Spirou lance Groom, un magazine qui décrypte l’actu en BD pour les enfants et les jeunes ados

Spirou lance Groom, un magazine qui décrypte l’actu en BD pour les enfants et les jeunes ados

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Par Théo Chapuis

Publié le

Et si expliquer l’actualité et ses drames aux enfants et aux pré-ados, c’était pas si dur ? Spirou a décidé de relever le défi en publiant Groom, un magazine d’info en BD, deux fois par an. Entretien avec son rédac’ chef.

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Ceux qui le connaissent bien vous le diront : Spirou, ce n’est pas qu’un journal. Né à la fin des années 1930, le magazine donnait à l’époque à ses lecteurs leur dose de grosse marrade, mais aussi de quoi apprendre en s’amusant. Si le souci éducatif cher à la famille Dupuis a peu à peu laissé place à de pures tranches de rigolade, Le Journal de Spirou, dont la devise est la plus scout de toutes (“Spirou, ami, partout, toujours !”), ne s’est jamais vraiment vraiment aventuré sur le terrain de l’actualité “chaude”. Mais, au mois de janvier 2015, les attentats sont venus bousculer le sommaire du journal. Il y a un an, l’équipe de Marcinelle (Belgique) bouleversait exceptionnellement son planning pour sortir un numéro spécial, qu’on vous présentait ici, et dont la question centrale était “Comment parler aux plus jeunes du massacre de Charlie Hebdo ?”.

Un an plus tard exactement, les plumes de Spirou sortent Groom, premier numéro d’un semestriel d’actualité destiné aux jeunes, tiré à 50 000 exemplaires. Dans ses pages, l’actu décryptée en BD, par les auteurs de Spirou, évidemment. Mais aussi des experts en sociologie, sécurité et géopolitique qui viennent éclairer de leur savoir des sujets très sérieux, avec une bonne dose de vulgarisation. Un apport essentiel pour les enfants et pré-ados, bien plus capables de comprendre ces informations qu’on ne le croit parfois.

Mais que le lecteur se rassure : qu’il s’agisse de parler du scandale à la Fifa, de l’épidémie du virus Ebola, de la crise des migrants, du conflit ukrainien ou de l’arnaque de Volkswagen, ce sont Boulet, Libon, Arthur de Pins, Fabrice Erre, Marie Avril, Jorge Bernstein, Chloé Cruchaudet, Philippe Bercovici, Étienne Lécroart et toute l’équipe habituelle de Spirou qui sont à la manœuvre. Là, ils rivalisent de talent et d’humour pour délivrer leur regard sur l’actu, le tout avec un seul parti pris : “l’humanisme”, comme nous l’explique son rédacteur en chef Damien Perez. Entretien.

Konbini | Comment avez-vous décidé de publier un magazine d’actualité en plus de Spirou ?

Damien Perez | L’envie de parler d’actu, en BD, aux enfants a toujours été là, même si elle était en sommeil. Le catalyseur a été la publication du Spirou “spécial Charlie” l’année dernière. Nos auteurs avaient envie de donner leur vision du monde contemporain et le lectorat nous jugeait pertinents pour le faire.

Dans un monde aux enjeux compliqués, on a eu envie de prolonger cette démarche et une équipe s’est constituée tout naturellement, avec des membres de la rédac’ et des gens de chez Dupuis. Pour beaucoup d’auteurs, sauter dans le train de cette aventure, c’était évident.

Ça nous a semblé de notre responsabilité de média pour la jeunesse – et en tout cas une démarche citoyenne –d’expliquer le monde. Alors on donne la possibilité de converser sur des choses compliquées tout en passant du bon temps en BD. À titre personnel, j’ai quatre enfants à la maison et leur parler de la crise ukrainienne, c’est pas évident…

K | Avec Groom, votre cible est-elle la même qu’avec Spirou ? Les pré-ados et les grands enfants ?

Oui, c’est à peu près ça, on pourrait dire que ce sont les 8-14 ans notre vrai cœur de cible. Mais en même temps, Groom s’adresse tout simplement à des lecteurs qui n’ont a priori pas de connaissance, on fait dans la pure vulgarisation.

K | Comment avez-vous choisi vos sujets ?

Comme pour n’importe quel journal, c’est la vie qui nous a imposé les sujets. Comment ne pas parler de Daesh, de l’Ukraine, etc. ?

K | Justement, vous traitez vos thèmes avec l’humour et parfois de l’ironie, du second degré…

Oui, sans crainte. Quand on met en place un journal comme Groom, on fait confiance au lecteur, même s’il a entre 8 et 14 ans.

K | Vous êtes-vous imposé des limites ? Y a-t-il des sujets tabous ?

Pour le sujet sur Daesh, typiquement, il fallait faire très attention. Pour éviter tout amalgame, toute représentation inadaptée des jihadistes… Il faut que le message soit clair, éviter à tout prix qu’un musulman respectueux se reconnaisse dans le portrait qu’on fait de Daesh. Nous avons fait attention de restituer une info de qualité que nous voulions représenter avec cohérence. Et, contrairement à ce qu’on pense parfois, les auteurs sont des gens responsables qui savent jusqu’où ils peuvent aller.

La vraie grosse difficulté de ce premier numéro, c’était le traitement des attentats de Paris, en novembre. On essaie de donner les infos à froid, de ne pas réagir dans l’émotion, de garder la tête froide mais on a dû demander à des auteurs de boucler ça en deux ou trois jours, vu les contraintes d’édition. C’est le seul sujet traité à chaud par le prisme Groom de ce numéro.

K | Vous avez fait appel à des experts pour des interviews qui complètent les BD. Comment avez-vous choisi vos interlocuteurs ?

Pour que la vulgarisation fonctionne, on a avant tout fait appel à des gens qui ne vont pas chercher leurs mots. Qu’il s’agisse de Jean-Louis Bianco (président de l’Observatoire de la laïcité, ndlr) pour les questions de sécurité avec Charlie, Catherine Wihtol de Wenden, spécialiste des flux migratoires, ou des autres, ils ont tous été incroyables, vraiment. Ils ont été très bons : ils vous rendent simple une situation complexe, puis vous la complexifient à nouveau avec des éléments de réflexion neufs auxquels on n’aurait pas pensé.

On a même organisé un dialogue, car certains auteurs livrent parfois un avis différent de celui des spécialistes. On montre que la vérité se situe quelques fois ailleurs, en creux, entre les deux. Et c’est là que naît la subtilité. Pour nous, lire un journal d’information, ce n’est pas de la consommation, c’est avant tout réfléchir par soi-même.

K | On découvre plusieurs BD, notamment celles de Fabrice Erre, qui déconstruisent les théories fumeuses du complot. Les pré-ados sont-ils concernés par la diffusion de ces thèses ? 

On s’est rendu compte que paradoxalement, les ados et les enfants sont ultra-informés, notamment par des canaux que leurs parents ne soupçonnent pas toujours. Les réseaux sociaux, les SMS, etc. Est-ce que l’info qu’ils recueillent ainsi est toujours de qualité ? Bien sûr que non ! Ce sont parfois des on-dit, des contre-vérités obstinées, voire des thèses complotistes… Après les attentats de Charlie, avec cette histoire de papiers d’identité, une thèse s’est beaucoup répercutée sur les réseaux sociaux, comme quoi les services secrets étaient responsables et avaient tenté de maquiller l’enquête.

On a naturellement demandé à Fabrice Erre, qui est un auteur pilier de Groom, de déconstruire les contre-vérités avec une série d’humour. Également prof d’histoire, il fait preuve d’une solide culture et peut donner une bonne perspective des actualités contemporaines, avec pédagogie mais, surtout, avec son sens de l’humour qui fait mouche à tous les coups. En plus des complotistes, il s’est attaqué aux sujets des attentats de janvier et de novembre à Paris. Je me rappelle que lorsqu’il terminait sa planche sur le massacre à Charlie, il disait que cet attentat ne serait pas le dernier… Ça m’a marqué parce que c’était extrêmement prophétique.

K | Pour finir, même les journaux qui s’en défendent ont un parti pris, conscient ou non. Lequel serait celui de Groom ?

Sans hésiter, celui de l’humanisme. Groom est une auberge espagnole, composée de toutes sensibilités et toutes nationalités. Donc, même si nous souhaitons éviter de livrer quelque chose d’orienté, nous n’échappons pas à ce que nous sommes. On a plus de 50 auteurs, avec chacun leur vécu différent, alors on n’offre rien d’autre qu’une volonté d’être humanistes et citoyens. Et si ça passe par décrypter l’actu en BD, ça nous va très bien.

Groom est sur le Web et surtout en kiosque depuis le jeudi 7 janvier. 100 pages, 6,90 euros.