Alors que Zaba, le premier album envoûtant de Glass Animals est sorti il y a quelques jours, nous avons rencontré deux membres du quatuor britannique. Portrait.
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D’Oxford à Paul Edworth
Joe et Dave se remémorent la première fois qu’ils sont montés sur scène, forts de “deux chansons et demi”. C’était à Oxford, la ville où ils ont grandi et se sont rencontrés, au Jericho Tavern plus précisément, lieu de la ville connu pour avoir notamment accueilli Radiohead lors de ses débuts. Alors qu’ils sont novices, Dave, un CD sous le bras, décide de s’aventurer dans ce bar à deux pas de chez lui pour demander s’ils peuvent se produire, le gérant est partant. “Je ne suis même pas sûr qu’il ait écouté l’album mais c’était vachement sympa de sa part. On en rigole bien maintenant parce que ça ne devait pas être terrible, n’empêche, ça nous a donné envie de remonter sur scène !”
Il leur faudra environ deux ans pour sortir leur premier EP, Leaflings, enregistré avec un micro à 10£ dans un petit homestudio toujours à Oxford. À cette époque-là, ils sont encore étudiants et se retrouvent séparés aux quatre coins de l’Angleterre. Pas facile donc de répéter car si Drew et Ed s’orientent clairement dans des études de musique, Joe entame alors des études d’anthropologie et Drew, dont les parents sont ingénieurs, s’orientent vers la médecine.
On ne connaissait rien à l’industrie de la musique à ce moment-là. C’était vraiment un milieu bizarre pour nous. On a commencé à avoir des mails de managers. On ne comprenait même pas pourquoi on avait besoin d’un avocat, on s’est donc entourés de personnes en lesquelles nous avions confiance. Mais on n’avait pas le temps de travailler nos performances en live parce qu’on allait à l’université. C’est pour cela qu’on a mis si longtemps à sortir [cet EP].
Il n’empêche qu’une fois sorti, ce premier EP a eu l’effet d’un boomerang dans la tête de Dave : “J’étais devenu complètement obsédé par la composition et la production, par la quête de nouveaux sons”. Une rencontre va alors particulièrement bouleverser leur orientation, celle de Paul Epworth, qui a entre autres produit Adele et Florence And The machine à travers son label Wolftone. Lors d’un de leur concert à Londres, le producteur est séduit par la voix claire, douce et sensuelle de Dave et le rythme lancinant de la musique de Glass Animals. Il propose alors au groupe de signer sur son label dans l’optique de sortir un premier album. Pour Joe, cette rencontre a notamment permis de rendre le groupe plus professionnel :
Quand on se soucie de ce que les gens peuvent penser de nos morceaux, [Paul] nous aide à surmonter cela. Il nous dit que nous devons faire ce qui nous plaît, qu’on doit avoir confiance en nous… Il nous tire vraiment vers le haut et nous encourage à nous projeter plus loin.
Pour se consacrer complètement à l’album en question, le quatuor quitte les bancs de la fac et s’approprie les studios du producteur, pour une année sabbatique dédiée entièrement à la musique. “Ma mère n’était pas très contente, mais elle est secrètement une grande fan”, s’amuse Dave.
De l’influence de leur musique
Entre sonorités électro, hip-hop, R’n’B ou pop, difficile de décrire la musique de Glass Animals. Joe le dit lui même “Quand on me pose cette question, j’ai souvent tendance à répondre : j’en sais rien ! Je dirais que c’est une combinaison de ce que nous écoutons, on pioche un peu partout. C’est dur à dire parce que ça sort de nos têtes et on est tellement dedans qu’on a du mal à prendre du recul”.
Tour à tour, ils citent aussi bien le prolifique Four Tet que le DJ et producteur Flying Lotus qui mêle électro jazz et percussions africaines ; mais aussi le rappeur de Compton Kendrick Lamar ; une des plus grandes icônes de la musique afro-américaine, Nina Simone ou encore Can, le groupe de rock expérimental allemand. Par ailleurs, ils reconnaissent l’héritage de la ville d’Oxford où des groupes comme Radiohead et Foals ont émergé, et évoquent également les artistes que leurs parents écoutaient. Ces musiques qui ont bercées leur enfance de Pink FLoyd à Jimi Hendrix en passant par les Rolling Stones et les Beatles. Pour Dave, son goût pour le rap provient aussi de cette époque :
J’ai grandi dans une petite ville aux États-Unis près de Boston avant d’arriver en Angleterre. On captait seulement deux stations, une radio chrétienne et une autre plus tournée rap gangsta. Le choix n’est pas trop dur !
C’est donc ainsi qu’ils fonctionnent, en piochant dans ces vastes influences. Dave est celui qui écrit les paroles et imagine la mélodie sur fond de guitare. Les autres membres apportent ensuite leur touche personnelle, modifiant, supprimant, rejouant, améliorant les premiers jets du chanteur.
Le groupe travaille d’arrache-pied : impossible de quitter le studio sans être satisfait. Le cerveau de Dave commence à alors à s’embrouiller entre mélodies envoûtantes et sonorités de synthé, Drew devient de plus en plus intime avec toutes les guitares tandis que Joe cogne sur tout ce qui passe sous ses baguettes et qu’Ed finit par s’endormir sur un canapé. “On passe des heures en studio, mais à la fin tout le monde est content !” résume le chanteur.
Joe enchaîne sur une anecdote à propos du titre “Black Mambo” que Dave a écrit devant la série Breaking Bad. Vraisemblablement inspiré par le trafic de Heisenberg, il décide d’appeler la chanson “Crystal Meth”, l’autre mot pour désigner la méthamphétamine, jusqu’au jour où le label leur conseille de changer de nom. Ils regardent un docu sur cette drogue de synthèse et se disent “Holy shit, ok on change de nom !”. Le morceau devient “Black Mambo”, peut être en référence au cannabis synthétique du même nom. “Ses yeux de serpent avec un léger sourire”, racontent les paroles. Ce serpent, c’est le Mamba noir, un des plus rapides du monde.
Dans Zaba, c’est la loi de la jungle qui prime
“On a passé une semaine à chercher le nom de notre groupe, on a écrit beaucoup de noms, des noms stupides et Glass Animals faisait partie des premiers. Ça sonnait bien et ça faisait référence à notre musique qui est assez délicate et à nos paroles qui parlent souvent d’animaux et de nature”, explique Joe. Un univers marqué par l’ambiance de la jungle, donc, que Dave justifie par leur enfance :
Nous avons tous grandi près de la forêt. Pour ma part, j’étais dans une toute petite ville, pas très loin de Boston, qui était un peu au milieu de nulle part. Il y avait des forêts tout autour de moi. On se promenait avec mes parents et il y avait des animaux partout ! Et je lisais beaucoup de livres avec des animaux quand j’étais gosse. J’aime bien l’idée qu’on leur donne une sorte de personnalité, les animaux sont souvent un peu sournois.
On comprend alors mieux le titre de leur nouvel album, Zaba, tiré d’un conte pour enfants du nom de The Zabajaba Jungle, écrit par William Steig. “C’est l’histoire d’un petit garçon qui se réveille au milieu de la jungle, dans un petit hamac au dessus de beaucoup de serpents. Il n’a aucune idée de ce qu’il fait ici, mais il se retrouve nez à nez avec des fleurs carnivores et un monstre. J’adorais ce conte quand j’étais gamin” raconte tout sourire Dave. La pochette, les clips, les paroles… tout rappelle cet univers junglesque pour un album que l’on écoute sans problème du début jusqu’à la fin, une heure d’exotisme, de son doux et de pop psyché et planante.
Le clip de “Pools” en est le parfait exemple. Il nous plonge dans un univers coloré de personnages et de nature réalisés en pâte à modeler et filmés en stop motion. Réalisé par Rafael Bonilla, qui avait déjà mis en images la chanson “Exxus” avec le même principe, la vidéo a quelque chose d’hypnotique.
C’était sa manière d’interpréter la chanson. On lui a juste donné quelques idées parce qu’on trouvait ça cool que ça se passe sous l’eau.
À fond dans la promotion de leur nouvel album, les membres de Glass Animals se concentrent sur leurs shows en live pour que leurs concerts collent à l’image du groupe. Ils préparent néanmoins la suite puisque plusieurs collaborations sont en cours avec “des personnes qui peuvent [leur] apporter de nouvelles idées”. Ils parlent de rappeurs et de chanteuses mais préfèrent entretenir cette part de mystère qui plane autour du groupe. “On aimerait bien collaborer avec Beyoncé, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit d’accord”, finit par lâcher Dave, sur le ton de la plaisanterie. Quoique.