Elon Musk et Tesla : le président est mort, vive l’ingénieur

Elon Musk et Tesla : le président est mort, vive l’ingénieur

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DETROIT, MI – Elon Musk, co-founder and CEO of Tesla Motors, speaks at the 2015 Automotive News World Congress January 13, 2015 in Detroit, Michigan. (Photo by Bill Pugliano/Getty Images)

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Par Thibault Prévost

Publié le

La fin d’une ère, un tweet à la fois

La sanction, plus ou moins attendue par la presse spécialisée, provient de la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme des marchés américains. En cause : un tweet dégainé en août dernier, dans lequel le PDG annonçait la privatisation prochaine de Tesla et le rachat de toutes les actions à 420 dollars. Une annonce délirante qui avait enflammé les marchés… et s’était révélée totalement fausse, Musk n’ayant jamais eu les fonds pour privatiser sa compagnie (malgré des contacts avec des fonds d’investissement saoudiens). Dix-sept jours plus tard, Tesla démentait officiellement. Trop tard : la SEC ouvrait une enquête.
Dans son désormais fameux passage chez Joe Rogan, entre deux gorgées de bourbon et quelques taffes de beuh, l’entrepreneur avait justifié son tweet par l’envie de s’amuser aux dépens des investisseurs qui parient habituellement contre Tesla. À raison, puisque ce tweet leur a probablement coûté 1,3 milliard de dollars. À côté, l’amende de 40 millions de dollars (dont 20 millions de la poche de Musk) fait figure de pourboire. Ce que Musk n’avait probablement pas prévu, c’est que le tweet lui coûterait aussi son fauteuil. Et précipiterait la fin d’une ère, brutale et définitive.
Maintenant que l’arrangement entre Tesla et la SEC est réglé, l’heure est au grand ménage. Musk reste CEO, mais ne peut plus être président du conseil d’administration pendant trois ans. Il garde son siège, mais il lui faut désormais désigner deux nouveaux membres indépendants. Tesla doit également surveiller (et contrôler) toutes ses communications vis-à-vis des investisseurs (et, oui, les tweets sont inclus dans le lot).
Du côté de Musk, difficile de ne pas voir cet accord comme une double humiliation : d’un côté, son pouvoir quasi despotique sur Tesla va être réduit avec la segmentation des rôles entre président du conseil d’administration et CEO (ce que, rappelle Wired, les employés demandent depuis longtemps déjà) ; de l’autre, Musk, un type qui a fait carrière sur son indépendance et son sens de la provocation va devenir le premier PDG du monde dont l’activité en ligne est mise sous tutelle. En 2018, la catharsis publique se paie cher, surtout quand on pèse près de 500 tweets, 22 millions de followers et qu’on représente une capitalisation boursière de 45 milliards de dollars.

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Musk, un patron inexpérimenté

Au-delà des questions essentielles pour l’avenir de Tesla – comme celle de l’identité et du degré d’indépendance du remplaçant de Musk —, il est également temps de se hasarder à une conjecture : et si, finalement, cet accord était bénéfique pour tout le monde ? Comme le rappelle The Atlantic dans un long texte sur la question, une partie des problèmes structurels que rencontre Tesla – le plus important étant encore son incapacité à fabriquer les voitures réservées par ses clients — est une conséquence directe de l’inexpérience de Musk, que le mythe qui s’est construit autour de lui a tendance à faire disparaître.
Zip2 et PayPal, ses deux premières entreprises, vendaient des services dématérialisés. SpaceX fabrique et emploie des salariés, mais elle est privée, comme The Boring Company. Tesla est sa première et seule entreprise publique, et pas dans n’importe quel secteur : l’automobile, pré carré du capitalisme américain du XXe siècle, bardé de régulations en tout genre. Musk est un homme à idées, pas un manager. Ses méthodes de start-upper, son culte du chef et sa vision long-termiste sont inadaptés. Sa manière de (mal) gérer la sécurité de ses employés en usine ou de lutter contre la formation de syndicats (un terme que la Silicon Valley a presque réussi à faire disparaître) le prouve.

Musk l’ingénieur > Musk le PDG

Puisque l’on compare si souvent Musk à Tony Stark, poursuivons le travail jusqu’au bout : chez Marvel, c’est Pepper Potts qui s’occupe de l’entreprise, pendant que monsieur perfectionne ses armures. Dans la vraie vie, le CEO a tout intérêt à déléguer – et Tesla avec, histoire de rassurer les investisseurs en montrant un visage plus serein que les derniers mois.
L’embauche du Français Jérôme Guillen était un premier pas en ce sens. Et lundi 2 octobre, le cours de l’action Tesla récupérait 16 % alors que l’entreprise clôt son troisième trimestre avec l’intention de dégager des bénéfices pour la première fois de son histoire. Une performance qui, si confirmée, sonnerait comme une victoire retentissante pour l’entrepreneur.
Il n’empêche : Musk l’avouait lui-même chez Joe Rogan, il est avant tout “un ingénieur”, qui passe la majorité de ses journées à construire ou perfectionner des choses. Un formidable ingénieur, doué d’une vision et d’une ambition uniques, capable d’offrir au monde entier l’espoir d’un plan B lorsque l’option terrestre se révélera invivable.
Mener à bien un tel projet passe peut-être par admettre que gérer une grande entreprise n’est pas donné à tout le monde, que l’obsession d’incarner son entreprise est probablement malsaine à court terme, et que Twitter n’est pas la meilleure manière de passer ses nerfs quand on frise le burn-out. Faire taire le PDG pour laisser respirer l’ingénieur. Réponse de l’intéressé – sur Twitter, évidemment : un clip de hip-hop et la mention “Naughty by nature” (“naturellement méchant”), accompagnée d’un émoji qui cligne de l’œil. Visiblement, l’ère des tweets consensuels n’a pas encore débuté.