Quand Édouard Philippe écrivait une fiction grossièrement misogyne

Quand Édouard Philippe écrivait une fiction grossièrement misogyne

“Les femmes ne sont pas comme ça”

L’obsession du narrateur, c’est Marilyn, son attachée de presse. Les auteurs qualifient ce personnage – qui s’occupe de la com’ du parti du narrateur, tout en étant sa maîtresse – de “trophée”. “Tout le monde se demandait quel serait le premier député à pouvoir faire état de ce trophée”, écrivent-ils. Histoire de bien baigner dans le cliché, les narrateurs ont nommé l’attachée de presse sexy “Marilyn”, sans “e”, comme la Marilyn qui fut le fantasme des hommes de toute une génération. La leur.
Forcément, le narrateur finit par coucher avec Marilyn. Après leur première fois, elle lui fait comprendre que ce n’était que l’affaire d’une nuit et que leur relation resterait avant tout professionnelle. Sacrilège ! “Elle m’avait fait le coup que je faisais en général. Elle m’avait fait le coup d’un mec, enfin ce que je considérais comme le coup d’un mec, car enfin, les femmes ne sont pas comme ça.” Voilà ce qu’on peut lire dans le polar de notre nouveau Premier ministre.
C’est bien connu, “les femmes ne sont pas comme ça”. Ce sont de tendres, douces et fragiles créatures qui se font jeter par des hommes virils – surtout s’ils font de la politique. “Si elles font comme nous, on ne s’en sortira jamais”, nous infligent à un moment Boyer et Philippe. En plus, les femmes se mettent à faire de la politique. Horreur. Heureusement, aucune d’entre elles n’a encore jamais été présidente de la France… Tout n’est pas perdu.
Pire encore : quand les deux auteurs parlent d’une opposante politique du narrateur, la description baigne dans le stéréotype de la femme qui a réussi en étant forcément frigide. Lisez donc : “Elle avait en elle cette imperceptible sécheresse des femmes qui ne seraient jamais mères, ce qui en faisait, assurément, une redoutable politique : un cœur d’homme dans un corps de femme.” Terrifiant.

À voir aussi sur Konbini

“Marilyn a des petits seins. Normalement, je n’aime pas ça”

Heureusement, Marilyn n’est pas frigide. En même temps, elle fait de la com’, pas de politique – c’est donc normal. Quand elle entre dans son bureau vêtue d’un chemisier blanc entrouvert – car c’est bien connu que toutes les femmes portent des chemisiers blancs sexy au bureau – le narrateur nous livre un éloge de son décolleté qui aurait pu être écrit par un ado de 16 ans :

“Elle portait un chemisier blanc, légèrement entrouvert. Marilyn n’était pas du genre à mettre son physique en avant. […] Mais un début de décolleté est tellement fascinant. Je voyais le début de son sein droit. J’étais fasciné. Je tentai d’être discret, de la regarder dans les yeux, de donner l’impression de réfléchir, mais la seule chose qui comptait, c’était ce grain de beauté, ce sein, Marilyn.”

Outre l’écriture atrocement fade de ces quelques lignes, on relèvera tout de même le cliché, qui frise le ridicule, de l’homme béat devant une paire de seins. Mais bon, jusque-là, ça va. L’ennui, c’est que “Marilyn a des petits seins”. En voilà un sacré problème… “Normalement, je n’aime pas ça”, confie le narrateur, s’enfonçant un peu plus dans le cliché :

“Mon truc, je l’avoue, ce serait plutôt les poitrines un peu rondes. Pas accablées et avachies, non, pas lourdes au point d’être tombées, mais enfin, quelque chose en relief. Pas de petites excroissances décharnées et hasardeuses. Les mannequins qui défilent en offrant leur platitude me laissent sans voix. Une vraie poitrine, c’est rond, c’est confortable, c’est accueillant et on doit pouvoir mettre son nez au milieu avec jubilation.”

Bon, là, on vous conseille d’arrêter la lecture de ce “roman” – à moins que vous ne soyez, vous aussi, obsédé par les nichons. Comme le dit Catherine Blanc dans La Sexualité des femmes n’est pas celle des magazines (La Martinière, 2004), ce type de poitrine généreuse rappellerait aux hommes leur doux passé de bébé tétant le sein de leur maman. À la fin du roman, (on vous spoile la conclusion puisqu’on ne vous conseille vraiment pas sa lecture), Marilyn finit avec un journaliste – quelle vilaine.
Bref, pour la défense d’Édouard Philippe, tout ceci n’est que fiction. Mais comme l’écrivait Stendhal pour définir le roman dans Le Rouge et le Noir, “un roman, c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin”. Espérons que l’illustre romancier se trompe, et que Dans l’ombre ne soit pas le miroir de la vie ou des fantasmes d’Édouard Philippe. Si c’est le cas, on souhaite bon courage aux femmes ministres de son futur gouvernement (dont on attend toujours les nominations, à l’heure où nous écrivons cette ligne).