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L’histoire derrière la photo du regard haineux de Joseph Goebbels, ministre d’Hitler

L’histoire derrière la photo du regard haineux de Joseph Goebbels, ministre d’Hitler

Image :

© Alfred Eisenstaedt/Life

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Joseph Goebbels est passé du rire à la haine en découvrant la religion du photographe.

Septembre 1933. Le magazine Life envoie Alfred Eisenstaedt pour un reportage périlleux, à l’hôtel Carlton de Genève : il devait couvrir une conférence de la Société des Nations. Dans son livre Eisenstaedt on Eisenstaedt: A Self-Portrait, le photographe – né en Pologne et ayant émigré en Allemagne à 8 ans avec ses parents – raconte les dessous de son shooting avec Joseph Goebbels, qui fut ministre de la Propagande pendant douze ans, puis nommé chancelier (pour un jour) par Hitler, juste avant que ce dernier se suicide, en 1945.

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Ayant combattu dans l’artillerie allemande lors de la Première Guerre mondiale, Eisenstaedt était relativement toléré en tant que photographe, au sein des cercles nazis, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il commençait à travailler pour Life dans les années 1930.

Version colorisée. (© Alfred Eisenstaedt/Life)

Après avoir été victime de persécutions en Allemagne, il finit par émigrer aux États-Unis en 1936, avant que la guerre éclate. Trois ans auparavant, donc, le photojournaliste avait couvert un événement politique durant lequel il a croisé le dirigeant nazi et son regard fusilleur.

“Il m’a regardé avec des yeux haineux et a attendu que je me décompose, mais je ne me suis pas détourné”

Quand il a rencontré Alfred Eisenstaedt en 1933, Goebbels était à la tête du ministère du Troisième Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande. Au premier abord, le ministre s’est montré très enjoué à l’idée de se faire prendre en photo. Les premières images le montrent bien : ce dernier est tout souriant, assis dans un fauteuil. Sauf que. “Il souriait, mais pas à moi. Il regardait quelqu’un d’autre à ma gauche”, raconte le photographe.

© Alfred Eisenstaedt/Life

Goebbels avait été prévenu qu’Eisenstaedt, ici présent, était de confession juive. Son expression amicale a viré à la colère et la haine quand il a croisé son regard. C’est pile à ce moment-là que le photojournaliste capture ces images qui font désormais partie de l’Histoire.

Son regard est perçant, mauvais, ses sourcils froncés, un air de méfiance se lit sur son visage. Tandis que deux hommes l’assistent et que l’un se penche vers lui, Goebbels, lui, ne lâche pas Eisenstaedt du regard. On peut remarquer que “ses yeux haineux” se dirigent légèrement au-dessus de l’objectif photo.

Le photographe était d’ailleurs connu pour son utilisation de petits appareils photo, peu encombrants, qui n’intimidaient pas les sujets immortalisés et qui étaient facilement oubliables par ces derniers. Cela devait être le cas de l’homme politique nazi, qui n’a même pas l’air de remarquer qu’il est en train d’être pris en photo. Dans son livre, le photojournaliste confie :

“Je l’ai trouvé assis, seul, à une table dans le jardin de l’hôtel. Je l’ai photographié de loin sans qu’il s’en rende compte. En tant que photographie documentaire, cette image [où il sourit] a une certaine valeur : elle suggère sa distanciation. Plus tard, je l’ai trouvé à la même table, entouré de conseillers et de son garde du corps.

Goebbels semblait si petit, en comparaison avec ses gardes du corps qui étaient énormes. Subitement, il m’a remarqué. Quand je suis retourné dans le jardin de l’hôtel, il m’a regardé avec des yeux haineux et a attendu que je me décompose, mais je ne me suis pas détourné. Étais-je un ennemi ?

Je me suis approché et j’ai photographié Goebbels. C’était horrible. Il m’a regardé avec une expression pleine de haine. Le résultat, cependant, était une photographie beaucoup plus forte. Rien ne vaut un contact personnel étroit et un sujet impliqué, aussi désagréable soit-il. […]

Cette photo pourrait s’appeler ‘De Goebbels, avec amour’. On m’a souvent demandé ce que cela me faisait d’avoir photographié ces hommes. Naturellement, ce n’était pas une bonne expérience, mais quand j’ai un appareil photo dans la main, je n’ai pas peur.”

Cette photo, emblématique du travail d’Eisenstaedt, est devenue un symbole de cette période d’avant-guerre, prédisant le génocide qui suivra. Dans ce regard, on peut lire toute la haine qui animait le gouvernement d’Hitler. Quelques années plus tard, Eisenstaedt a réalisé un autre cliché, tout aussi célèbre : celui du baiser de Times Square, marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale et la victoire contre le régime nazi.

© Alfred Eisenstaedt/Life

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