Heureusement, Notre-Dame avait été numérisée en 3D

Heureusement, Notre-Dame avait été numérisée en 3D

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© Andrew Tallon

Laser, photos en HD : le chantier de restauration pourra s'appuyer sur plusieurs projets de cartographie en 3D de Notre-Dame.

Maintenant que les flammes de Notre-Dame ont définitivement quitté le ciel parisien et les images des télévisions mondiales, il est déjà l’heure de se pencher sur le chantier de reconstruction. Emmanuel Macron l’a promis dans son “adresse aux Français” du 16 avril : “Nous rebâtirons la cathédrale plus belle encore […] d’ici cinq années.”

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Difficile, en l’état actuel des choses, d’estimer le coût du chantier – certains avancent déjà un montant d’un milliard d’euros. Néanmoins, avec près de 700 millions d’euros de promesses de dons d’ores et déjà récoltées et l’ouverture d’une plateforme de souscription nationale, l’aspect budgétaire ne sera pas le plus gros obstacle à la reconstruction de l’édifice. Rebâtir à l’identique des structures comme la “forêt”, l’élégant surnom de la charpente en partie datée du XIIe siècle, s’annonce en revanche plus compliqué.

Image de synthèse de la cathédrale Notre-Dame de Paris, créée à partir de mesures par laser réalisées par Andrew Tallon, professeur d’art américain décédé en novembre 2018.

Du savoir-faire… et des pixels

Heureusement, la France peut compter sur un solide réseau d’artisans, notamment les Compagnons du devoir, déjà mobilisés pour restaurer plusieurs parties de l’édifice par le passé. Vitraux, toitures, charpentes, structure en pierre… L’expertise est là, à tous les niveaux. Et la France de 2019 va pouvoir s’appuyer sur un matériau totalement inédit : les multiples reconstitutions numériques de l’édifice accumulées par des chercheurs, des start-up et des studios de jeux vidéo. Des téraoctets de pixels sur lesquels les futurs architectes pourront s’appuyer pour reconstruire le bâtiment, vieux de 850 ans, à l’identique.

Au jeu des reconstitutions numériques, la plus connue est évidemment celle, remarquable de méticulosité, du jeu Assassin’s Creed Unity, sorti en 2014. Pour assurer aux joueurs un maximum de réalisme, l’éditeur Ubisoft avait alors mobilisé une développeuse pendant près de deux ans, Caroline Miousse, qui avait à son tour travaillé avec un historien pour obtenir un résultat aussi fidèle que possible, même si l’éditeur s’était permis quelques libertés historiques.

Depuis, près de 10 millions de joueurs ont pu admirer le travail. Lundi 15 avril, ils étaient nombreux, sur Twitter ou Twitch, à rendre hommage à l’édifice en visitant son double pixélisé. De son côté, l’éditeur a annoncé au Monde son intention de participer à l’effort de reconstruction, sans préciser comment.

Une reconstitution précise à 5 millimètres près

Outre cette contribution de l’industrie du jeu vidéo mainstream, l’effort de rénovation pourra s’appuyer sur d’autres projets de cartographie numérique à portée plus scientifique : Notre-Dame, qui rassemble 12 millions de visiteurs annuels, est également l’un des monuments historiques mondiaux les plus scrutés, étudiés et cartographiés par les dernières technologies de conservation numérique. Le dernier projet en date, qui est également l’un des plus complets à ce jour, est la reconstitution en 3D effectuée par l’historien en art Andrew Tallon, décédé en décembre 2018, au sein de son initiative “Mapping Gothic France”.

Huit ans plus tôt, relate The Atlantic, Tallon et son associé embarquent dans la cathédrale française un Leica ScanStation C10. L’appareil est spécialement conçu pour révéler les structures sous-jacentes des massifs bâtiments gothiques grâce au Lidar, une technique laser qui utilise les propriétés de la lumière comme un radar. Pendant cinq jours, ils scanneront l’intégralité de la structure près de 50 fois, avec une précision “à 5 millimètres”, expliquait alors le chercheur à National Geographic. Parallèlement, ils prendront des photos panoramiques en haute résolution de tout le bâtiment.

Ces scans représentent plus d’un milliard de points. Mis bout à bout dans un “nuage”, ils font apparaître Notre-Dame, comme ces jeux d’enfants qui font relier des points pour faire émerger un motif. Un logiciel se charge ensuite de transformer le squelette de points en une structure en 3D, complétée par les photos en haute résolution pour simuler les textures.

En 2015, Tallon révèle une partie de son projet via un site interactif hébergé par l’université de Vassar. Aujourd’hui, c’est probablement la simulation la plus précise du bâtiment. Selon The Atlantic, les données ne pèsent qu’un téraoctet, ce qui les rend facilement exploitables par les restaurateurs.

Lidar… et la manière

Andrew Tallon a beau avoir été l’un des premiers à tester la cartographie au Lidar sur l’édifice, il n’est ni le dernier ni le seul à s’intéresser à cette méthode. Aujourd’hui, le Lidar révolutionne l’archéologie : dans la jungle du Belize, il permet de traverser la végétation pour faire apparaître des dizaines de temples Maya insoupçonnés ; dirigé sur la pyramide de Khéops, pourtant scrutée par des générations d’archéologues, il révèle une galerie mystérieuse ; à Palmyre, rasée par l’État islamique, le laser et la photogrammétrie (une technique de reconstitution basée sur la photographie classique et le morphing d’images par algorithme) ressuscitent les structures disparues. Notre-Dame ne fera pas exception.

En France, le savoir-faire technologique est tout aussi présent que l’artisanat. Reste maintenant à savoir à qui confier le travail, et dans quelle mesure la cartographie numérique pourra appuyer le travail des bâtisseurs. En avril, l’entreprise GE-A s’est chargée de modéliser une partie de la structure de Notre-Dame juste avant le début des travaux de rénovation, pour le compte des deux sociétés en charge du travail. “La charpente, la toiture et la flèche” sont ainsi soigneusement conservées, explique au Monde Denis Lachaud, président de GE-A.

À Palmyre, c’est une autre start-up française, Iconem, qui s’est occupée de la photogrammétrie, comme sur de nombreux autres chantiers. Elle fait aujourd’hui figure de leader sur le secteur et se trouve derrière plusieurs chantiers de conservation du patrimoine lancés par les pouvoirs publics, comme le Syrian heritage Revival de la DGAM ou le projet Patrimoine du Proche-Orient du ministère de la Culture. Des garanties suffisantes pour se voir confier la mission ? Peu importe l’identité de l’entreprise choisie, elle pourra s’appuyer sur les données d’Andrew Tallon et d’autres, qui seront mises à disposition du chantier.

Ce back-up numérique devrait donc faciliter un peu le travail colossal qui attend les ouvriers, même s’ils devront parfois faire sans. Le premier et seul relevé de la “forêt”, la charpente ancestrale de l’édifice, date par exemple de… 2015. Face aux limites de la technologie, deux architectes avaient décidé d’effectuer les mesures à la main, rapporte Le Moniteur. Bénis soient-ils, et puissent-ils nous rappeler que, parfois, les vieilles méthodes ont encore toute leur légitimité.