Selon le Guardian, l’actuel président de la Commission européenne aurait bloqué des initiatives européennes anti-évasion fiscale lorsqu’il était Premier ministre du Luxembourg.
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Jean-Claude Juncker n’en finit plus d’être rattrapé par son passé. Selon le Guardian, qui publiait le 1er janvier des documents confidentiels partagés par la radio nationale allemande NDR au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), le Luxembourgeois de 62 ans, actuel président de la Commission européenne, aurait délibérément bloqué des projets de mesures anti-évasion fiscale de… l’Union européenne, lorsqu’il n’était encore que Premier ministre de son pays, de 1995 à 2013.
Ces documents, qui couvrent des années de câbles diplomatiques allemands, relatent le fonctionnement de l’un des organes de “l’un des comités les plus secrets de Bruxelles”, le comité “Code de conduite sur la fiscalité des entreprises”, créé en 1998 par le Conseil européen pour éviter que les États membres n’entrent en concurrence les uns avec les autres dans la course à l’évasion fiscale des multinationales. Si le code de conduite publié par le comité la même année prévoyait très officiellement que les États n’entrent pas en “compétition nocive”, la réalité semble avoir été toute autre. Pour le Guardian, les documents révèlent comment “un petit groupe de pays a utilisé ses sièges au comité pour faire avorter une action concertée de l’UE et protéger ses régimes fiscaux”.
Parmi ces pays, le Luxembourg, soucieux de conserver son statut de paradis fiscal, et son Premier ministre zélé, Jean-Claude Juncker. Entre 1998 et 2013, Juncker se serait opposé à plusieurs projets pourtant populaires au sein du comité (qui ne fonctionnait alors qu’au vote à l’unanimité), parmi lesquels l’échange d’informations entre les institution fiscales au sujet des accords confidentiels passés avec des multinationales, l’obligation pour chaque État de soumettre ces accords à révision par les autres pays ou l’ouverture d’une enquête sur les stratégies d’évasion fiscale de ces groupes. Chacun de ces projets sera systématiquement rejeté par le Luxembourg et les Pays-Bas, précise le Guardian. En 2014, moins de deux ans après avoir quitté son poste, Jean-Claude Juncker est nommé président de la Commission européenne.
Juncker, “architecte” de l’évasion fiscale
En soi, qu’un homme qui lutte de toutes ses forces pendant 15 ans pour contrecarrer les plans anti-évasion fiscale de l’Union européenne soit finalement nommé à sa tête a déjà quelque chose de paradoxal – et c’est un euphémisme. Mais Jean-Claude Juncker n’en est même pas à son premier scandale sur le sujet : en novembre 2014, Le Monde et l’ICIJ publiaient les LuxLeaks, 28 000 pages d’accords fiscaux issus du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) datés de 2002 à 2010, et révélaient l’existence d’un vaste système d’accords financiers anticipés entre le Luxembourg et plus de 300 multinationales permettant à celles-ci de bénéficier d’un taux d’imposition bien inférieur au taux officiel – de parfois seulement 1 %. Jean-Claude Juncker niera toute ingérence, mais sa réputation en a pâti.
Depuis le scandale, le président de la Commission européenne se place en héraut de la transparence fiscale, en soutenant publiquement le travail de la commissaire à la concurrence Margarethe Vestager qui s’est attaquée à Apple, McDonald’s, Google, Amazon ou Starbucks pour leurs pratiques d’évasion fiscale, notamment… au Luxembourg.
En novembre dernier, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz déplorait que Jean-Claude Juncker, “architecte […] d’un programme d’évasion fiscale […] qui a nui a d’autres pays”, ait gardé ses fonctions à la tête de la Commission. Ce nouveau scandale devrait le conforter dans son opinion, comme dans celle des parlementaires européens qui avaient réclamé sa démission à la suite des LuxLeaks. De son côté, la Commission européenne a réagi aux révélations du Guardian en parlant d’accusations “réchauffées” et en mettant ces informations sur le compte de la faible actualité des vacances de Noël. Le Guardian, NDR et l’ICIJ apprécieront.