Le controversé artiste britannique a réalisé 14 œuvres monumentales pour le moins intrigantes et extravagantes.
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“The Miraculous Journey”, Damien Hirst. (© STRINGER / AFP)
Devant l’hôpital Sidra, situé à Doha au Qatar, ce sont 14 sculptures géantes en bronze qui ont été érigées afin de représenter la maternité et les différentes étapes du développement d’un fœtus. Une vision in utero qui s’étend de la fécondation à la naissance, la dernière étape montrant un bébé nu de 14 mètres de haut. L’auteur ? Damien Hirst, qui a trouvé un titre digne d’un texte sacré pour ce dernier projet : Le Voyage miraculeux.
Faisant désormais partie de la grande collection d’art moderne de l’hôpital qatari, cette œuvre n’a pas manqué de faire scandale, comme nombre des créations de Damien Hirst – qui détient le record de la deuxième œuvre la plus chère jamais vendue pour un artiste vivant (Lullaby Spring a été vendue par Sotheby’s en 2007 pour 14,34 millions d’euros). Il est en effet assez paradoxal de choisir un artiste qui explore de manière centrale la mort dans son travail pour réaliser une sculpture devant un hôpital ayant un service de maternité très réputé.
Un artiste controversé
Damien Hirst a une longue liste d’œuvres morbides et glauques à son actif. Ayant travaillé dans une morgue alors qu’il était étudiant, Hirst a commencé sa carrière dès le début des années 1990 avec une série d’installations composée de cadavres d’animaux (vache, mouton, requin, tigre, cochon…), dont les corps étaient parfois divisés en deux, laissant apparaître leurs organes. Ces cadavres étaient plongés dans le formol et placés dans des aquariums, qui donnaient à voir leur putréfaction.
A Thousand Years, une installation qu’il a réalisée en 1990, présente deux cubes de Plexiglas dans lesquels se trouvent d’un côté, une tête de vache et une lampe électrique, et de l’autre, un cube blanc rempli de milliers d’asticots se muant en mouches, et se nourrissant de la tête de vache. Ces mouches meurent ensuite électrocutées par la lampe. Une machine infernale pour “que l’art soit plus réel que ne l’est une peinture”.
Dans les années 2000, il va plus loin encore en créant des sculptures monochromes noires remplies de reliquaires de martyrs et de mouches mortes, en imaginant des installations avec des têtes de vaches comme des allégories du Christ et de ses apôtres, le tout éclaboussé de sang animal, jusque dans l’espace d’exposition. In and Out of Love choque le public car l’artiste a utilisé environ 9 000 papillons enfermés dans deux pièces, voués à mourir. Mother and Child, Divided, œuvre récompensée du Prix Turner, dépeint quant à elle une vache et son veau séparés, dont les corps sont coupés sur la longueur, à la vue du visiteur dans deux aquariums.
Des questions éthiques se posent concernant l’abattage d’animaux. Par exemple, les têtes de vache sont légion dans son travail et leur utilisation suscite l’indignation bien souvent du public et de la critique.
Des fœtus qui ne font pas consensus
“The Miraculous Journey”, Damien Hirst. (© STRINGER / AFP)
“Nous pensons que [l’œuvre] reflète bien la mission de Sidra qui consiste à s’occuper de la santé des femmes et des bébés. C’est parfait pour le lieu. […] Nous ne nous attendons pas à ce que tout le monde les aime, nous ne nous attendons pas à ce que tout le monde les comprenne. […] C’est pourquoi ils sont là pour créer un élément de débat et de réflexion”, précise Layla Ibrahim Bacha, spécialiste des arts à la Fondation du Qatar. Si ce point de vue pourrait être facilement réfuté, l’équipe de la Fondation a l’air sûre d’elle. Pourtant, l’installation de ces sculptures géantes d’utérus n’a pas été assumée dès le début.
Dévoilées en octobre 2013, elles ont ensuite été dissimulées jusqu’au 10 octobre 2018. La raison officielle ? Les protéger des travaux de construction de l’hôpital qui a fini par ouvrir en janvier 2018 (un beau chantier à 7 milliards d’euros). La raison officieuse ? Un bad buzz sur les réseaux sociaux, généré par des Qataris conservateurs qui ont découvert ces œuvres pour le moins originales, un beau matin. En effet, ce n’est peut-être pas le genre d’images organiques et crues qu’on a envie de voir avant d’accoucher… Mais leur avis compte peu. “Vous savez, culturellement, c’est la première sculpture de nu au Moyen-Orient… C’est très courageux de la part du Qatar”, avait confié Damien Hirst, en 2013.
L’hôpital Sidra n’en est pas à sa première œuvre d’art. Ce centre spécialisé dans la santé de la femme et de l’enfant voit ses couloirs embellis par 65 œuvres de grands artistes internationaux, y compris du monde arabe. Mais nous doutons que l’œuvre de Damien Hirst sera aussi bien acceptée que celles de ses pairs…