Critique : Barbie is everything et surtout le film qu’il devait être

Publié le par Manon Marcillat,

Greta Gerwig est bel et bien la femme de la situation.

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Si on avait une confiance inébranlable en Greta Gerwig, persuadée dès l’annonce du projet en 2019 que son adaptation de la célèbre poupée de plastique serait inédite et intelligente, l’outrancier marketing rose bonbon nous a depuis fait frôler l’indigestion. Depuis le premier trailer jusqu’au tout dernier press junket à Londres, le merchandising en plastique rose a fait mal à notre conscience écologique et nous a peu à peu fait redouter le pire.

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Tout ce bruit et cette overdose de rose tenteraient-ils de faire oublier un film que Mattel et la Warner n’assumeraient qu’à moitié, bien planqué sous son emballage de poudre aux yeux et son casting all-star ?

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Après une longue attente et des journalistes triés sur le volet, nous avons enfin pu découvrir le résultat tant attendu. Et Barbie est exactement le film qu’il prétend être et surtout le film qu’il devait être. Quitte à servir le grand capital, Greta Gerwig assume tout, ne se cache derrière aucun faux idéal et fait tapis, sans aucune concession – jusqu’à parfois frôler l’excès de zèle – mais avec une évidente sincérité, et c’est exactement le film que nous voulions voir.

Fidèle au ton de son marketing et de ses multiples teasers, featurettes et bandes-annonces, il n’y a aucune tromperie sur la marchandise : c’est bel et bien la Barbie originelle, celle de votre enfance, dont vous allez voir l’histoire à l’écran. Mais Greta Gerwig et son compagnon Noah Baumbach ne se sont pas contentés d’adapter intelligemment l’univers de Barbie – on n’en attendait pas moins de ce talentueux duo –, car sous le vernis coloré, ils ont transcendé l’ensemble : les Barbie, les Ken, Barbieland, Mattel et le féminisme.

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Plutôt que de raconter l’histoire de Barbie sous un jour nouveau, façon empowerment et purplewashing, ce sont les sentiments mitigés qu’elle continue d’inspirer qui viennent nourrir un scénario se jouant parfaitement de toutes les contradictions de la célèbre poupée, à la fois symbole “d’une beauté aux standards irréalistes, d’un capitalisme sexualisé et d’un consumérisme rampant” selon une adolescente du vrai monde mais également présidente, scientifique ou astronaute avant n’importe quelle autre femme.

Si voir le nom de la cinéaste new-yorkaise indie et interprète délicate de Frances Ha accolé au logo clinquant de Barbie peut surprendre, on comprend désormais pourquoi elle a voulu nous raconter son histoire : après Lady Bird et Little Women, c’est un nouveau récit de passage à l’âge adulte qui vient compléter le triptyque d’une filmographie dédiée au coming-of-age.

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Un gros bonbon attendrissant

Barbie n’est pas une simple relecture féministe de la célèbre poupée, puisque les deux coscénaristes sont partis du postulat selon lequel Barbie est féministe puisqu’elle vit dans un monde matriarcal qu’elle a construit à son image et selon ses désirs. Les Ken, eux, n’existent que pour le regard et la considération des Barbie et exercent tous le même métier obscur, “the beach”, qui consiste à être sur la plage mais sans la surveiller.

Lorsque la Barbie prototype, celle incarnée par Margot Robbie, va être prise de soudaines pensées sombres, puis va se réveiller avec des pieds plats et, comble de l’horreur, voir la cellulite envahir ses cuisses, elle va décider de se rendre dans le monde réel pour comprendre ce qui cloche avec sa jeune propriétaire et ainsi remettre Barbieland à l’endroit. Elle acceptera l’encombrant Ken dans sa quête et c’est ensemble qu’ils vont découvrir le plus faux du vrai monde : Los Angeles.

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Pour Barbie, c’est la désillusion : les petites humaines la détestent ; pire, elle est une des raisons de leur mal-être. Pour Ken, la découverte du patriarcat en vigueur chez les humains sera une révélation, et il tentera de l’instaurer à Barbieland où [he’s] just Ken and anywhere else [he’d] be a 10″, en remplaçant les “Barbie Dreamhouses” par des “Mojo Dojo Casa Houses” à la gloire de ses muscles et des équidés.

Voici pour la partie émergée de l’iceberg. Car l’histoire de ce passage à l’âge humain pensé par le double cerveau Gerwig/Baumbach – qu’on ne soupçonnait pas aussi drôle et créatif – fourmille d’inventivité, de mille bonnes idées et de tartines de blagues. En effet, le film est aussi et surtout l’occasion de s’amuser de Ken, véritable bouc émissaire des scénaristes et atout comique premier du film, superbement incarné par Ryan Gosling et son permanent demi-sourire façon Ken, également preuve du pied qu’a visiblement pris l’acteur à endosser le rôle pour lequel il était évidemment taillé.

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Les références pop fusent, et entre une vanne sur le Snyder Cut ou une référence à Hannah Horvath de Girls qui se rêvait être “la voix de sa génération” – faisant également craindre le pire quant au passage du film dans la postérité –, le film tend un miroir grossissant et hilarant à nos questionnements woke. Barbie est un film sur Barbie qui s’assume, tout est artificiel mais artistique, excessif mais authentique. Surtout, c’est une véritable comédie qui parvient à se jouer de la naïveté de la poupée blonde sans jamais être cynique, avec ce qu’il faut d’innocence et surtout de sensibilité artistique.

Et alors qu’on s’attendait à retrouver un peu de Clueless et beaucoup de Legally Blonde dans Barbie, c’est davantage dans les décors en carton-pâte et volontairement factices d’une comédie musicale qu’on a été projetés. Dans cette salle de jeux géante, chaque détail est le fruit d’une véritable réflexion de la part d’une réalisatrice qui prend Barbie au sérieux comme personne : à Barbieland brillent différents soleils pour qu’aucun de ses habitants ne soit jamais dans l’ombre, et les rares effets spéciaux du film reproduisent les techniques de 1959, année où Barbie a été inventée. Ce degré de minutie est certainement le plus attendrissant dans ce gros bonbon.

On ne peut bien sûr oublier que Mattel est le producteur du film et que l’objectif du géant du jouet sera toujours de vendre plus de poupées. Le film sert la marque plus que n’importe quelle publicité, et en laissant Greta Gerwig s’amuser de la sorte avec son image, Mattel a inventé son meilleur storytelling. Barbie n’aurait pu rêver meilleure communicante.