La blague sur le kwassa-kwassa, une tache sur la toge de Jupiter

La blague sur le kwassa-kwassa, une tache sur la toge de Jupiter

En sortant une blague sur les embarcations utilisées par les Comoriens qui veulent gagner Mayotte, Emmanuel “Jupiter” Macron est tombé de son piédestal.


Vous vous souvenez du film Edge of Tomorrow ? Tom Cruise y sauve la Terre d’une invasion d’aliens grâce à sa capacité de recommencer indéfiniment la même journée – et donc à apprendre de ses erreurs pour combattre chaque jour un peu mieux les envahisseurs. Notre président de la République, c’est un peu le personnage de Tom Cruise. Installé aux premières loges du précédent quinquennat, il a eu tout le loisir d’observer les fautes commises en 2012. Celles précisément qu’il essaie d’éviter aujourd’hui en 2017, avec la souplesse d’un gamer ayant ingurgité toutes les vidéos walkthrough disponibles sur YouTube avant de se lancer dans son jeu préféré. On avait reproché à François Hollande son manque de “présidentialité”, de majesté ? Emmanuel Macron, lui, multiplie les signes dans le sens inverse, discourt devant une pyramide, met en scène une bromance avec Justin Trudeau, reçoit Vladimir Poutine à Versailles ou clashe à plusieurs reprises Donald Trump, et dans sa langue s’il vous plaît.
Bref, here comes the new Jupiter, puisque c’est la référence invoquée par le nouveau pouvoir : la présidence Macron sera jupitérienne. C’est-à-dire que, comme le roi des dieux, il dirigera la France d’en haut, parlera peu et d’une voix puissante [musique grandiloquente qui résonne en arrière-plan], à la différence de la communication à tort et à travers de Nicolas Sarkozy et François Hollande, qu’il montrera la voie au peuple de France, abattra son foudre (oui, c’est masculin) contre les méchants et… [craquement de disque qui s’arrête précipitamment]
… Ça, c’était avant le kwassa-kwassagate. Le kwassa-kwassa, c’est une première tache, petite mais bien visible, sur la toge de Jupiter. Notre président, en visite dans un centre de sauvetage en mer vendredi, a été subitement inspiré par ces embarcations de fortune qu’utilisent les migrants comoriens pour tenter de rejoindre le département français de Mayotte. “Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien” dixit Emmanuel Jupiter. Une bonne blague de fin de repas de Pentecôte avec tonton Gérard, les clandestins risquant la mort comparés à des tas de poissons, bref, le mode #TintinAuCongo est on. Et à la clé, pour la première fois depuis le début du quinquennat, un bad buzz médiatique qui nous ramène aux heures les plus sombres des précédents présidents.
Bon, sur l’échelle de la gêne, on est encore à moitié moins de points qu’un tweet (ou, pire, un livre) de Valérie Trierweiler. Mais la toge de Jupiter Macron est bien tachée. Et le problème d’une toge blanche, c’est que même une toute petite tache se voit très bien. Depuis, l’équipe de communication de l’Elysée s’est excusée au nom de son chef auprès de la presse (Jupiter ne parle pas directement aux mortels, ou le moins possible). Et on se doute que désormais, la parole du président de la République sera encore plus maîtrisée, verrouillée, cadenassée, et les journalistes ayant accès à son nuage encore plus triés sur le volet que la guest list d’un bar à whisky hipster semi-clandestin.

À voir aussi sur Konbini

Et si cet épisode, moins anecdotique qu’il n’y paraît, révélait l’impasse que constitue la conception “jupitérienne” du pouvoir ?

Je n’ai pas connu Jupiter (ni vous, ou alors je vous conseille de consulter rapidement un bon psychiatre). Mais il avait deux grandes différences avec Emmanuel Macron, si j’en crois les statues vues dans les musées et mes souvenirs de cours de latin. La première, c’est que Jupiter avait une grande barbe blanche (OK, un barbier pourrait arranger cela). La seconde, c’est que lui voyait du haut de son nuage tout ce qui se passait en bas sur Terre, sans être vu – ce qui est précisément l’inverse de notre président, qui est, par définition, tout le temps sous l’œil des caméras, même pour une sortie de terrain qui ne prête pas à la polémique.
Et même si les journalistes ne sont pas là, il y aura toujours quelqu’un, muni d’un smartphone, qui enregistrera ce qu’il dira, en fera une vidéo, un son, un tweet, un selfie, ou que sais-je d’autre. C’est ainsi : dans notre monde digital, tout acte ou parole en public est susceptible d’être immédiatement capté, fuité, transmis à la terre entière. Ce n’est pas le patron d’Uber qui vous dirait le contraire. Et personne, pas même un jeune Machiavel capable de se faire élire à la tête d’un pays avant 40 ans, n’est totalement à l’abri d’un dérapage momentané. C’est humain. Nous ne sommes pas des dieux ou des robots. RIP Jupiter.
“Qui imagine le général de Gaulle blaguer comme un chroniqueur de Cyril Hanouna ?”, pourrait ricaner François Fillon s’il était encore dans le game. C’est tout le problème de la conception jupitérienne du pouvoir : elle était sans doute adaptée à un De Gaulle ou à Mitterrand, c’est-à-dire à des époques où les médias craignaient le pouvoir et où le summum de la technologie portable consistait en un Caméscope VHS de la taille d’un ghetto blaster. Mais les temps ont changé, et le pari de communication de notre président est plus que hasardeux. D’une part parce que – François Hollande en a fait la cruelle expérience – claironner un changement total de méthode (en mieux) par rapport à son prédécesseur, ne fait qu’attirer encore plus l’attention, et augmenter le niveau d’exigence, sur ses propres gestes et turpitudes. D’autre part parce que plus la parole présidentielle sera rare, plus elle sera scrutée, observée, critiquée, volée quand on ne s’y attend pas, et détournée de son intention première.
Il paraît que Jupiter aimait se déguiser en animal pour venir choper des terriennes (not your usual Tinder guy, huh ?). Que notre bon président tire profit des mésaventures en la matière de son prédécesseur (avec un scooter certes, mais vous voyez l’idée) pour se dire que décidément, non, dans le Jupiter, tout n’est pas bon.