Afghanistan : pour la première fois, une série féministe sera diffusée à la télévision

Afghanistan : pour la première fois, une série féministe sera diffusée à la télévision

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Par Fanny Hubert

Publié le

Un rôle de femme forte et des sujets délicats abordés

Prévue pour être diffusée à la fin de l’année 2015, la série comportera 12 épisodes de 45 minutes. L’histoire est celle de Shereen, 36 ans, qui élève seule ses trois enfants. De plus, elle est greffière au tribunal de Kaboul et souhaite divorcer car elle a subi un mariage forcé.
Comme le dit Leena Alam, l’inteprète de Shereen : “c‘est peut-être la première série de la sorte en Afghanistan qui parle des femmes“. Elle poursuit : “Je pense qu’il est temps, après plus de 30 ans, d’évoluer, d’éduquer les gens et de leur donner les informations de façon aussi directe que Shereen“.
La série abordera des sujets délicats comme le harcèlement, le viol et la corruption. De ce fait, le casting n’a pas été facile. C’est le mari de Leena qui endosse le même rôle dans la série. Une actrice qui devait jouer une avocate a dû renoncer car son mari a refusé qu’elle tourne dans la série. Un acteur qui tenait le rôle d’un juge corrompu a aussi fait machine arrière car il craignait les représailles.
La corruption est en effet un problème majeur qui reste tabou en Afghanistan. Le système judiciaire y est fortement corrompu puisque, selon l’Asia Foundation, 55% des personnes ont dû verser des pots-de-vin à des tribunaux afghans. En termes de corruption, le milieu de la justice devance donc la police et l’armée.
En raison des sujets abordés, Max Walker a préféré être prudent pour s’assurer que la série ne serait pas interdite :

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Il y a eu un énorme […] examen du scénario et de l’ensemble de l’histoire pour être sûr que cela soulève ces problèmes (droits des femmes, corruption, ndlr) mais sans être brutal et offensant au point que la série soit retirée de l’antenne, inch’allah.

La télévision, un moyen de faire changer les mentalités ?

Les choses n’ont pas été faites à moitié. Le tournage a lieu à la fois en extérieur dans les rues de Kaboul et en intérieur dans un immeuble où un tribunal, un cabinet d’avocats et la maison de Shereen ont été recréés. Un portrait d’Ashraf Ghani, président du pays, a même été intégré au décor.
Jusqu’en 2001, la télévision était interdite par les talibans. Depuis, 58% des foyers sont maintenant équipés d’un téléviseur, toujours selon l’Asia Foundation. Le medium peut donc être un moyen de faire passer certaines idées. La chaîne de télévision Tolo, qui produit Shereen’s law, connait un grand succès en Afghanistan depuis son lancement en 2004. Pour Anne Jasim Falher, à la tête d’une société de conseil à Kaboul, “la télévision, que ce soit en bien ou en mal, a permis de faire bouger certaines lignes sur les mariages forcés, probablement aussi sur la violence faite aux femmes et dans les familles“.
Car il reste beaucoup de travail à faire. On se souvient du destin tragique de Farkhunda, jeune afghane de 27 ans, battue à mort par la foule pour avoir brûlé un Coran. Leena Alam elle-même craint pour sa vie sur le tournage de la série :

C’est un peu dangereux. Hier, nous tournions dehors. Quand ils disent “action” j’oublie tout et ensuite […] j’attends la prochaine prise. Mais j’ai toujours peur que quelqu’un me lance de l’acide ou me frappe avec un couteau.

Heureusement, certains osent être novateurs à la télévision comme le groupe Moby, qui détient la chaîne Tolo, et qui a été le premier à embaucher des présentatrices aux côtés des hommes. Le directeur du groupe, Massoud Sanjer, explique qu'”il faut parfois franchir les barrières et faire des choses qui donnent la parole aux femmes“. Il s’agit d’aller contre l’exemple : “En Afghanistan, si on dit aux gens “faites comme ça”, ils ne vous suivront pas. Mais si on leur donne des raisons d’agir et de penser par eux-mêmes, ils le feront“.
Shereen’s Law est donc une avancée remarquable et on ose espérer que les mentalités pourront évoluer grâce à cette série.