Une illustratrice dénonce “l’envie du pénis” de Freud

Une illustratrice dénonce “l’envie du pénis” de Freud

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Par Anaïs Chatellier

Publié le

L’envie du pénis, “un phallocentrisme désuet”

“L’envie du pénis” ? Rien à voir avec une libido débordante, mais une théorie freudienne qu’une artiste américaine remet en cause. On attribue généralement le complexe d’Oedipe aux garçons – logique, le héros mythologique était un homme -, mais Freud expliquait en ces termes la version féminine de cette névrose. Selon le père de la psychanalyse, ce désir inconscient de coucher avec le parent du sexe opposé et d’éliminer le parent rival est particulier chez les filles : il s’explique par le désir de posséder un phallus. Une thèse du siècle dernier que l’artiste féministe Amanda Manitach dénonce aujourd’hui à coups d’illustrations de t-shirts frondeuses et créatives.
En 1914, Freud théorise la manifestation du complexe de castration chez la femme. Ce complexe apparaît, selon lui, lorsque la fille se rend compte des différences anatomiques entre les deux sexes. Elle n’a pas de pénis et vit cela comme une punition personnelle générant un sentiment d’infériorité. Elle commence alors à rejeter sa mère car c’est elle qui l’a mise au monde (sans pénis), et tente d’attirer l’attention du père.
Ce fantasme féminin pour récupérer le pénis manquant se manifeste alors, analyse Freud, par l’envie de porter un enfant en elle. C’est aussi par ce complexe que le fameux médecin viennois expliquera les échecs des cures psychanalytiques à ses patientes névrotiques.
L’illustratrice Amanda Manitach résume ainsi la pensée du neurologue:

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La théorie suggère une expérience des femmes et une haine de soi, un sentiment de manque, d’impuissance et d’infériorité, un désir d’avoir ce qu’elles n’ont pas. J’adore Freud mais qui le prend vraiment au sérieux désormais ? Et certainement pas son phallocentrisme désuet. L’envie du pénis est une théorie tellement surannée mais aussi une grande expression.

Utiliser l’envie du pénis comme provocation

Il n’est donc pas question pour Amanda de se fondre dans le mouvement anti-freudien, mais plutôt de s’en inspirer pour mieux montrer qu’aujourd’hui cette théorie n’a plus vraiment de sens. Si ce n’est que récemment qu’elle a dessiné des jeunes femmes munies d’un pénis, cela fait plusieurs années que l’éditrice en arts visuels de City Arts Magazine (mensuel culturel basé à Seattle) s’amuse à questionner les genres dans notre société.

Pendant longtemps, j’ai dessiné des personnages avec des organes génitaux indéterminés, des hommes et des femmes qui virent à l’hermaphrodisme. Je voulais être un garçon quand j’étais petite. J’ai toujours été un garçon manqué mais j’ai grandi dans une partie des États-Unis extrêmement conservatrice et religieuse, bien avant que les questions sur les transgenres et l’homosexualité fassent partie d’une discussion culturelle plus large, comme c’est en train de devenir le cas.
Désormais je suis très girly et j’adore les talons et le maquillage, mais parce que je me sens toujours un peu garçon manqué, je vois presque le fait de bien s’habiller comme une corvée féminine. Je pense que l’identité de genre est très complexe et qu’en parler à travers l’art peut toucher beaucoup de personnes.

Un support de message passif pour un message féministe

Une provocation qui s’est ainsi élargie vers des messages féministes abordant des sujets en rapport avec la maternité, la sexualité et la masturbation, avec des punchlines telles que “Drunk Unicorns Do it Better” (Les licornes bourrées le font mieux) ou “Rather be Riding my Hitachi” (Je préfère chevaucher mon Hitachi – un vibromasseur japonais), “des odes aux fantasmes et aux objets qui font un travail magnifique pour combler ce manque de phallus“, confie-t-elle.
Amanda s’inspire alors de tout ce qui l’entoure et l’intrigue. Les références à Nirvana s’expliquent par le fait qu’elle a vécu pendant treize ans à Seattle, où le groupe a connu les prémices de son succès et “fait partie désormais de la mythologie de la ville“. Aussi, pour “Whiskey Helps”, elle a repris une phrase que son copain avait posté sur le mur Facebook de sa sœur, alors dans un mauvais jour. “Elle parlait de ce désir de la vie après la mort et du paradis. Elle est très chrétienne et quand il a écrit cela, j’ai trouvé cela drôle, d’autant plus que je suis athée“. L’idée du whisky est alors restée pour mieux montrer que ce breuvage demeure encore, dans les mentalités, une chose genrée.

Les femmes qui boivent du whiskey sont extrêmement sexy dans les clichés masculins, alors peut-être y a-t-il un double sens entre “faire le tour” des signes extérieurs de masculinité et comment cela joue avec les apparences et le pouvoir ou l’émancipation.

C’est donc toujours avec sarcasme et ironie, à travers des messages imagés et crus, qu’Amanda critique la place centrale de l’homme dans la société. Et pour s’épargner de longs discours, elle a choisi d’apposer ses dessins sur des t-shirts pour faire passer son message. Dit comme ça c’est brut de décoffrage, alors Amanda souhaite éclaircir :

J’ai seulement commencé récemment à faire des dessins sur des t-shirts. Pour moi, c’est comme avoir un panneau d’affichage sur la poitrine, qui diffuse passivement votre message en relation avec votre image.
Aux États-Unis, il y a eu récemment beaucoup de discussions sur le harcèlement sexuel verbal des femmes dans la rue, sur le fait qu’il est pris pour acquis et que ça doit s’arrêter. Je pense que j’ai choisi ce support pour mieux assouvir ce désir de dénoncer quelque chose et surtout de le dire en premier.