Karidja Touré termine la saison des NEW WAVE avec sa reprise d’un tube de Sheryfa Luna, “Il avait les mots”.
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© Benjamin Marius Petit
Karidja Touré a commencé sa carrière dans Bande de Filles devant la caméra de Céline Sciamma. Repérée à la Foire du Trône, la comédienne a ensuite enchaîné les films d’auteur et les comédies tout en s’appliquant à ne pas véhiculer le cliché de la fille noire de banlieue.
Cette année, elle a aussi participé à l’écriture de l’ouvrage Noire n’est pas mon métier, dans lequel elle s’attarde avec d’autres comédiennes noires sur quelques aberrations du milieu. Sa vie au lycée, le cinéma, le racisme ordinaire… Karidja Touré se raconte dans une longue interview et clôt la saison des NEW WAVE.
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Konbini |Quel âge as-tu ?
Karidja Touré|J’ai 24 ans.
Où es-tu née ?
À Bondy, mais j’ai grandi dans le 15e, donc, en vrai je ne connais pas du tout (Rires).
As-tu des origines ?
Je suis Ivoirienne.
T’as fait quoi comme études ?
Un bac pro comptabilité et après un BTS Assistant Manager.
© Bande de Filles
C’est lorsque t’as eu ton bac que t’as décroché ton premier rôle, c’est ça ?
Oui, c’était l’année où je passais mon bac. Pendant un de mes stages de BAFA, j’avais sympathisé avec des gens et on s’est dit qu’on allait aller à la Foire du Trône pour se revoir. Une directrice de casting m’a accosté et m’a dit : “Bonjour, on cherche une fille comme toi pour le premier rôle du prochain film de Céline Sciamma. Est-ce que tu la connais ?“
Je lui ai dit que non et je l’ai regardé trop bizarre parce que je trouvais ça étrange qu’on aille chercher des gens à la Foire du Trône. Pour que je la prenne au sérieux, elle m’a parlé pendant 10 minutes et m’a laissé son numéro car elle n’était pas dans un délire de prendre mon contact pour me “harceler”.
Je suis rentrée chez moi, j’en ai parlé à ma mère qui m’a dit de faire attention mais j’ai quand même appelé la directrice de casting et on a fixé un rendez-vous dans la semaine.
Tu n’as pas du tout hésité ?
Quand j’étais petite, j’aimais bien ce monde du cinéma. Je voulais être actrice mais j’imaginais l’être aux États-Unis parce que je me disais que je n’aurais pas ma chance en France, à cause de ma couleur de peau. Au final, j’ai eu cette opportunité et j’étais trop contente. C’était un rêve mais je n’ai jamais travaillé pour.
Par contre, après le film, je me suis demandé ce que j’allais faire car je venais d’avoir mon bac, c’était l’été et personne ne me connaissait. Je me suis donc inscrite en BTS mais j’ai dû voyager pendant l’année pour le film.
T’as dû arrêter tes études ?
Non, j’avais envie d’avoir mon diplôme avant de poursuivre ma carrière d’actrice. J’avais le temps.
Et tes profs, ils étaient ok avec tes déplacements ?
J’ai fait une rentrée un peu décalée et je n’ai pas vraiment expliqué pourquoi. Je me faisais passer pour la nouvelle quoi. Quand je suis arrivée, j’ai dit à une seule fille de ma classe que j’étais en tournage parce qu’elle me l’avait demandé. Mais, au moment où on devait se rendre au Festival de Cannes, je suis allée voir ma prof : “Madame je vais devoir aller au Festival de Cannes la semaine prochaine“. Elle m’a répondu : “Non mais Karidja, vous vous foutez de moi, comment ça ?” (Rires)
(Rires) Ah oui, elle pensait que c’était de l’insolence.
(Rires) Grave, elle a cru que je partais en vacances ! Donc je lui ai expliqué que j’avais fait un film, j’ai dû me rendre au CDI de mon établissement pour aller chercher le magazine Première et lui montrer l’affiche du film. Elle a crié : “NAAAAAN !!!!! MAIS C’EST VOUS KARIDJA !“
Elle était choquée que je n’ai rien dit pendant 6 mois. Elle a commencé à le dire à toute la classe et m’a sorti : “Karidja, si vous voulez des bonnes notes, n’oubliez pas de glisser mon nom dans certaines interviews“. Elle était très drôle comme prof. (Rires)
Au final, ta mère t’a soutenue ?
Ouais grave ! Elle trouvait ça trop bien. La productrice est quand même allée voir mes parents quand on a su que j’allais avoir le rôle. Au début, je croyais que ça allait être un film pour la télé ou pour YouTube, je pensais que personne ne serait allée le voir. Ils étaient trop fiers de moi quand ils l’ont vu et continuent de me soutenir.
Raconte-moi ton premier casting ?
Pour Bandes de Filles, c’était au fin fond de la ligne 9 vers Montreuil, dans une petite salle cosy avec une scène et des chaises. Quand je suis arrivée, il y avait déjà des filles, toutes noires, qui attendaient chacune leur tour. Au fur et à mesure des callback, je rencontrais des filles afin qu’on commence à former une bande et trouver une cohésion de groupe. On nous mettait dans des situations particulières avec des indications comme : “Vous êtes en train de regarder un film et vous vous charriez.”
Je trouvais ça supercool, je ne me mettais pas en compétition. Ça reste un de mes meilleurs castings.
© Bande de Filles
Pour la suite du tournage, tu avais un coach pour te préparer ?
Oui, on avait un coach et Céline Sciamma nous a beaucoup aidées. On répétait toutes les scènes du film dans une salle pour faire sortir le meilleur de nous-même. Ça nous permettait d’être super à l’aise devant la caméra. Comme si on faisait des cours de théâtre avant de tourner.
Maintenant que tu as choisi ce métier, tu veux faire du théâtre ?
J’en ai encore jamais fait. J’ai trop hésité après Bande de Filles mais j’avais peur de perdre mon naturel car au théâtre on t’apprend à être sur scène, à jouer. Pour mon premier film, je n’en avais jamais fait donc je ne pensais pas que c’était indispensable. Maintenant, je pense que ce serait bien car on a toujours des choses à apprendre.
J’aime bien avoir un coach pour me mettre dans la peau du personnage. Par exemple, pour Bande de Filles j’avais un coach de jeu et un coach de bagarre.
On t’a vu dans Ce qui nous lie, mais ensuite tu as changé de registre avec La Colle, une comédie plus populaire. C’était un nouveau défi pour toi ?
Franchement non, il faut juste que je me projette en lisant le scénario. J’aime bien toucher à tout et avoir des rôles différents. En plus, tu sais, quand t’es noire, ils veulent tous te catégoriser comme la fille de banlieue, etc. Tous les choix de films que j’ai faits, c’était toujours des choses différentes.
J’ai bien aimé l’idée de La Colle, avec cette boucle spatio-temporelle et j’aimais déjà l’esprit du réalisateur dans Tamara car je regardais souvent Disney Channel. Je trouve qu’il ressemble aux réalisateurs américains avec les jeunes et tout… C’était aussi mon deuxième rôle important donc je me suis dit direct : j’accepte.
Oui, c’est vrai. D’ailleurs j’ai vu que cette année tu avais participé à Noire n’est pas mon métier.
C’est un livre à l’initiative d’Aïssa Maïga que j’avais rencontré deux ou trois fois à des défilés de mode, sans discuter plus que ça. Un jour, elle m’envoie un message pour me parler de ce projet et savoir qui serait intéressé pour écrire un livre sur nous, les comédiennes noires. Je lui dis direct que je suis grave motivée mais c’était hyper restreint : on a dû tout faire en un mois !
Elle m’a même demandé conseil pour contacter d’autres actrices et donc, au fur et à mesure, on a pris nos responsabilités, à savoir écrire quelque chose sur notre histoire en tant que comédienne. On a aussi travaillé avec une écrivaine sous forme d’interview, elle nous posait des questions et c’est comme ça qu’on a écrit notre texte. Je suis trop contente d’en faire partie.
Oui, c’est important d’en parler pour que les choses bougent.
Voilà, car même si ça ne fait que quelques années que je suis comédienne, j’ai déjà été confrontée à certaines choses. Elles, elles m’ont beaucoup appris. Ça me donne de l’espoir car la façon dont elles s’expriment et dont elles voient les choses nous permet d’ouvrir un nouveau chemin. Je suis arrivée après plein plein plein d’autres comédiennes et ça m’a permis de les découvrir.
Tout le monde est content, mais on veut des résultats. On se voit souvent pour essayer de trouver des solutions.
Vous avez de nouveaux projets ensemble ?
(Elle chuchote) Oui mais c’est confidentiel (Rires).
Il y a une situation dont tu aimerais parler en particulier ?
Outre le maquillage pour noir qui pose parfois problème, parce qu’ils n’ont pas notre teinte, il y a eu des moments à Cannes où les gens nous confondaient pour la promotion de Bande de Filles alors qu’on ne se ressemble pas du tout.
Parfois, je peux aller chercher des images et je vois qu’il est écrit Aïssa Maïga et il y a ma photo ou inversement… c’est trop bizarre. Une fois, je suis arrivée dans un festival et on me criait “Aïssa, Aïssa, Aïssa !“, mais faites un effort, on n’est même pas de la même génération !
Sinon, parfois, on entend des “Il fait noir, on ne va pas trop te voir” pour des photos. Franchement, y’a plein de petits trucs comme ça, mais je ne me laisse pas atteindre.
Terminons sur tes prochains projets : dans quoi te verra-t-on ?
On pourra me voir dans Au bout des doigts, qui sort le 26 décembre. Je joue une violoncelliste, j’ai donc dû apprendre à tenir l’archer et l’instrument. J’ai bien aimé jouer ce rôle car ça sort de tous les clichés.
Ensuite, j’ai un autre film qui s’appelle Versus et qui sortira en avril ou mai prochain.
Je serai après dans l’Échappée avec Rod Paradot, Nekfeu et Joséphine Japy qui devrait sortir l’an prochain.
Crédits :
- Autrice du projet et journaliste : Lucille Bion
- Réalisation : Raphaël Choyé
- Monteur : Simon Meheust
- Cadreurs : Simon Meheust, Luca Thiebault, Mike Germain
- Son : Manuel Lormel et Paul Cattelat
- Créa : Terence Milli
- Photos : Benjamin Marius Petit