On a discuté avec Sebastian, de son grand retour à Frank Ocean

On a discuté avec Sebastian, de son grand retour à Frank Ocean

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©Virginia Arcaro

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

Le prodige d'Ed Banger Records sortira à la rentrée prochaine son premier projet depuis son génial album Total, sorti en 2011.

Figure montante de la scène électronique française avec le label Ed Banger Records à la fin des années 2000, Sebastian s’est mué en homme de l’ombre au fil des ans. Mais au lieu de continuer sur la lancée de son fabuleux disque Total paru en 2011, l’artiste français s’est découvert une passion pour les collaborations. Que ce soit avec Philippe Katerine ou son grand ami Kavinsky, Sebastian élargit sa palette technique et s’engage dans des projets plus éclectiques et enrichissants les uns que les autres.

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Le point d’orgue de cette démarche est l’album Rest de Charlotte Gainsbourg, dont il a pratiquement relancé la carrière, à grand renfort de productions à la fois mélodieuses et modernes. Une véritable fusion musicale, tant les deux acolytes semblent être en osmose sur ce disque remarquable de maîtrise et de justesse.

Tout cela a permis à Sebastian d’engranger de l’expérience et de multiplier les projets aux quatre coins du monde. Convoité à l’international par les plus grands, le musicien a eu l’honneur de participer activement aux deux derniers albums d’un certain Frank Ocean, tous deux considérés comme des chefs-d’œuvre. On a ainsi pu l’entendre sur “Facebook Story” de Blonde, et il est également crédité sur les pistes “Slide on Me”, “Rushes” et “Higgs” d’Endless.

Désormais, Sebastian est de retour sur le devant de la scène et souhaite transmettre le fruit de ces années fastes et instructives. Un retour que le virtuose vient d’entamer avec la parution de ses deux premiers singles : le sombre “Thirst” et le lumineux “Run For Me” (en compagnie du jeune chanteur américain Gallant). L’artiste a tenu à faire deux titres diamétralement opposés : Sebastian prend un malin plaisir à brouiller les pistes et a bien décidé de s’amuser avec ses auditeurs jusqu’à la sortie de son prochain album, prévu pour la rentrée prochaine.

Entretien avec un passionné, boulimique de musique, de culture et d’humanité.

(© Virginia Arcaro)

Konbini | Hello Sebastian ! Ton dernier album, Total, date de 2011. Qu’as-tu fait durant tout ce temps ?

Sebastian | J’ai produit pas mal des gens juste après Total. Il y a quelques projets qui se sont enchaînés, notamment avec Kavinsky pour son album OutRun, en 2013. J’ai vraiment été producteur, comme on le fait avec un chanteur. J’ai réalisé que j’aimais vraiment travailler pour d’autres gens.

Tu as également collaboré avec Frank Ocean.

Un jour, il y a quelqu’un qui m’appelle sur Skype. Et cette personne en question, c’était Frank Ocean. Il me dit qu’il faut que je sois là le lendemain. Or, il habite à Los Angeles quand même. Je lui ai dit que ce n’était pas vraiment desservi par la ligne 12. Ce à quoi il me répond qu’il n’y a pas de souci, sa maison de disques paie le déplacement. Et donc je me retrouve littéralement le lendemain à Los Angeles en studio avec lui.

Au début, on était une équipe un peu restreinte. Mais il a une manière de travailler assez abstraite. Puis j’ai rencontré des gens de cette sphère-là grâce à cette rencontre, comme les membres de The Internet.

Mais aussi Charlotte Gainsbourg pour son album Rest et son EP Take 2.

Simultanément, il y a Charlotte Gainsbourg qui m’appelle pour son album Rest. C’est assez dingue, parce que notre première rencontre ne s’était pas très bien passée, voire carrément mal. J’ai été très franc du collier : je la voyais comme la Kate Middleton française, et je voulais faire quelque chose en français. Donc je lui dis que soit on le fait en français, soit on ne le fait pas. J’ai un peu inversé les positions, normalement c’est elle qui décide. Elle a mal réagi sur le moment, et me fait comprendre que ce ne sera rien, et ça finit en claquage de porte.

Maintenant, ça la fait marrer, cette histoire. Un an après cette première rencontre, elle me rappelle. Elle venait de perdre sa sœur, et elle me dit : “Peut-être que tu avais raison, j’ai besoin d’exprimer certaines choses et je ne peux les dire qu’en français.” J’ai le sentiment qu’elle en avait vraiment besoin.

Comment as-tu fait pour travailler sur ces deux projets en même temps ?

Frank et Charlotte sont des sortes d’opposés musicaux, alors que je bossais en même temps pour les deux. Chacun voulait un projet très suivi, et de mon côté je voulais travailler avec quelqu’un pendant un certain temps et me fixer un peu. Les deux projets étaient assez lents : c’était douloureux pour Charlotte et Frank avait beaucoup trop d’idées. Clairement, Frank Ocean a la conception créative la plus libre que j’ai pu voir dans ma carrière. Il y avait des mecs de partout, sans aucune restriction mentale ni technique. Puis Frank m’a rappelé pour Endless.

Ce qui est drôle avec Charlotte, c’est qu’au moment où je voulais un peu me poser et me fixer en France, elle a déménagé à New York ! Quand j’allais la voir, je devais rester un mois ou deux avec elle pour bosser. On a tout enregistré à New York. Mais j’ai fait les compositions rapidement. Majoritairement, tout ce qui est “musical” a été vite. On était soit dans son appartement, soit dans un Airbnb. Puis est arrivée l’étape du studio. Car 80 % de l’album a été fait à l’ordi, mais pour les violons et tous les trucs un peu old school, c’est mieux d’être en studio.

Cette rencontre t’a ouvert d’autres portes ?

Grâce à Charlotte, on m’a proposé un défilé Yves Saint Laurent, alors que je ne connais vraiment (mais alors vraiment) rien à la mode. On ne voulait pas juste passer quelques morceaux comme ça, donc j’ai composé des musiques exprès pour les vêtements et l’ambiance.

Le premier a bien marché, donc j’en ai fait un deuxième. Puis un troisième et un quatrième, et je me suis rendu compte que je faisais ça depuis plusieurs années maintenant. Ça m’a fait voyager pas mal, alors qu’il s’agissait de projets complètement abstraits pour moi, puisque je ne capte rien à ce monde-là. J’ai pu aller au Japon par exemple, où j’ai rencontré pas mal d’artistes.

Tu as aussi participé à la BO du film Le monde est à toi, de Romain Gavras.

Je le connaissais déjà car on avait bossé ensemble pour son premier film, Notre jour viendra. Il avait commencé avec Jamie XX, mais il souhaitait plus de diversité. Donc on s’est un peu partagé le truc à deux – en sachant que t’as une grande variété musicale dans Le monde est à toi, comme avec”Hallyday (le phénix)” de Michel Sardou en intro ou “Le monde ou rien” de PNL à la fin.

Un peu plus tôt, tu as produit le disque Magnum de Katerine. Comment s’est passée cette expérience ?

Il y a eu Katerine aussi entre-temps, c’est vrai ! Mais lui, ça a été le schéma inverse. Ce fut extrêmement rapide, on se connaissait déjà un peu avant. Il est venu me voir directement et m’a dit : “Quand est-ce qu’on commence ?” Avec lui, il n’y a pas d’histoire de louer un studio ou quoi. Il est venu chez moi, dans mon appartement de 25 mètres carrés, et il a chanté la totalité de l’album sur le canapé, le micro à la main. On voulait rajouter un côté “French touch” au projet, avec beaucoup de samples. L’idée était de reprendre ça par la suite. Mais en aucun cas on a rendu le truc cérébral. En trois ou quatre mois, c’était plié. On s’est vraiment bien marrés ensemble.

C’est ce qui t’a donné envie de revenir à la langue française ?

C’est une connexion à laquelle je n’avais pas forcément pensé, mais c’est vrai qu’il y a eu Katerine puis Charlotte. C’est là que j’ai nourri l’idée de revenir vers des morceaux en français. Tu vois, je trouve ça fou qu’on ait des Daft Punk et compagnie, mais que la French touch soit toujours ramenée à des trucs cainris. Ça s’appelle la “French touch” et il n’y a pas de productions en langue française ! En aucun cas c’est un reproche aux autres artistes, mais il y a un potentiel de dingue. Et ce retour commence à émerger – je pense qu’on est déjà en plein dedans, d’ailleurs.

(© Virginia Arcaro)

Tu as confirmé ton come-back il y a quelques jours avec le titre “Thirst”, illustré par un clip puissant signé Gaspar Noé.

Je connaissais déjà Gaspar Noé grâce à un ami commun, Jean-Louis Costes. Même s’il en parle peu, il est fasciné par certaines figures transgressives d’avant. On s’est rencontré il y a une dizaine d’années. Et, quand j’ai fait “Thirst”, je l’ai rappelé car sur le plan visuel il avait la patte pour traduire cette track en images. Je trouvais ça drôle en plus de revenir en club, alors que j’ai quitté ce milieu il y a des années.

Gaspar est allé très vite : dès qu’il écoute le morceau, il fait ça dans la semaine et trouve presque immédiatement tous les moyens nécessaires. L’univers est sombre et violent, mais il ne faut pas trop réfléchir, c’est quasiment de la caricature. C’est quelque chose que tu ressens. Il lance une sorte de pavée dans la mare, et tu regardes ce qu’il se passe. Il était en tout cas la meilleure option possible pour ce clip.

Une semaine après, tu as sorti ton second single, “Run For Me”.

Mes deux clips se sont enchaînés assez vite. Je trouve qu’il y a une cohérence dans ce truc abrupt, très violent d’un coup. C’est aussi pour signifier que c’est un peu plus qu’un simple “coucou”. Derrière “Run For Me”, t’as un morceau sur “l’amour et la violence”, comme dirait l’ami Sébastien Tellier. C’est les raisons pour lesquelles je les ai sortis comme singles. On a les deux angles de la colonne vertébrale du projet : le premier très agressif, et l’autre très émotionnel et premier degré.

On a donc deux clips relativement similaires dans leurs structures, mais deux titres assez différents l’un de l’autre. À quoi faut-il s’attendre pour ce nouveau projet qui arrive ?

Maintenant, je vais égrener au fur et à mesure et ce sera aux gens d’essayer de deviner à quoi s’attendre. En tout cas, c’est la réunion de toutes mes expériences de ces dernières années. Il y a une forme de cohérence, mais il faut se questionner sur ce à quoi cela va ressembler. C’est mon but, que les gens se posent la question.

Ce nouvel album, c’est le fruit de toutes les rencontres que j’ai pu faire un peu partout au fur et à mesure de ces années. Je pense qu’il faut foutre le cerveau de côté, car il est l’ennemi de la musique. Il faut s’en servir une fois que tu as pondu de la musique, il n’y a pas besoin de s’en servir à l’avance. J’ai récolté des trucs un peu partout que j’ai décidé de les ramener avec moi. Et puis ce n’est pas comme si je faisais un disque tous les ans, donc je suis vraiment content de pouvoir le montrer bientôt. De voir ce qui a changé ou non, ce que ça apporte ou non.

Tu as plusieurs dates en France cet été. Comment tu abordes ce grand retour ?

En France, il y a pas mal de dates un peu partout, dont une à We Love Green. J’aborde ce retour sereinement, même si un live, c’est toujours un truc qui rentre dans le lard. En plus, ce n’est pas comme si j’étais un habitué des musiques extrêmement douces, donc ça me fait bien marrer de revenir donner quelques coups. C’est toujours cool de secouer un peu les gens.