D’une photo de vacances oubliée est né Aftersun, le plus beau film de l’année

Publié le par Manon Marcillat,

Une œuvre personnelle et pourtant universelle qui bouleverse chaque spectateur qui la découvre.

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À l’origine, il y a une photo retrouvée, celle d’une enfant âgée de six ans au bord de la piscine d’un petit hôtel d’Espagne. À l’arrivée, il y a Aftersun, un véritable bijou de cinéma, un film si beau et si mélancolique qu’on peine à analyser au risque de rompre son fragile équilibre.

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Mais le long-métrage intime de Charlotte Wells séduit tout et tout le monde sur son passage depuis ses premières projections confidentielles à la Semaine de la critique à Cannes. Il vient même d’ouvrir la porte des Oscars à Paul Mescal, dont c’est le premier rôle principal au cinéma. Comment la jeune réalisatrice écossaise est-elle parvenue à créer une œuvre aussi personnelle et pourtant universelle qui bouleverse, en des endroits très différents, chaque spectateur qui la découvre ?

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On l’a interrogée pour tenter de percer le mystère Aftersun qui nous reste dans la tête et surtout dans le cœur depuis sa découverte à Cannes en mai 2022.

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“J’ai retrouvé une photo de moi, je devais avoir cinq ou six ans, et j’étais assise au bord d’une piscine en Espagne. Derrière moi, il y avait une femme très belle et je me suis demandé qui était le véritable sujet de la photo. Ça a fait jaillir une idée et j’y ai vu une potentielle histoire entre un très jeune père et sa fille. C’était une idée beaucoup plus fictionnelle que le film que j’ai finalement réalisé, qui est surtout une quête de souvenirs, mais qui a le même cœur.”

C’est ce cliché qui deviendra, sept ans plus tard, Aftersun, un film de vacances entre Calum, un père divorcé âgé d’une trentaine d’années et Sophie, sa fille de 11 ans, sur la côte turque à la fin des années 1990, qui prend également des airs de coming-of-age movie, sombre et solaire à la fois. Piscine, plongée, glaces et karaoké, leurs vacances semblent douces et placées sous le signe d’un amour père-fille sincère.

Mais le récit de leur semaine est entrecoupé d’images qu’ils ont filmées, tour à tour, avec le petit caméscope familial, et qui rappellent à Sophie, désormais adulte et à son tour mère de famille, ce père adoré mais insaisissable qu’elle aura, en vain, tenté de capter pendant cette semaine de vacances, qu’on imagine être leurs dernières, par l’intermédiaire d’une caméra, d’une photo, d’une télévision, d’un reflet dans un miroir ou sur une vitre mais qui demeurera irrémédiablement nébuleux.

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De Normal People à Aftersun, la mélancolie de Paul Mescal séduit le monde entier

C’est Paul Mescal, révélé grâce au rôle de Connell Waldron dans la sublime adaptation sérielle du roman éponyme de Sally Rooney Normal People et devenu en douze épisodes seulement l’idéal masculin fictionnel du moment, qui incarne ce jeune père aimant mais imparfait. Dans la série de la BBC, l’acteur alors inconnu était filmé dans toutes ses aspérités, ses doutes et ses faiblesses, mêlant masculinité positive et potentiel érotique à la perfection. Sous la caméra de Charlotte Wells, mélancolie et ambivalence parviennent à pénétrer ce physique de statue grecque.

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“Calum est au meilleur de sa forme quand il est avec Sophie. C’est un bon père mais il n’est pas parfait. Il ne parvient pas à laisser sa souffrance hors de sa relation avec sa fille. Paul a une chaleur innée et un physique que j’ai trouvé parfait pour le rôle. Je suis extrêmement excitée à l’idée de le voir dans Gladiator. Je lui ai dit que si jamais Ridley Scott en avait marre de le diriger, je serai là pour l’aider.”

Petits détails pour grande émotion

Fidèle à sa matière première, Charlotte Wells a pensé son film comme un album photo, une accumulation de moments de vie, sans véritable linéarité, où l’émotion se niche dans de tout petits détails, un regard envieux de Sophie sur des jeux entre adolescents plus âgés, un Polaroïd qui se développe ou le plâtre au bras de Calum, qu’il retire, seul, dans la salle de bains dans une des nombreuses scènes du film qui, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi, nous ont terrassé d’émotion.

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“J’avais deux pages de souvenirs – pas seulement de vacances ni même avec mon père – qui ont constitué ma première ébauche de scénario et que j’ai répartis sur sept jours. C’est ainsi que j’ai vu émerger des petits arcs narratifs qui ont construit cette émotion qui relève du mystère. Cette accumulation délibérée de détails qui nous emmène vers cette forme d’expression de la douleur, c’est quelque chose que j’avais entrepris dans mes courts-métrages et qui sert d’ailleurs mieux le format court.”

Ainsi, entre des scènes de joie et de sourires, par petites touches presque imperceptibles, Charlotte Wells dessine, en filigrane de ses souvenirs d’été, un portrait plus sombre de ce père ambivalent mais entièrement dévoué à sa fille. En un crachat à son reflet dans le miroir, un aveu à sa fille, “honnêtement, je ne me vois pas arriver jusqu’à 40 ans“, une crise de larmes ou un mot d’excuse, on devine un mal-être qui nimbe le récit d’une mélancolie qui ont fait jaillir nos larmes à des moments inattendus, jusqu’au climax émotionnel, pourtant simple scène de danse dans une boîte de nuit.

Entre les raies des lumières stroboscopiques qui éclairent par intermittence un Calum transcendé par “Under Pressure” de Queen et Bowie, Sophie essaye, dans une ultime tentative, de se souvenir de ce père aimant qui pourtant l’abandonnait dans la chambre de leur petit hôtel pour aller danser 20 ans plus tôt.

“C’est fascinant pour moi de voir les spectateurs emprunter différents chemins à travers le film. Je pense que c’est parce qu’il y a l’espace pour que chacun puisse y apporter son expérience personnelle et combler les vides à sa façon.”

Car Aftersun n’est pas une déclaration d’amour ou de détestation au père, ni même une histoire de transmission. C’est un film de fantômes bienveillants mais mystérieux et de souvenirs heureux qui laissent pourtant des traces sur les parents que nous deviendrons à notre tour et qui a su capter, avec une rare délicatesse, un moment de tragique bascule.