Un an après, une commémoration digne mais lasse place de la République

Un an après, une commémoration digne mais lasse place de la République

Etait-ce l’hommage de trop ? La foule était plus qu’éparse lors de la commémoration prononcée place de la République, Paris, des attentats de janvier et de novembre 2015. 

À voir aussi sur Konbini

Ouf, c’était le dernier des hommages rendus dans la semaine aux victimes des attentats de 2015. “Ouf”, car vu la maigre affluence et l’ambiance morose qui régnait sur la place de la République ce matin, on peut penser que le peuple se lasse. Un an après les rassemblements spontanés qui voyaient la jeunesse parisienne hurler slogans en faveur de la liberté d’expression et paroles de défis à l’adresse des islamistes, la commémoration de ce matin tenait davantage de la gueule de bois collective.

Plaques commémoratives, chêne du souvenir, “Marseillaise”, poignées de mains aux proches des victimes… un cortège d’hommages très protocolaires était rendu ce matin. François Hollande, Manuel Valls et Anne Hidalgo, mais aussi Gérard Larcher ou un Bertrand Delanoë visiblement ému, Bernard Cazeneuve, Christiane Taubira et d’autres ministres étaient réunis au pied de la statue de Marianne pour inaugurer la plaque et son inscription, sur laquelle sont associés les attentats de janvier et ceux de novembre.

Chargement du twitt...

Mais sur la place qui avait vu la jeunesse parisienne se rassembler spontanément à l’issue du massacre à Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, le grand rassemblement populaire a fait long feu. À part les abords des barrières sur lesquelles la foule s’agglutine, le parvis reste aux trois quarts vide tout le long de la cérémonie. Sur Twitter, plusieurs internautes ne tardent pas à le faire remarquer :

Chargement du twitt...

Chargement du twitt...

De nombreux policiers pour une foule éparse

Il faut dire qu’avec un double barrage, une fouille au corps minutieuse, la présence de très nombreux agents armés jusqu’aux dents et les rues barrées bien en amont de la place, l’ambiance est lourde. Difficile pour autant de dire si c’est le puissant filtrage policier qui a fait de cette commémoration un événement aussi froid et officiel, qui n’a rien fait pour rameuter les foules. La place était si vide qu’Anne Hidalgo a même dû trouver quelques prétextes auprès de BFMTV pour justifier le peu de monde présent.

“C’est vrai qu’il y a considérablement moins de monde que le 11 janvier mais c’était très important de venir représenter notre solidarité”, explique Théo, 19 ans. Avec Julia, 18 ans, ils marchaient à Poitiers pour la liberté d’expression ce jour-là mais ce matin, ils voulaient goûter au rassemblement place de la République. Ils font partie des rares jeunes venus rendre hommage à la mémoire des victimes :

“On est là parce qu’on veut dire notre soutien aux familles de victimes, mais aussi montrer que les valeurs attaquées en janvier dernier doivent être protégées.”

Non, la jeunesse ne s’est pas déplacée en masse ce matin de janvier au pied de la statue de la République. On croise plutôt des gens plus âgés, mains croisées dans le dos, parfois des familles avec de jeunes enfants, quelques personnes isolées, tournées vers le pôle central qu’est la statue de la République, l’œil humide.

L’ambiance est à l’émotion et au recueillement et les mines sont bien grises. On ne perçoit aucune manifestation de joie spontanée, on n’entend pas un rire, on ne discerne aucune pancarte rigolote, aucun dessin de défi à l’adresse des terroristes. À peine quelques Parisiens arborent-ils un drapeau aux couleurs nationales, vite harcelés par les caméras de télévision et les journalistes qui les assaillent de questions, prompts à se jeter sur le moindre badaud un peu “spécial”.

Nombre de participants sont plutôt des riverains ou en tout cas des Parisiens, venus parce qu’ils se sont sentis touchés, quand bien même pas directement. “Moi c’est au deuxième degré, comme tout le monde quoi : des amis d’amis qui ont été tués, au Bataclan”, confie Lucie, 46 ans. “Ça fait quelque chose quand on sait qu’ils étaient juste partis à un concert.”

“Impensable de ne pas venir”

Certains viennent partager leur peine de plus loin, comme Vincent, 52 ans, résident de l’Yonne. “Pour moi, c’était impensable de ne pas venir”, témoigne-t-il. “On a tous subi le 13 novembre de plein fouet et on n’a pas eu de moment de recueillement populaire à cause de l’état d’urgence, voilà pourquoi je voulais être là”. Il est ému, tout comme Michel, 67 ans, appuyé sur sa canne et visiblement affecté :

“Ces victimes m’évoquent les victimes civiles du nazisme, parce que ce sont des gens qui n’étaient même pas au front, qui n’étaient pas soldats et qui ont été assassinés froidement tout de même.”

S’il n’est pas le seul à sangloter, certains manifestent un peu plus de joie et c’est ainsi qu’on croisera quelques fans de Johnny arborant des sweat-shirts à l’effigie de leur idole, tout sourire, comme des rappels un peu absurdes d’une célèbre citation de Coluche à propos de notre emblème national, le coq. Plus loin, le doux son d’une trompette retentira depuis un coin de la place pendant quelques minutes, jouant des airs gais en guise d’appel de la foule, avant le début de la commémoration.

Johnny pardonné, Hugo acclamé

À l’arrivée de François Hollande, entouré d’Anne Hidalgo et de Manuel Valls, Johnny entonne comme prévu le titre “Un dimanche de janvier”. Costume, chemise et cravate noire, le rockeur à la face ravinée par les ans délivre une performance sobre mais réussie. Alors que la présence du chanteur hérissait les plus fidèles à l’esprit Charlie Hebdo la semaine dernière, nulle trace d’hostilité envers Johnny n’émane de la foule. “Ce n’est vraiment pas à ça que j’ai pensé”, explique Myriam, 46 ans. “C’est une belle chanson après tout, et puis là les gens avaient surtout besoin d’être ensemble, de se rassembler”.

Julia, 18 ans, serait bien d’accord : “On aurait peut-être pu choisir un chanteur différent, oui, mais franchement je crois que ce n’est pas très important”. Noyée dans l’hommage consensuel, la polémique n’est plus.

Et s’il fallait s’offusquer de Johnny “l’exilé fiscal” qui chante en hommage à la liberté d’expression et la République meurtries, plusieurs internautes ont également tiqué lorsque le Chœur de l’armée française a interprété “Le temps des cerises”, chanson associée à la Commune – après avoir entonné “Les Prénoms de Paris” de Jacques Brel.

Chargement du twitt...

Tenu au recueillement et à la sobriété depuis le début de cette matinée grise, le public a cependant réservé une ovation particulièrement chaleureuse après une lecture d’une allocution prononcée par Victor Hugo en son retour d’exil, le 5 septembre 1870. Extraits (pour le texte intégral, c’est par ici) :

“Sauver Paris, c’est plus que sauver la France, c’est sauver le monde. Paris est le centre même de l’humanité. Paris est la ville sacrée. Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain. […]

Je ne vous demande qu’une chose : l’union ! Par l’union, vous vaincrez. Étouffez toutes les haines, éloignez tous les ressentiments, soyez unis, vous serez invincibles. Serrons-nous tous autour de la République en face de l’invasion et soyons frères. Nous vaincrons. C’est par la fraternité qu’on sauve la liberté.”

Restaient une minute de silence puis une “Marseillaise” chantée par le Chœur de l’armée pour méditer les paroles de l’écrivain, plus que jamais d’actualité.