Le célèbre bloqueur de pubs Adblock Plus va se transformer… en régie publicitaire, vendeuse de “publicités acceptables”. Trahison ou compromis ?
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La nouvelle a de quoi faire rire jaune les adeptes d’un Internet libre : Adblock Plus, le logiciel de blocage de publicités en ligne le plus utilisé dans le monde (100 millions d’utilisateurs selon sa maison mère Eyeo GmbH), a lancé un nouveau service le 13 septembre… qui veut remettre de la pub sur les pages que vous visiterez.
Avec le service baptisé “Acceptable Ads Platform”, Adblock Plus devient donc une sorte d’intermédiaire entre les éditeurs de pages Web et les régies publicitaires. Plus simplement, Adblock se met à vendre de la publicité. Sans pression. Au premier abord, il y a effectivement de quoi s’étrangler. D’autant que l’application se posait, il y a encore un mois, en défenseur des libertés en ligne lors de son bras de fer avec Facebook quant à la possibilité de bloquer les publicités présentes sur le réseau.
Voilà comment ça fonctionne : depuis mardi, les éditeurs peuvent donc se rendre sur la plateforme Acceptable Ads pour proposer leurs espaces aux enchères et faire leur marché parmi une multitude de publicités “pré-whitelistées” par Adblock Plus. De cette façon, lorsqu’un utilisateur équipé du bloqueur se rendra sur le site, il verra quand même des publicités, ce qui permettra au site d’obtenir des revenus.
Publicités prévalidées
De son côté, explique The Verge, Adblock Plus se réservera 6 % des revenus générés par les publicités, tandis que l’entreprise de gestion de la nouvelle plateforme publicitaire mise en place par Eyeo en gardera 14 % (Numerama évoque un chiffre de 30 % à être partagé entre la régie et Adblock Plus). De cette façon, les propriétaires de sites sont assurés de recevoir un revenu (au moins 70 % de la somme), certes plus maigre qu’avec une publicité à l’ancienne mais mieux… que rien.
À vrai dire, rien de véritablement nouveau, puisqu’Adblock Plus laisse déjà passer des “publicités acceptables” depuis 2011. L’option, activée par défaut (et laissée telle quelle par 90 % de ses utilisateurs, précise l’entreprise), permettait déjà aux propriétaires de sites d’afficher des publicités malgré le bloqueur, dès lors que celui-ci les jugeait en amont comme “acceptables”.
La nouvelle plateforme Acceptable Ads, pensée comme un marché géant de publicités prévalidées, permet simplement d’accélérer la procédure. Et d’attirer plus de sites dans le giron d’Adblock Plus. Crier à la trahison, c’est donc faire preuve d’angélisme : depuis sa création, Adblock Plus fait son beurre en vendant aux annonceurs la possibilité de se “whitelister“, avec une hypocrisie il est vrai remarquable.
Dessine-moi une pub “acceptable”
Bon, très bien, notre bloqueur de publicité préféré va sciemment laisser passer des publicités “acceptables”, au nom d’un “compromis entre les utilisateurs et les annonceurs” (dixit Ben Williams, le directeur de la com’ de l’entreprise). Mais qu’est-ce que c’est, une “publicité acceptable”, au juste ? Si le comité qui sera chargé d’évaluer les pubs — indépendant, a promis Adblock Plus — ne sera pas mis en place avant la fin de l’année, l’application a déjà publié une liste de critères pour différencier les “bonnes” publicités des “mauvaises”.
Pour être admises sur la plateforme, les publicités devront donc être forcément placées au-dessus, en-dessous ou sur le côté d’un texte, être limitées en taille et clairement identifiées comme contenu publicitaire (finis les “vous aimerez peut-être” en pied de page). Enfin, la plateforme sera participative, chaque utilisateur d’AdblockPlus pouvant donner son avis sur la pub affichée et influer sur leur fréquence d’apparition. Et informer Adblock de ses pubs préférées, tant qu’à faire.
“Qu’on soit bien clairs : rien n’a changé. Vous pouvez bloquer toutes les pubs ou autoriser Acceptable Ads à soutenir vos sites préférés.”
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Adblock, du blocage au péage
En théorie, donc, Acceptable Ads est une tentative de vision à long terme : plutôt que de jouer sans fin à cache-cache (entre sites Internet et régies publicitaires d’un côté et utilisateurs et bloqueurs de pubs de l’autre), Adblock Plus tend la main vers les créateurs de publicités en se posant en régulateur. Le deal ? Oubliez les pubs pop-up dégueulasses et intrusives, et on vous laisse de l’espace (en vous faisant payer le service, quand même). Et difficile de leur donner tort, particulièrement lorsque l’on travaille dans la presse en ligne. Personne n’aime la publicité, mais personne n’est prêt à payer pour consulter un site.
Impossible, donc, de poursuivre dans cette impasse, ou d’attendre une manne de biffetons tombée du ciel. En cela, Acceptable Ads est une (lucrative) tentative de compromis, qui transforme le bloqueur de publicités en péage à annonceurs. Et les utilisateurs, indique Ben Williams, auront toujours le choix de filtrer toutes les publicités, même si l’entreprise sait bien que la majorité ne le fera pas. Reste maintenant à voir avec quelle fermeté l’entreprise appliquera ses règles de blocage. Sinon, pour les plus intransigeants d’entre vous, il reste toujours la solution en open source uBlock Origin, qui n’a pas (encore) annoncé de mutation similaire.