Le grand maître de l’animation Rintaro nous raconte ses œuvres les plus cultes (genre Albator, rien que ça)

Publié le par Matthieu Pinon,

(© IDDH / Mushi)

Ce dernier était un des grands invités d’honneur du festival des Utopiales de Nantes cette année.

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Avec plus de soixante de carrière dans l’animation japonaise, Rintaro a vu naître cette industrie, a travaillé avec les plus grands noms et réalisé plusieurs chefs-d’œuvre incontournables.

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En attendant son manga autobiographique, il revient sur son parcours hors norme pour Konbini, dans un entretien réalisé lors de son passage en France à l’occasion du festival des Utopiales, où il était mis à l’honneur cette année.

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Konbini | Vous avez débuté en tant que coloriste sur Le Serpent blanc en 1958, premier long-métrage animé en couleur de l’histoire du Japon. Aviez-vous conscience, vous et le reste de l’équipe, de travailler sur un titre qui allait marquer l’animation japonaise ?

Rintaro | Chez Toei Animation, beaucoup d’animateurs aînés, plus âgés que moi, rêvaient du cinéma de Disney et avaient choisi ce métier à cause de ça. Donc, évidemment, ils étaient conscients de l’importance du projet, mais pas de la place qu’il aurait dans l’histoire de l’animation japonaise, a posteriori. Simplement, ils étaient passionnés par ce projet.

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Alors que moi… Je tiens à vous dire que je n’aimais pas particulièrement l’animation [rires] ! C’est le cinéma live qui m’intéressait. Juste à côté des locaux de Toei Animation, il y avait les studios de Toei où se tournaient les films en prises de vues réelles et je rêvais de passer de l’autre côté de l’allée. Pour moi, entrer chez Toei Animation ne devait être qu’une étape pour me rapprocher du cinéma.

Mais une fois que j’ai commencé à bosser dans l’animation, j’ai voulu continuer dans ce domaine. Cependant, je ne m’épanouissais pas au poste d’animateur. Je voulais faire avant tout de la mise en scène.

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Vous obtenez ce poste en entrant chez Mushi Production, les studios d’Osamu Tezuka, en réalisant quelques épisodes d’Atro le petit robot, la première série animée de l’histoire du Japon créée en 1963. Comment teniez-vous les délais hebdomadaires ?

Pour produire un long-métrage, il fallait environ deux ou trois ans. Au cinéma, l’animation se faisait avec 24 images par seconde – cette “full animation” était utilisée chez Disney, ou même sur Le Serpent blanc. Donc personne ne savait comment s’y prendre pour produire une série télé, alors qu’une chose était sûre : chaque semaine, il fallait qu’un nouvel épisode soit diffusé.

Osamu Tezuka a réuni son équipe et nous a expliqué qu’aux États-Unis, les studios utilisaient le procédé de “l’animation limitée“, une méthode basée sur l’économie de travail, et qu’on pouvait tout à fait s’exprimer à travers ce procédé. Il fallait créer une nouvelle forme d’expression pour ce nouveau support.

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Je ne suis pas censé le dire moi-même, mais Tezuka m’aimait bien et il m’a proposé de m’occuper moi-même de la mise en scène sur quelques épisodes d’Astro le petit robot, avant de me confier celle du Roi Léo en 1965. Comme c’était la toute première série en couleurs pour la TV, nous avons dû effectuer beaucoup de tests étudier le rendu des couleurs sur l’écran, ce qui coûtait cher !

Or, notre sponsor, Sanrio, fabriquait les postes en couleur. Cette série leur servait un peu de vitrine promotionnelle et c’est ainsi qu’elle a pu être développée !

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“Je me considère comme un artisan, un faiseur ; et pas comme un artiste, un créateur.”

C’est à cette époque que vous rencontrez Masao Maruyama qui fonde le studio Madhouse en 1972, suite à la faillite de Mushi Production. Bien que membre de Madhouse, vous continuiez de travailler pour Toei, notamment sur Albator en 1978. Comment cette série vous est-elle parvenue ?

Toei Animation me sollicitait beaucoup et, même si je travaillais avec Madhouse, j’étais quand même libre de signer des contrats ailleurs. Ça m’arrivait donc de revenir chez Toei, pour qui j’avais déjà travaillé, notamment pour un projet qui me plaisait, Grand Prix, en 1977.

On parle très peu de Grand Prix, mais pour moi, ce fut une très bonne expérience, sur laquelle j’ai pu apprendre la liberté d’expression artistique. Puisqu’elle parle de courses automobiles, c’est une série dans laquelle la vitesse prend une place importante, et j’ai pu expérimenter différentes façons de la représenter, notamment en travaillant sur l’optique : les longues focales, en écrasant les perspectives, aident à donner cette sensation de vitesse. J’ai fait d’autres recherches avec les animateurs, c’était vraiment épanouissant.

Mais j’ai également fait des expérimentations sur le plan musical. Jusqu’ici, la musique dans les dessins animés n’avait qu’une vocation décorative, alors que je souhaitais que, sur Grand Prix, elle soit un personnage à part entière, en exploitant notamment des compositions orchestrales. C’est en voyant ce que je faisais sur Grand Prix d’un point de vue visuel et musical, que les responsables de Toei sont venus vers moi pour me confier la réalisation d’Albator l’an suivant.

Vos œuvres se font plus adultes chez Madhouse avec des titres comme Harmageddon (1983) ou L’Épée de Kamui (1985), mais Manie Manie (1987) marque surtout votre premier travail en tant que scénariste…

En réalité, je n’avais pas du tout l’intention d’écrire moi-même les histoires. Je me considère comme un artisan, un faiseur et pas comme un artiste, un créateur.

Pour Manie Manie, je voulais vraiment mettre en avant les courts métrages de Katsuhiro Otomo [réalisateur, entre autres, d’Akira, Memories ou encore Steamboy, ndlr] et Yoshiaki Kawajiri. Pour ce faire, je souhaitais une introduction… et je me suis retrouvé à écrire et réaliser ce segment préliminaire, dont la durée est finalement égale à celle des deux autres courts métrages !

Mais pour moi, ce qui était important, c’est de faire débuter Otomo et Kawajiri comme réalisateurs !

Vous travaillez à nouveau avec Otomo sur Metropolis, hommage à Tezuka…

J’ai retrouvé Otomo pour un débat télévisé autour de Tezuka, peu après la mort de ce dernier. Quand j’ai débuté la mise en scène, j’étais très jeune, et j’avais conscience de ne pas être à la hauteur, encore moins à la hauteur de Tezuka. Suite à ce débat, est née une envie de retraiter son œuvre avec mon âge, mon expérience, ce qui a donné Metropolis, auquel Otomo a également participé. Après l’avoir réalisé, je voulais d’ailleurs quitter le milieu de l’animation, mais Maruyama m’en a empêché !

Du haut de cette expérience, comment voyez-vous le monde de l’animation aujourd’hui ?

Selon moi, c’est dans les années 1980 qu’on a connu les plus grands progrès sur un plan technique. Depuis, je pense que l’animation est devenue avant tout un produit. Ce n’est pas la faute des animateurs ou des producteurs, c’est juste un résultat de l’époque. Je pense qu’aujourd’hui, on cherche tellement à produire des produits qu’on cherche moins à inventer de nouvelles techniques.