On a parlé science et bricolage avec l’ado qui a envoyé une patate dans la stratosphère

On a parlé science et bricolage avec l’ado qui a envoyé une patate dans la stratosphère

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Par Thibault Prévost

Publié le

Le 30 septembre dernier, le jeune Québécois Tristan Leblanc a envoyé deux caméras en orbite terrestre par simple curiosité, après avoir tout appris en ligne. Costaud.

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Vous faisiez quoi, vous, pour profiter de votre temps libre estival à 17 ans ? Tristan Leblanc, lui, s’occupait en mettant au point, dans son garage, un ballon stratosphérique pour envoyer des caméras dans l’espace. Alors certes, le Québécois n’est ni le premier ni le dernier amateur à se piquer d’aérospatiale pendant ses congés, mais le taux d’échec de ce genre de tentative invite à respecter ceux qui réussissent, particulièrement lorsque le bricoleur en question n’a aucune connaissance particulière en maths, physique ou ingénierie spatiale. Tout ce que Tristan Leblanc avait, c’est une connexion Internet et une grosse, grosse motivation.

Pendant près d’un an, le Québécois a donc patiemment calculé, conçu et expérimenté avec les moyens du bord un ballon pour que sa “Mission Strato” se déroule comme prévu. Le 30 septembre dernier, sa nacelle, baptisée IBICTTS – pour “I believe I can touch the sky” – s’est lentement envolée depuis Blainville, en banlieue de Montréal, grâce à un ballon d’environ 2 mètres de diamètre.

Le vol durera 2 h 57, la vitesse maximale de l’attelage culminera à 184 km/h et la nacelle, avec ses deux caméras et sa mascotte Billy, s’élèvera à une altitude de 32 000 mètres. Soit trois fois plus haut qu’un avion de ligne, et quelques kilomètres sous le seuil atteint par ce héros de Felix Baumgartner. Alors oui, un type qui accroche une patate à un ballon atmosphérique, la baptise Billy et l’équipe d’un drapeau du Québec mérite toute notre attention, raison pour laquelle nous lui avons posé quelques questions.

Konbini | Salut Tristan, est-ce que tu pourrais rapidement te présenter ? D’où tu viens, quelles études tu fais, quelles sont tes passions dans la vie…

Tristan Leblanc | Je m’appelle Tristan, j’ai 17 ans et je viens de Blainville, une ville en banlieue de Montréal. Le domaine spatial et aérospatial m’intéresse beaucoup depuis le lancement de la Falcon Heavy en février dernier. Je suis un grand fan du géant de l’aérospatial SpaceX et tout ce qui l’entoure. L’ingénierie m’intéresse depuis le début de mon enfance et mon grand-père, étant lui-même ingénieur mécanique, m’a fait apprendre les bases de l’électricité tout jeune.

À quel moment t’est venue l’idée de Mission Strato ?

L’idée de lancer un ballon stratosphérique m’est venue lors de la dernière éclipse solaire en Amérique du Nord, en août 2017. On regardait l’éclipse avec un ami et je me disais qu’il devait être beaucoup plus intéressant de voir l’ombre de la Lune depuis le ciel, pour voir l’ombre que ça donnerait sur la Terre !

J’ai pensé à utiliser un drone, mais ils n’atteignent pas de hautes altitudes. Une fusée, ça coûte trop cher et c’est trop dangereux. Un ballon d’hélium comme dans le film Là-haut était la meilleure solution. Je n’avais aucune documentation ni de connaissances sur le sujet. Je savais que j’allais devoir me documenter sur de nombreuses sources et expériences déjà faites auparavant pour mener à bien mon expérience.

Quelle a été la partie la plus difficile du dispositif, celle qui t’a donné le plus de mal ?

La localisation GPS m’a donné beaucoup de mal. En fait, il est très difficile de localiser un objet à plus de 60 000 pieds d’altitude (20 kilomètres) à cause de la coupure des antennes téléphoniques pour ne pas interférer avec l’aviation civile. J’ai acheté un mini-localisateur d’auto, qui ne m’a pas beaucoup aidé puisque j’ai perdu sa localisation peu de temps après le lancement… Pire erreur du projet.

Comment est-ce que tu as procédé, en partant de rien ? Comment est-ce que tu as divisé ces huit mois de préparation ? Par quoi as-tu commencé ?

J’ai passé plusieurs mois à me documenter, à utiliser des ressources en ligne pour voir ce qui avait déjà été fait. J’ai commencé par apprendre la physique derrière tout ça, la chimie des gaz pour le ballon… Comprendre comment le tout fonctionnait m’a permis de mieux savoir comment concevoir le projet.

Par exemple, en m’étant fixé un poids maximum d’un kilo, je devais choisir des matériaux légers mais efficaces pour la construction de la nacelle. La styromousse s’est avérée être le matériau le plus léger, isolant et résistant pour l’expérience. Je me suis ensuite attelé à créer mon propre parachute.

Qu’est-ce que tu as dû apprendre comme compétences et quelles ressources as-tu utilisées pour y arriver ?

Plusieurs sites me permettaient de faire mes calculs, notamment ceux des simulations de vol ; j’ai aussi utilisé des tableaux Excel libres d’utilisation pour vérifier mes calculs, etc. Des projets d’une telle envergure comme sont souvent effectués par plusieurs étudiants d’université, et il me fallait d’abord les notions pour arriver à quoi que ce soit.

Est-ce que tu t’es inspiré d’autres tentatives d’amateurs ou de professionnels ? Est-ce que tu as demandé de l’aide dans la vraie vie, sur les forums ?

J’ai dû me fier à plusieurs sites, forums, documents et blogs de personnes ou groupes ayant déjà fait quelque chose de similaire… En essayant de ne pas faire les mêmes erreurs qu’eux ! Certains n’en étaient pas à leur premier essai, et j’essayais d’analyser ce qu’ils faisaient de différent, lancement après lancement, pour que le mien soit parfait. J’ai eu recours à de l’aide financière sur GoFundMe (239 dollars) et mon meilleur ami est venu au lancement prendre des photos et des vidéos.
 
En te basant sur les tentatives des autres, qu’est-ce que tu as conclu sur les erreurs à éviter ? Pourquoi est-ce que tant de gens essaient et n’y arrivent pas, selon toi ?

Souvent, les expériences se fiaient beaucoup trop aux simulations et ne faisaient pas assez de préparation avant le lancement. Ils ont souvent mal rempli leur ballon, ils ont souvent trop de poids, ou pas assez, ce qui change complètement une trajectoire et, de fait, le succès de la mission.

Combien as-tu conçu de prototypes ?

Il n’y a eu qu’une seule nacelle, et c’est elle qui est allée dans la stratosphère !

Une fois achevée cette phase de documentation, qu’est-ce que tu en as conclu ? C’est quoi le secret de la sonde “la moins coûteuse, la plus légère et la plus efficace”, comme tu l’expliquais ?

Avant la conception d’un ballon stratosphérique, j’ai dû faire des recherches pour savoir comment bien isoler les caméras pour qu’elles ne gèlent pas dans les airs, et pour qu’elles ne surchauffent pas non plus. Au départ, ma nacelle de styromousse était beaucoup trop grosse. L’air refroidissait plus rapidement, ce qui aurait pu faire geler les caméras. J’ai aussi abandonné l’idée d’avoir une caméra sur le dessus de la nacelle, pour voir l’exposition du ballon, par faute de budget…

Contrairement à plusieurs autres projets, j’ai utilisé des trucs que je possédais déjà chez moi : deux caméras grand angle (sans être extraordinaires, elles faisaient le boulot), des batteries externes achetées au Dollarama – une chaîne de magasins québécoise où tout est à un dollar – et des chutes de styromousse pour l’isolant. J’ai aussi construit moi-même mon parachute au lieu d’en prendre un qui coûte près d’une centaine de dollars…

Est-ce que tu as dessiné les plans tout seul, et avec quels outils ?

J’ai dessiné mes plans seul. Mais je suis loin de Da Vinci ! Je n’ai jamais fait de plans super détaillés.

Comment est-ce que tu faisais pour reproduire les conditions de vol au sol ?

Pour tester mes caméras aux conditions extrêmes de la stratosphère (environ – 50 °C), je les ai essayées dans l’environnement le plus froid possible : le congélateur du garage ! Je notais les différents résultats de performances en changeant les batteries d’une fois à l’autre ou en changeant l’isolant. J’ai trouvé une façon quasi parfaite de recharger mes caméras en vol tout en ne les surchauffant pas !

Qu’est-ce que tu as appris sur la haute altitude et l’orbite terrestre qui t’a le plus marqué ?

Plus nous montons en altitude, moins il y a d’oxygène et de matière. Il y a donc moins de propagations de sons. Je peux bien entendre dans la vidéo de la GoPro qu’après une heure de vol, malgré les vents, il n’y a pas beaucoup de son ! C’est le même son que nous entendons lorsque nous mettons notre oreille dans un verre vide, par exemple.
 
Comment s’est passé le vol ? Qu’est-ce que tu as ressenti au décollage ? Quel moment restera dans ta mémoire ?

Aucun mot ne pourra décrire comment j’étais heureux lors du lancement. J’avais hâte de voir Billy s’envoler ! Le voir se perdre dans les nuages quelques minutes après le lancement sera un des plus beaux moments du projet. Cela dit, lors de la préparation et du lancement, le 30 septembre, les pires scénarios se sont produits. Premièrement, une des deux caméras ne s’allumait pas. C’était la première fois qu’elle me faisait ça.
 
Deuxièmement, 34 minutes après le lancement, le GPS nous a complètement lâchés. Il était donc impossible de savoir où la sonde se trouvait. Mon ami et moi savions qu’il était quasi impossible de récupérer la sonde sans ce GPS. J’ai commencé à douter du projet, et à être d’accord avec tous ceux qui disaient ne pas croire en mes capacités de gérer un tel projet.
 
Vingt jours plus tard, le 20 octobre, un producteur laitier m’appelle pour me dire qu’il avait trouvé la sonde. On a fait trois heures de route pour la récupérer, avant de regarder la vidéo de 1 h 34 dans un Tim Hortons. Lorsque j’ai vu que la caméra avait enregistré la majeure partie du vol, et que Billy rayonnait dans la stratosphère, ça a été l’un des plus beaux moments de ma vie.

Est-ce que tu penses qu’on peut trouver toute l’information qu’on souhaite et apprendre n’importe quelle compétence grâce à Internet ?

Grâce à Internet, j’ai pu apprendre sur tout ce dont j’avais besoin pour mon projet. Il n’y a aucune excuse qui peut exister pour dire “je ne sais pas comment faire”. Va sur Google, tu vas trouver. C’est de cette façon que j’ai fait ce projet. Parfois, je devais simplement me fier à mes propres intuitions si je ne trouvais rien en ligne, mais je dois avouer que j’ai pratiquement réussi à tout trouver grâce à mes recherches sur le Web.