtime (et sur Canal +, chez nous) par un final qui synthétise à lui tout seul ce qui ne fonctionne pas dans la série.
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Pourtant, on avait envie de l’aimer de tout notre cœur, cette nouvelle série. Parce qu’on adore The L Word, à la fois soap addictif et révolutionnaire, qui a donné aux lesbiennes et plus largement à la communauté LGBT la visibilité qu’elles méritaient. Mais c’est peut-être aussi en raison de cet amour pour la série originale que je suis d’autant plus déçue par la tournure prise par Generation Q.
Débutons par l’un des arcs les plus importants de la saison : la powerful Bette (Jennifer Beals) a quitté le monde de l’art pour se lancer dans celui de la politique. Une idée simple et lumineuse, dans la continuité logique de son personnage. Elle brigue donc les élections pour devenir maire de Los Angeles. Après s’être dépêtrée d’une histoire de mœurs pas franchement passionnante, mais assez plausible aux États-Unis (remember l’affaire Clinton), elle (et on) attend, fébrile, les résultats de sa campagne acharnée dans l’épisode final. En vérité, pas besoin d’attendre trop longtemps, un dialogue entre sa fille Angie (Jordan Hull) et Alice (Leisha Hailey) nous spoile involontairement. La première dit à la deuxième que Bette “réussit tout ce qu’elle entreprend et ne connaît pas l’échec” (ce qui est faux – elle se fait virer deux fois de ses jobs dans The L Word et elle perd plus d’une fois l’amour de sa vie, Tina). La suite ne trompe pas : évidemment, Bette va perdre l’élection. Le fait qu’on puisse anticiper ce qui arrive 10 minutes plus tard est en soi plutôt mauvais signe.
No, she can’t
Ce choix narratif fait écho à la saison 3 de The Bold Type, dans laquelle le perso queer de Kat effectue ses premiers pas sur la scène politique, puis perd sa première élection. Comme Bette en version millennial, la jeune femme est ultra-compétente, sûre d’elle dans son travail et ses ambitions. Elle semble faite pour devenir une leadeuse politique, mais elle se heurte à une forme de plafond de verre assez énervant, dans la mesure où The Bold Type comme The L Word s’attachent à nous montrer davantage comment la société devrait évoluer que la manière dont elle fonctionne réellement. À tout le moins, ces deux séries pop et féministes dépeignent une frange queer, qui vit dans une bulle progressive, existant souvent exclusivement dans les quartiers spécifiques de certaines grandes villes, comme Le Marais à Paris, Castro à San Francisco ou Silver Lake à Los Angeles… où justement nos héroïnes de Generation Q ont élu domicile.
Dans tous les cas, on vit dans une forme d’utopie queer. Pourquoi alors ne pas faire gagner Bette aux élections ? Le choix de la faire échouer donne l’impression que les LGBTQ+ ont le droit d’avoir de l’ambition, mais que la société les empêchera toujours, à un moment ou à un autre, de s’épanouir et d’accéder à des responsabilités si elles sont ouvertement gays (comme c’est le cas de Bette et Kat). Espérons que la deuxième saison rectifie le tir d’une façon ou d’une autre, car j’aurais adoré voir les nouvelles problématiques auxquelles Bette allait être confrontée en tant que maire de LA. Sachant qu’elle a du mal à établir des barrières bien claires entre sa vie pro et perso, il y avait là matière à du drama bien cool.
© Showtime
Côté love, les choix scénaristiques de ce final m’ont aussi laissée dubitative. La palme de la scène énervante revient au clash entre Shane et sa femme Quiara (Lex Scott Davis). Dévastée après avoir fait une fausse couche, cette dernière se défoule sur sa moitié, l’accusant d’être égoïste parce qu’elle ne veut pas d’enfant (bonjour le message que ça envoie aux femmes qui ne souhaitent pas enfanter) et dans la foulée de ne pas savoir aimer quelqu’un. Les mots de Quiara, nouveau personnage jusqu’ici attachant et qui ne s’en laisse pas conter, surtout aux moments où Shane veut faire du Shane (c’est-à-dire se ferme émotionnellement), sont très durs et injustes. Que le désir ou l’absence de désir de maternité se mettent en travers du chemin d’une relation lesbienne est évidemment un sujet important et intéressant à explorer. La façon dont Marja-Lewis Ryan et les scénaristes de Generation Q mettent cela en scène manque, en revanche, de subtilité.
Même constat du côté d’Alice : sa tentative de trouple aura durée quelques épisodes à peine, là où elle aurait pu être explorée bien plus longuement. Elle ouvrait des portes scénaristiques inédites, tant voir sur un écran une relation polyamoureuse entre trois femmes est une idée assez novatrice ; les trouples du petit écran étant le plus souvent composés de deux femmes et un homme (parce qu’il faut penser à exciter les hommes hétéros). Après cette prometteuse ouverture, voilà qu’Alice, pourtant à l’initiative du rapprochement à trois, devient jalouse au point de se séparer de sa compagne, Nat. Cette dernière débarque donc au milieu du talk-show de sa meuf pour l’interrompre et lui faire en direct une grande déclaration d’amour spectaculaire. Ajoutez à cela le cliffhanger le moins palpitant du monde (le très mal écrit personnage de Sophie, incarnée par Rosanny Zayas, va-t-il rejoindre Dani ou Finn à l’aéroport ?) et vous obtenez deux scènes dignes d’une mauvaise rom com des années 1990.
On peut comprendre l’envie des scénaristes de normaliser les relations queer (le mariage pour tous participe de la même impulsion), qui va correspondre à l’envie d’une partie de la communauté LGBTQ+. Elles le font en reprenant des codes des comédies romantiques, un genre historiquement hétéronormé, à bout de souffle ces dernières années. Les relations amoureuses se redéfinissent sans cesse, en particulier côté queer et pour le moment, Generation Q échoue à s’en faire le reflet, là où The L Word le faisait déjà avec plus d’à-propos en son temps. Même constat du côté des scènes de sexe, plutôt timides et moins recherchées esthétiquement que son aînée. En un mot, oui au drama, mais du drama queer !
En dépit de ces défauts d’écriture, la série possède un potentiel certain, qui donne envie de lui laisser une chance après cette saison d’exposition bancale. Des protagonistes comme Finn (excellente Jacqueline Toboni), Dani (Arienne Mandi) ou Tess (Jamie Clayton) restent prometteuses et des sujets habituellement abordés trop superficiellement le sont véritablement – comme le sexe pendant les règles ou la ménopause. Generation Q avait pour ambition de nous raconter ce que c’est que d’être une femme queer en 2020. Il est temps de s’y atteler et de créer davantage de liant entre les protagonistes. La série, renouvelée pour une deuxième saison, devra donc trouver le juste ton pour convaincre.
La première saison de The L Word: Generation Q est disponible sur Canal +.