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Droit de relecture et interviews politiques, comment ça marche ?

Droit de relecture et interviews politiques, comment ça marche ?

Par Clothilde Bru

Publié le

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FRANCE – MARCH 20: Jacques Chirac Going To The Elysee Palace On March 20th, 1986 In Paris,France (Photo by Patrick AVENTURIER/Gamma-Rapho via Getty Images)

Le choix des Echos de totalement supprimer une interview de la ministre des Transports, Elisabeth Borne, relance le débat sur la relecture de leurs entretiens par les personnalités politiques. Du Monde au New York Times, tour d’horizon des règles du jeu des questions-réponses.

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Dimanche 1 avril, nos confrères des Echos révélaient avoir censuré une interview de la ministre des Transports, Élisabeth Borne, au motif qu’elle avait été trop “réécrite” par Matignon.

“Une interview, pourtant prudente, de cette dernière [Élisabeth Borne] a été tellement réécrite par les services du Premier ministre que les Echos refusent de la publier le 13 mars.”

Un choix radical, quand on sait comme la parole de la ministre était attendue à la veille d’un mouvement de grève dure à la SNCF. Les journaux sont de plus en plus nombreux à revendiquer une implacable transparence. En janvier dernier, La Voix du Nord donnait l’exemple :

“Jusque-là, comme la quasi-totalité de nos confrères, nous acceptions cette relecture sous prétexte que la parole d’un ministre a quasiment force de loi”, écrivait Patrick Jankielewicz, son rédacteur en chef, dans un édito fracassant. “Nous mettons donc fin aujourd’hui à cette pratique, ce qui nous conduira à enregistrer les entretiens et à les restituer fidèlement dans leur contexte.”

Cette décision avait déclenché une petite émotion dans les rangs de la presse française, plusieurs médias se sentant obligés de clarifier ou de se justifier d’une pratique, somme toute, très courante. Elisabeth Borne n’est pas la première ministre à en avoir fait les frais. En 2016, ce sont les propos de Myriam El Khomri qui étaient réécrits par le chef du gouvernement Manuel Valls en pleine polémique sur la loi de travail, comme le rapporte Le Point.

La presse française cède-t-elle trop facilement à la relecture ?

Outre-Atlantique, LA publication journalistique de référence a depuis longtemps fait son choix. Dès 2012, le New York Times a décidé de ne plus accorder aux interviewés la possibilité de modifier leurs propos avant publication. “Les journalistes devront refuser une interview si une source pose comme condition la relecture a posteriori des citations pour les examiner, les approuver ou les modifier”, avait précisé la directrice de la rédaction, Jill Abramson, comme le rapporte Libération.

La relecture est bien une spécificité française qui fait parfois tiquer certains journaux étrangers. En mars 2017, The Guardian interviewait François Hollande. À la fin de la publication de ce long entretien, on pouvait lire ses quelques lignes : “en lien avec une pratique établie en France, les citations de Hollande ont été validées avant publication”. Dans les faits, c’est une autre histoire.

Une mention dont se passent depuis bien longtemps les médias français. Selon Libération, il y a encore quelques années Le Monde publiait en cas de besoin : “Ce texte a été relu et amendé par l’intéressé.” Aujourd’hui, il faut se référer à la charte de déontologie qui stipule que les entretiens “ne doivent pas être relus par les personnes interrogées, ou alors dans le seul but d’éviter toute erreur factuelle ou de compréhension”.

De même, un quotidien allemand, le Handelsblatt, avait protesté avec éclat contre cette pratique jugée excessive après que le service de presse de la BNP Paribas s’est montré un peu trop intrusif. Le journal avait choisi de ne publier que les questions de l’interview du PDG de la banque, les réponses ayant été remplacées par des espaces blancs.

En Belgique, il est affirmé par principe que les journalistes n’acceptent pas la relecture, mais des exceptions sont prévues “en raison de la complexité d’un sujet ou en vertu d’un accord préalable avec la source, pour autant que l’indépendance rédactionnelle soit respectée”, comme le rapporte l’Observatoire européen du journalisme.

À Libération, “les interviews de membres de l’exécutif publiées sous forme de questions-réponses dans le journal sont [relues] quasiment tout le temps”, comme le rapporte son site de “fact-checking“, Checknews. Grégoire Biseau, rédacteur en chef adjoint de Libé, explique : “c’est toujours le journal qui a le final cut. Si une réponse est trop édulcorée, elle ne figurera simplement pas dans les colonnes du journal le lendemain”, quitte à se fâcher avec certaines personnalités politiques.

Car c’est aussi ça l’enjeu. Lorsque La Voix du Nord a fait part de son souhait de bannir la relecture, son rédacteur en chef écrivait : “Nous avons bien conscience que vous trouverez désormais moins d’interviews de personnalités politiques dans ces pages et sur nos sites mais nous pensons devoir cette indépendance aux lecteurs qui nous font confiance.”

De François Hollande à Emmanuel Macron, en passant par Christiane Taubira, aucune des personnalités politiques reçues à Konbini n’a bénéficié d’un droit de regard. Jamais les questions ne leur ont été envoyées en amont, ou la vidéo modifiée à leur demande. Mais comme le souligne France Culture, la presse écrite pâtit d’une certaine injustice par rapport aux autres supports. Il est en effet bien plus délicat de se mêler du montage d’un entretien enregistré que de demander la correction de quelques lignes.