J’ai fait un speed dating avec le gratin de la comédie américaine

J’ai fait un speed dating avec le gratin de la comédie américaine

photo de profil

Par Louis Lepron

Publié le

Deux interviews, sept minutes chacune : j’ai rencontré Jim Carrey, Jeff Daniels et Peter Farrelly à l’occasion de la sortie de Dumb & Dumber De. Petit déroulé de ce speed dating spécial comédie américaine.
14h30. Arrivée dans un luxueux hôtel, proche du métro Charles de Gaulle – Étoile. L’espace est divisé en trois parties. La première est dédiée aux journalistes, qui se mélangent à la production. La deuxième est une chambre où réside Peter Farrelly. La troisième est une autre chambre, à deux couloirs de distance.
À l’intérieur, deux loustics : Jim Carrey et de Jeff Daniels, le duo timbré qui officiait dans ce qui est devenu une comédie culte, Dumb and Dumber, sortie en 1994. Si aujourd’hui ils sont assis face à moi et une caméra, maquillés et souriants, c’est pour la promo de la suite des aventures de Lloyd Christmas et Harry Dune.
20 ans se sont écoulés mais rien n’a changé : ils sont toujours aussi cons, du moins à l’écran.

Au programme, j’ai droit à sept minutes d’interview pour chaque chambre. Mon objectif : essayer de toucher du doigt l’esprit de la comédie américaine, son origine, son actualité et, soyons fous, son futur, dans un laps de temps très court. C’est risqué. Dans le milieu du cinéma, on appelle ça un “junket”, ou l’usine bien huilée des entretiens.

À voir aussi sur Konbini

Étape 1 : Peter Farrelly

Première interview. Peter Farrelly est aux anges. En tout cas il en donne l’apparence, répète votre prénom pour vous faire comprendre qu’il tente de le retenir, retombe sur sa chaise de manière énergique, et tape sur ses cuisses avec ses mains. À ma droite, mon stress s’incarne dans une petite boîte noire disposant d’un écran. En son sein, des chiffres d’un compte à rebours. C’est parti.
La moitié du duo de cinéastes qui a eu le toupet de donner un coup de fouet à la comédie américaine en 1994 est enthousiaste. Cinq ans après leur braquage comique (247 millions de dollars de recettes pour un budget de… 17 millions), les studios les poussent à faire une suite. Refus de la part des frères Farrelly : “Ça n’avait pas de sens, excepté faire de l’argent”. Plus que 6 minutes.
Ce n’est qu’après une bonne dizaine de films – Mary tout prix, Fous d’Irène, L’Amour extra-large ou Deux en un – que l’idée de Dumb & Dumber De émerge. Dans une chambre d’hôtel, Jim Carrey revoit pour la première fois le film et se dit : “Il faut qu’on fasse quelque chose”. Peter Farrelly précise : “Jim avait oublié combien il s’était amusé”. 5 minutes et 16 secondes.
Pourquoi une suite de Dumb and Dumber et pas une de Mary à tout prix ?

La bonne chose avec Harry et Lloyd, c’est que ce sont des personnages qui ne grandissent pas. Ils sont toujours comme ça [il mime une ligne droite avec sa main]. On savait qu’en 20 ans ils n’auraient pas changé. Le plus difficile a donc été de les raccrocher à un scénario, avec des éléments de contexte.

20 ans ont passé et mon timing a déjà été amputé de moitié. Je lui pose la question de la comédie à l’Américaine : ça signifie quoi pour lui ?

La comédie change toujours. Ce que mes parents aimaient est différent de ce que moi j’ai aimé et il en est de même pour mes enfants. Il y a eu des moments où la comédie américaine n’était vraiment pas bonne, comme par exemple dans les années 80. Et c’est l’une des raions pour lesquelles, lorsque Dumb and Dumber est sorti au milieu des années 90, les gens ont été surpris, choqués.

3 minutes. Quand on lui parle du show du Saturday Night Live, qui a tout de même apporté un chouette casting aux comédies (de Bill Murray à Will Ferrell en passant par Tina Fey, Eddie Murphy ou Chris Rock), Peter Farrelly y voit une influence majeure, mais nuance dans la foulée son propos :

La plus grosse influence qu’a pu avoir la télé sur la comédie américaine se résume en un nom : Larry David. Il a façonné Seinfeld et ça a changé le visage de la comédie aux États-Unis. Ce qu’on pouvait en conclure, c’était qu’on n’était pas obligé de faire quelque chose de grand : quelque chose de petit pouvait tout autant fonctionner.
Le comique pouvait résider dans une scène du quotidien : faire un show entier autour d’une tasse de café, ça pouvait fonctionner. Et cette idée a changé les films, plus que le SNL.


Est-ce que le cinéma reste le principal médium de cette comédie ? 2 minutes et 22 secondes. Le cinéaste n’en est pas sûr : quand on lui parle du petit écran, il y voit “un âge d’or de la télévision qui a affecté les films”. La raison ? Par son format, il permet d’en faire plus. La deuxième raison, plus insidieuse ? “Le cinéma est bloqué dans les films de super-héros, empêchant la production de ce genre de petites comédies indépendantes”.
Et de poursuivre :

À la télévision, il y a tellement à faire : Breaking Bad a permis de casser les codes. Au départ, quand je suis rentré dans les affaires, j’évitais la télé, c’était même la dernière chose que je voulais faire. À part Seinfeld, c’est l’unique show pour lequel j’aurais accepté de travailler. Maintenant, le petit écran vaut le détour.

Tellement que le réalisateur me confie une information : il vient de signer un contrat avec Amazon, ce qui permettra aux frères Farrelly de réaliser pour la première fois une show télévisé.
00:00. Le temps s’est écoulé et je me demande si Peter Farrelly ne confirmerait pas, implicitement, une question que je me pose : et si le futur de la comédie américaine se trouvait aux côtés de séries déjà cultes comme The Office, Community, Parks and Recreation ou Louie ? On nous fait signe de quitter la chambre.

Étape 2 : l’attente

Prochaine étape et pas des moindres, Jim Carrey et Jeff Daniels. Place à l’attente. Les gens sortent, bougent, ne font que passer, s’assoient, discutent ou s’interpellent. En attendant, je pense à deux acteurs aux carrières divergentes.
Jim Carrey représente à lui tout seul un pan de la comédie américaine sans n’avoir jamais été gobé par elle : son charisme, ses mimiques et sa gestuelle ont fait de lui un acteur incontournable pour des réalisateurs comme Peter Weir (The Truman Show), Miloš Forman (Man on the Moon) , Ben Stiller (Disjoncté) ou Glenn Ficarra et John Requa (I Love You Phillip Morris).

L’acteur, né au Canada, fait partie de cette génération de comédiens formés au stand-up, pourtant refoulé du Saturday Night Live. Ça dit quelque chose de cet esprit de liberté façonné par les frères Farrelly au milieu des années 90 dont le flambeau a été repris par les Judd Apatow (d’ailleurs producteur de Disjoncté) et autres Adam McKay (Présentateur vedette: la légende de Ron Burgundy ou Frangins malgré eux avec le génial Will Ferrell).
Face à Jim Carrey, un routard du cinéma américain : Jeff Daniel, 59 ans, près de 50 films inégaux, et une quinzaine d’apparitions dans des séries télévisées. The Newsroom fait d’ailleurs le lien avec les propos de Peter Farrelly et l’importance qu’a pris le petit écran dans l’industrie du divertissement.
L’acteur y incarne Daniel McAvoy, un présentateur et journaliste sur la chaîne ACN, un rôle à mille lieues d’Harry Dunne, pour lequel il a reçu un Emmy Award du meilleur acteur en 2013.

Les dialogues sont écrits par un certain Aaron Sorkin, le même qui s’était occupé du scénario de The Social Network de David Finche. Retrouver Jeff Daniels là, aux côtés de Jim Carrey, est presque une surprise, même si ce dernier a réussi à mettre aussi du drame dans son comique, sous la direction de Michel Gondry par exemple.

Étape 3 : Jim Carrey et Jeff Daniels

C’est mon tour. La chaleur se fait sentir. La faute aux spots de lumière qui éclairent les visages des deux acteurs. Jim Carrey n’arrête pas de sourire, semble avoir la bougeotte, alors qu’il est habillé de manière ordinaire. Jeff Daniels est plus sérieux dans la tenue, façon Will McAvoy. Sept minutes : c’est parti pour le décompte et une partie de ping-pong orale.
Ça commence gentiment : les deux sont heureux d’être là, le début de tournage de Dumb and Dumber De a été cool : “Ça a été facile de reprendre nos rôles et de rejouer à nouveau ensemble” explique Jeff tandis que Jim fait dans la métaphore : “C’était comme reprendre de vieilles chaussures. C’était un soulagement”. Pour vous donner une idée de l’ambiance, on a fait un petit montage :

Si ça a été difficile de convaincre les studios – plutôt sceptiques à l’idée de faire un sequel 20 ans ans après un film original – l’audience était déjà prête, et “connaissait encore l’humour et les dialogues du film” d’après Jeff Daniels – encore quatre minutes.
Qui poursuit :

À l’époque, on pensait que c’était marrant, pas que ça allait devenir un film culte. On était à un moment où soit on allait faire quelque chose de très spécial, soit on allait faire quelque chose qui allait mettre fin à nos carrières.
Et c’est la meilleure façon de faire un film qu’on voulait original. Il faut avoir peur, il faut qu’on se dise : “Merde, j’ai jamais fait ça !”. Si on n’avait pas voulu se ridiculiser, on n’aurait pas eu le succès que Dumb & Dumber a eu à l’époque.

Si les personnages de Harry et Lloyd n’ont pas changé en 20 ans, il semble que la comédie américaine mainstream a évolué. 2 minutes et 45 secondes. Aujourd’hui, un duo comique aussi imposant que le Carrey – Daniels de 1994 pourrait s’incarner dans James Franco et Seth Rogen.
Les deux acteurs sont partout depuis 2008 : Pineapple ExpressC’est la fin et bientôt L’Interview qui a causé quelques soucis à Sony Pictures et donné l’occasion au duo de se marrer sur le plateau du Saturday Night Live. Une relève prolifique guidée par de nouveaux producteurs comme Judd Apatow (Légendes Vivantes, Funny People, Frangins malgré eux). Le renouvellement s’est fait naturellement, à la télévision comme dans les salles obscures. Zut, 30 secondes.
Jeff Daniels conclut l’entretien par un souvenir. On est en 1983 et il est sur le tournage de Tendres Passions aux côtés de Danny DeVito et Jack Nicholson. Le réalisateur James L. Brooks vient voir l’acteur de Shining pour lui demander s’il peut tenter quelque chose pour la prochaine prise, d’essayer de se mettre en danger.  Jack Nicholson lui répond alors : “J’adore être en danger. C’est là où je risque d’avoir des problèmes”.
Et l’acteur de préciser :

Dumb & Dumber, c’est exactement ça.