En photographiant son fils, Rashod Taylor interroge les conflits racistes aux États-Unis

En photographiant son fils, Rashod Taylor interroge les conflits racistes aux États-Unis

Image :

© Rashod Taylor

photo de profil

Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Dans sa série Little Black Boy, le photographe fait part des difficultés d'être un enfant noir et de grandir aux États-Unis.

Au premier abord, on pourrait penser que la série Little Black Boy n’est qu’une simple documentation en noir et blanc de la vie confinée d’un enfant. Mais son titre nous donne vite quelques pistes supplémentaires. À travers ce travail touchant et intime, au-delà du lien fort avec son fils, Rashod Taylor a voulu exorciser sa peur, en tant que père noir, de voir son fils grandir dans une Amérique gangrenée par le racisme.

À voir aussi sur Konbini

Cette série explore le thème de la paternité, de l’enfance et de l’expérience des personnes noires aux États-Unis. Au détour d’images argentiques aux airs candides, Little Black Boy renferme les plus grandes peurs de son auteur : la “fragilité et vulnérabilité d’un père noir, la possibilité que votre enfant soit tué dehors, soit par la police soit par des personnes qui vous haïssent à cause de la couleur de votre peau”. Le temps d’un entretien, Rashod Taylor nous raconte la genèse de ce projet et comment il l’a aidé à se confronter à la réalité et à ses propres angoisses.

LJ and his Fort, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

Konbini arts : Comment l’idée de cette série t’est venue à l’esprit ?

Rashod Taylor : Je photographie mon fils depuis sa naissance. Il y a quelques années, j’ai commencé à remarquer dans mes images qu’il y avait un leitmotiv, un élément narratif que je voulais explorer. Je voulais documenter sa vie, certes, mais aussi ce que c’est que de grandir aux États-Unis en tant qu’enfant noir. Il est âgé de 5 ans aujourd’hui et je ne compte pas m’arrêter de le photographier.

“Je voulais documenter sa vie, certes, mais aussi ce que c’est que de grandir aux États-Unis, en tant qu’enfant noir”

Est-ce que le fait de le photographier au quotidien a métamorphosé votre relation, dans une certaine mesure ?

Dans un sens, oui, je sens que nous sommes plus proches, nous passons beaucoup de temps ensemble. Quand on prend des photos, on parle de sa vie, de ce qui le rend heureux et triste, et j’essaie de faire le portrait de tout cela. Il commence à devenir un véritable collaborateur. Je suis ravi de voir qu’il apprécie toujours de se faire photographier, donc je continuerai tant qu’il me l’autorisera.

Self Portrait with LJ, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

Il y a beaucoup d’instants paisibles, de moments de complicité, d’ennui, de silence… Est-ce que ces scènes sont spontanées ou préparées ?

Il y a un peu des deux. J’aime construire mes photos avec un but spécifique en tête, contrôler mon cadre autant que possible pour trouver du sens. Utiliser la chambre photographique m’aide beaucoup parce que cela me donne le temps de contempler et de prendre le décor en compte. D’un autre côté, il y a aussi beaucoup d’images qui sont prises sur le vif, comme l’image de LJ [le fils de Rashod Taylor, ndlr] et ma femme dans la baignoire.

Que voulais-tu transmettre au public à travers cette série ?

Je voulais que le spectateur voie l’enfance d’un Noir, à travers mon point de vue, celui d’un père noir qui tente de dépasser ses propres peurs et ses insécurités alors qu’il éduque son fils. Tout cela en montrant également la réalité des inégalités raciales et l’injustice sociale qui dominent nos vies. À travers ces différents thèmes, je dépeins aussi bien de l’amour et de la tendresse que de la souffrance et le combat que nous menons en tant que personnes de couleur. Avec cette série, je témoigne d’une dualité – et c’est “Deep Sleep” qui la fige le mieux –, le fait qu’une image peut être lue de différentes manières.

“Je dépeins aussi bien de l’amour et de la tendresse que de la souffrance et le combat que nous menons en tant que personnes de couleur”

Bath Time, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

Je pense que c’est pour cela que les photos ont la capacité de nous connecter à différentes audiences. Je veux ouvrir la conversation sur l’expérience des personnes noires et élever la documentation des vies noires malmenée par les médias et l’imaginaire américain.

“Je veux ouvrir la conversation sur l’expérience des personnes noires”

Je vois de nombreuses possibilités pour mon fils. Je ne veux pas que ces images capturent seulement qui il est ou ce qu’il peut accomplir. Je veux aussi qu’elles montrent que les enfants noirs peuvent avoir un avenir meilleur et un impact comme les autres enfants qui ne souffrent pas du racisme.

Papi’s Hat, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

Quelles ont été tes inspirations pour ce projet ?

Je suis poussé à faire de la photo pour ma famille et les générations futures ; je veux qu’elles aient une trace de la vie que nous avons vécue ensemble. Je veux que les gens voient les personnes noires à travers une autre perspective que celle donnée par les médias.

Ma propre mortalité m’inspire aussi, je sais que je ne pourrais pas créer indéfiniment et je veux pouvoir dire le plus de choses possible, aussi longtemps que possible. Notre photographie fait partie de notre héritage, selon moi. Elle sera préservée et contemplée durant de nombreuses années après notre passage.

Deep Sleep, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

Superman, “Little Black Boy”, 2019. (© Rashod Taylor)

Untitled #2, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

LJ Standing in the Backyard, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

Best Buds, “Little Black Boy”, 2019. (© Rashod Taylor)

Standing in my parents backyard, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

It’s Complicated, “Little Black Boy”, 2020. (© Rashod Taylor)

Tired of Fighting, “Little Black Boy”, 2019. (© Rashod Taylor)

Rashod Taylor travaille en ce moment sur sa prochaine série, intitulée My America, tout en poursuivant le projet Little Black Boy, que vous pouvez découvrir sur son site. Le photographe américain a inauguré une exposition en ligne chez jdc Fine Art qui court jusqu’au 31 janvier 2021, tout en assurant la curation d’une autre exposition en ligne pour Analog Forever Magazine. Vous pouvez le suivre sur Instagram.