Mare of Easttown est un polar bien ficelé, transcendé par Kate Winslet

Publié le par Marion Olité,

© HBO

Dix ans après nous avoir éblouis dans Mildred Pierce, Kate Winslet revient sur HBO. Ça donne Mare of Easttown.

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Même si la présence d’une star de la A-list hollywoodienne ne garantit pas un chef-d’œuvre – la récente The Undoing avec Nicole Kidman et Hugh Grant en est la preuve –, quand l’une d’elles vient faire coucou dans le monde des séries, on est forcément un peu curieux·ses. Encore plus quand il s’agit de l’une des meilleures actrices de sa génération, Kate Winslet. Depuis son rôle iconique de la jeune Rose dans Titanic, elle a fait du chemin et pris du galon. Les sériephiles se souviennent aussi de sa performance incroyable dans Mildred Pierce (2011), l’une des meilleures mini-séries de l’histoire de la chaîne HBO. Dix ans plus tard, tout pile, l’équipe de choc se reforme autour d’un nouveau projet, Mare of Easttown, dont la diffusion a commencé (sur OCS chez nous) le 18 avril sur la chaîne câblée.

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Créée par Brad Ingelsby (scénariste de The Way Back et American Woman), cette nouvelle mini-série raconte en sept épisodes l’enquête complexe d’une détective, Mare Sheehan (Kate Winslet), qui vit et travaille dans une petite ville de Pennsylvanie. Un an après la disparition inexpliquée d’une jeune femme, Katie Bailey, une mère adolescente, Erin McMenamin (Cailee Spaeny), est retrouvée morte dans les bois. Très réticente, Mare va devoir faire équipe avec un nouveau venu, le détective Colin Zabel (Evan Peters), pour résoudre cette affaire. En parallèle, cette grand-mère quarantenaire tente de conserver un brin d’équilibre dans sa vie personnelle chaotique et marquée par un drame familial.

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Sur le papier, ce pitch ne fait pas nécessairement rêver. De The Killing à True Detective, en passant par Broadchurch – pour ne citer qu’eux –, on ne compte plus le nombre de polars sériels qui nous ont fait le coup de la petite communauté pleine de secrets, où tout le monde se connaît, marquée par des meurtres horribles de femmes ou d’enfants. La figure de flic antihéroïne, notamment portée par Elisabeth Moss dans Top of the Lake ou Amy Adams dans Sharp Objects, semblait aussi avoir fait son temps. Pourquoi, alors, donner sa chance à Mare of Easttown ? Parce que, malgré tout, les réponses féminines à un genre historiquement très masculin, le polar, restent moins nombreuses et parce que… Kate Winslet.

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Le Kate Winslet show

L’actrice revient sur le petit écran au sommet de sa forme dans ce rôle de femme forte, taillé sur mesure pour elle. Elle insuffle à Mare Sheehan un charisme tranquille, une détermination, une force vitale dingue. Et il en faut pour ce personnage qui souffre d’un deuil personnel, de stress post-traumatique et qui vit avec sa mère, sa fille et son petit-fils. Connue comme le loup blanc dans la ville, Mare fait face à des situations extrêmement éprouvantes avec un calme olympien.

Kate Winslet nuance cette apparence de roc indestructible en lui apportant aussi une vulnérabilité qui fait toute la différence. Elle est de tous les (gros) plans dans cette série, filmée par la caméra amoureuse de Craig Zobel (Compliance, The Leftovers). Il évite le male gaze, à savoir des scènes qui la sexualiseraient gratuitement ou qui glamouriseraient la violence faite aux femmes. Les choix de mise en scène comme l’écriture témoignent d’une fascination autant pour l’actrice que pour ce personnage d’antihéroïne dure à cuire. Celui du jeune flic incarné par le toujours excellent Evan Peters, rapidement en adoration devant Mare, représente un peu les deux hommes ainsi que nous, le public. Dans le genre duo mal assorti, on aime beaucoup ces deux-là.

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Même quand l’intrigue souhaite nous montrer que Mare a aussi ses travers et se croit parfois au-dessus des lois (qu’elle fait appliquer), on a du mal à lui en vouloir. Au-delà de la performance fantastique de Kate Winslet, Mare of Easttown ne brille pas par l’originalité de son script ou de sa réalisation (au service de son actrice), mais par son traitement d’une histoire classique et une écriture précise qui fait mouche. Brad Ingelsby prend le temps d’installer ses personnages principaux et secondaires.

Julianne Nicholson, Jean Smart et Angourie Rice incarnent respectivement la meilleure amie, la mère et la fille de Mare, lesbienne, une caractérisation bienvenue, les polars étant généralement très hétéros. Le monde autour de la détective prend vie sous nos yeux au fil de tout un épisode, le meurtre d’Erin survenant à la fin du pilote. Cette dernière n’est pas un corps sans nom, sans histoire, déshumanisé, dont on a tant l’habitude dans ce genre sériel, que ce soit à travers les séries policières ultrapopulaires comme Les Experts et compagnie ou les œuvres plus ambitieuses artistiquement comme True Detective ou Hannibal. Elle n’est pas le “cadavre n° 1” de la série.

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Si on note que Mare of Easttown est le fruit d’un travail très masculin en coulisses, le showrunner et le réalisateur se sont visiblement entendus pour traiter de la violence faite aux femmes, sujet central de la série (on déconseille le visionnage aux personnes sensibles à cette thématique), avec le plus de délicatesse et de pertinence possible. La série explore d’autres sujets, comme la maladie mentale (notamment du côté des personnages masculins, chose rarement mise en scène) et la charge mentale des mères (les personnages féminins secondaires sont excellents). Elle interroge aussi au passage la place du héros – ici, de l’héroïne – à travers le personnage de Mare qui résume sa position dans la ville lors d’un dialogue avec Colin : “Doing something great is overrated because then, people expect that from you all the time. What they don’t realize is that you are as screwed up as they are.”*

Le suspense, excellemment entretenu au fil du récit, vous fera avaler les épisodes les uns après les autres pour atteindre un pic à la cinquième heure, haletante. Mare of Easttown est un modèle d’écriture efficace, le genre de mini-série que les apprentis scénaristes devraient voir et revoir, un crayon et un carnet de notes en main, pour découvrir comment écrire un très bon polar aux standards de HBO.

*”Faire quelque chose de super, c’est surfait parce qu’après, les gens attendent ça de vous tout le temps. Ce qu’ils ne réalisent pas, c’est que vous êtes aussi dérangé qu’eux.”

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