Législatives : un grand moment de nausée nationale

Législatives : un grand moment de nausée nationale

Il faut toujours écouter Henri Guaino. Si, si, je vous jure.

À voir aussi sur Konbini

Il a cette capacité rare (dans l’absolu, et alors pour un homme politique, je n’en parle même pas) à exprimer avec une totale absence de pudeur, ou de sens des convenances, ou même de souci de l’ordre public, le fond réel de sa pensée. Et à l’occasion de la soirée électorale de dimanche, il a une nouvelle fois défendu avec succès son titre mondial de grand maître de l’Ordre du YOLO, explosant sur le plateau de BFM TV au sujet des électeurs de la circonscription parisienne où il se présentait. “Ils sont à vomir, vous m’entendez bien, à vomir” répète-t-il, clashant ensuite au gros calibre verbal les “bobos” et les “bourgeois pétainistes” qui n’ont pas voulu lui donner plus de 4,5 % de leurs voix. Consternation sur le plateau, surjouée par les éditorialistes ayant du mal à cacher leur ravissement de tenir LE buzz de la soirée. Et pourtant ! Henri Guaino a tout compris à ce qui est en train de se passer.

Parce que nous vivons bien un grand moment de nausée nationale, même si l’ancien porte-plume de Nicolas Sarkozy s’est trompé sur la nature du vomi, et sur le sens de son expulsion, si j’ose dire. Depuis l’élection présidentielle, les Français sont saisis d’un immense haut-le-cœur, d’une régurgitation électorale qui emporte tout sur son passage. Elle montait depuis longtemps. Un peu comme ces soirées lose que vous passez à enchaîner les verres de mauvais alcool, entre whisky acheté à la supérette du coin, gros rouge qui a manqué sa vocation de Destop et autres breuvages non homologués par l’institut Pasteur. Les verres s’enchaînent, on encaisse, on encaisse, et puis à un moment, pan !, sans prévenir, le coup part, et on en est réduit à produire un immense effort de concentration pour tenir jusqu’à la cuvette des toilettes, ou jusqu’au récipient le plus proche et le plus éloigné des autres convives.

Bon, en l’occurrence, la France ne s’est pas mise minable à la 8.6 (encore que), mais en ingurgitant jusqu’au dégoût, de la part de sa classe politique, langue de bois, faux débats, promesses non tenues, polémiques ridicules, partis incapables de changer leurs mœurs – et leurs têtes. Les derniers mois ont marqué une forme d’apothéose, façon double cocktail tequila-gin-vodka sur un estomac déjà bien trop chargé – du candidat père-la-morale subitement plombé par les soupçons d’affaires, jusqu’au parti au pouvoir qui (s’)autodétruit pépère.

Les dernières digues ont sauté, les Français, vous, nous, n’ont plus eu envie de mettre leur main devant la bouche, et c’est à peu près un demi-siècle de vie politique nationale qui s’est retrouvé dans la cuvette électorale. Et encore faut-il savoir gré aux électeurs de ne s’être pas vomi dessus – je veux dire, d’avoir évité le scénario, un temps bien trop crédible, d’un vote plaçant le Front national en tête. Dignes et chics jusque dans la cuite, vive la France !

Il fallait voir, ces dernières heures, ces anciens élus hébétés, traînant leur peine et leur sidération d’émission politique en statut Facebook, se plaignant de l’injustice d’un vote, de l’ingratitude des électeurs, qui ont envoyé par le fond pléthore de députés honnêtes et ayant consciencieusement fait leur travail durant les 5/15/20 dernières années (rayez les mentions inutiles). Ben oui, c’est le propre de la nausée, elle n’est pas raisonnable, elle ne réfléchit pas, elle ne fait pas le tri entre le bagel vegan ultra-healthy que vous avez dégusté avant de partir en soirée et le mélange de rhum et de rosé qu’il n’a pas suffi, ensuite, à absorber.

La nausée, c’est un cri qui vient de l’intérieur, de n’importe quel pays, de n’importe quelle couleeuuuur ; bref, elle balaie tout sur son passage et, surtout, elle ne s’arrête pas tant que tous les corps étrangers n’ont pas été expulsés. Donc je vous prédis (mode Nostradamus on) encore de nombreux spasmes à l’occasion des prochaines élections, pour finir le boulot – ou plutôt la classe politique d’avant. Amen.

Et après la nausée, la gueule de bois. Et pendant une gueule de bois, on évite (sauf en cas d’alcoolisme au dernier degré, mais dans ce cas, ne lisez pas ce qui va suivre et prenez plutôt de toute urgence un rendez-vous chez le médecin) de s’en remettre une couche, si vous me passez l’expression. Donc, si j’étais à la place du gouvernement, et des centaines de nouveaux députés qui vont se mettre En marche vers l’Assemblée nationale, je serais excessivement prudent. Le très fort taux d’abstention à ce premier tour des législatives, le fait qu’à peu près n’importe qui ait été élu tant qu’il portait l’étiquette du nouveau président de la République, même sans expérience et quels que soient les mérites des candidats d’en face, devraient inciter à la prudence et à la retenue les nouveaux patrons du pays.

Le vote qui donne la majorité au parti d’Emmanuel Macron, c’est l’aspirine du lendemain de cuite, le plat de pâtes pour éponger, le triple café serré pour se remettre la tête en ordre. Ça peut aider à revenir à un état normal – ou être évacué à son tour par quelques derniers spasmes, du genre qui ne prévient pas. Les marcheurs devraient garder à l’esprit ces quelques éléments de physiologie électorale durant les premiers mois cruciaux qui s’annoncent pour engager (ou pas) les réformes qu’attend (ou pas) notre pays. Le vomi, on ne sait jamais quand ça commence, ni quand c’est vraiment fini. Demandez à Henri Guaino.