De Rosa Bonheur à Harmony Hammond, 5 artistes lesbiennes qui ont marqué l’Histoire

Publié le par Pauline Allione,

© George Achille-Fould/Mairie de Bordeaux, musée des Beaux-Arts/Photo : L. Gauthier

Retour sur la vie de cinq artistes lesbiennes aux œuvres remarquables.

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L’Histoire de l’art, et l’Histoire plus généralement, a toujours eu tendance à retenir les noms d’hommes blancs, cisgenres et hétéro, au détriment des minorités de classe, de genre, de race. Mais il existe aussi une histoire de l’art lesbien marquée, au fil des époques, par différentes femmes.

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“Jusqu’à la fin du XIXe siècle, se déclarer lesbienne n’était pas une chose aisée. Le terme avait à l’époque une connotation sexualisante et péjorative, proche des milieux du travail du sexe”, contextualise la spécialiste Marion Cazaux. On dénombre donc assez peu d’artistes lesbiennes dont la sexualité était publique et assumée.

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Édouard-Louis Dubufe (1819-1883) et Rosa Bonheur (1822-1899), Portrait de Rosa Bonheur, 1857, huile sur toile. Dépôt au Musée du château de Versailles. (© RMN–Grand Palais (Château de Versailles)/Photo : Gérard Blot)

“Rosa Bonheur, par exemple, ne s’est jamais déclarée lesbienne. Pour les historiens de l’art plutôt conservateurs, il n’en existe pas de preuve ultime, bien que ce soit très marqué dans la matérialité. C’est plus à partir du XXe siècle que des femmes commencent à coupler leur pratique artistique à leur lesbianisme, et d’autant plus à partir des années 1960, avec les mouvements de libération gay et lesbien”, poursuit-elle.

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Jusqu’au 15 janvier 2022, le musée d’Orsay expose la peintre lesbienne Rosa Bonheur. L’occasion de revenir sur cinq artistes lesbiennes aux œuvres remarquables, de Harmony Hammond à Joan E. Biren, accompagné des commentaires de Marion Cazaux, doctorante en histoire de l’art contemporain.

Joan E. Biren (1944)

Photographe autodidacte états-unienne, Joan E. Biren co-fonde les Furies, un collectif séparatiste lesbien radical, alors âgée d’une vingtaine d’années. Influent dans le milieu lesbien, le collectif durera un peu moins de deux ans, mais c’est dans ce cadre que Joan développe sa pratique photographie.

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“Elle voulait voir plus de femmes lesbiennes, et trouvait que les lesbiennes montrées dans les médias étaient toujours les mêmes : des femmes grandes, minces, blondes, valides… Selon elle, c’était des femmes hétérosexuelles qui jouaient le lesbianisme pour le regard des hommes”, détaille Marion Cazaux.

En quête de visibilité et d’authenticité, Joan E. Biren commence par photographier des femmes lesbiennes lors d’évènements antiracistes, de Gay Pride et d’autres rassemblements, avant de tourner son objectif vers le quotidien et l’amour lesbien dans l’intimité.

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“Son livre documentaire Eye to Eye: Portraits of Lesbians est sans précédent dans la culture lesbienne. Elle montre que la vie d’une femme lesbienne peut être sereine et épanouie, loin de la violence et des discriminations de l’extérieur. Elle photographie aussi beaucoup de femmes noires lesbiennes, ce qui est assez rare pour l’époque. Aujourd’hui encore, dans le milieu lesbien, celles qui sont montrées sont majoritairement blanches”, commente Marion Cazaux.

Louise Fishman (1939 – 2021)

Dans les années 1960, au début de sa carrière, la peintre états-unienne du mouvement expressionniste abstrait travaille autour d’un motif de grille. Mais à la fin des années 1970, Louise Fishman, par ailleurs engagée dans les milieux féministes, modifie sa pratique.

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“Alors que la montée du féminisme s’accompagne d’un mouvement de réappropriation des médias considérés comme féminins et donc inférieurs comme le tricot ou la couture, Louise Fishman se met au textile. Elle revient ensuite à l’abstrait, mais l’influence du tricot va rester”, raconte Marion Cazaux.

Avec sa série ANGRY, composée de tableaux sur lesquels est écrit le mot “ANGRY” (“colère”) suivi du prénom d’une femme, Louise Fishman étale sa rage en lettres capitales sur trente toiles, suite à sa prise de conscience des oppressions subies par les femmes, et notamment les femmes lesbiennes.

“C’était là, en dessous : une rage qui couvait, prête à exploser et à détruire le monde, tout ce que j’étais et tout ce que je comprenais”, dira l’artiste. “J’ai pris la décision de faire une peinture de colère pour ma compagne de l’époque, puis pour chacune de mes amies, et enfin pour les femmes qui m’avaient inspirée, que j’aimais. Je voulais qu’elles se tiennent toutes devant le tableau avec leur nom et le mot ‘ANGRY’ pour faire l’expérience effrayante et importante de la reconnaissance du rôle central de la colère dans nos vies”, déclarait Louise Fishman à propos de son projet. En 1980, la peintre sera invitée à exposer au Great American Lesbian Art Show, aux côtés de neuf autres artistes.

Harmony Hammond (1944)

Le même mouvement de réappropriation des techniques – celui qui a poussé Fishman vers le tricot – a mené Harmony Hammond, également écrivaine et commissaire d’exposition, vers une pratique artistique textile militante. “On retrouve dans son travail les prémices de l’upcycling : elle récupère des chutes de tissu dans des bennes à ordures. Par la suite, elle fera énormément d’expositions qui réunissent des femmes, et parfois uniquement des femmes lesbiennes”, explique Marion Cazaux.

Côté vie privée, Harmony Hammond se marie avec un homme avec lequel elle a une fille, avant de rendre public son homosexualité quelques années plus tard, en 1973. Un an plus tôt, l’artiste états-unienne “cofonde la A.I.R Gallery, première galerie coopérative uniquement gérée par des femmes aux États-Unis. En 1978, elle organise le Lesbian Show, un spectacle qui met en vedette des œuvres d’artistes femmes lesbiennes”, retrace la doctorante.

Rosa Bonheur (1822 – 1899)

Artiste parmi les plus célèbres de son époque et icône LGBTQ+, la peintre animalière Rosa Bonheur devient très vite indépendante financièrement grâce à ses toiles. Ainsi, elle s’émancipe des conventions et lois de l’époque : ses cheveux sont courts, son allure reprend les codes dits masculins de l’époque, et elle porte le pantalon, dont elle doit renouveler la demande d’autorisation de port tous les six mois.

Dans l’intimité, Rosa Bonheur ne s’entoure que de femmes : de Nathalie Micas d’abord, dont elle partage la vie durant plus de cinquante ans avant le décès de cette dernière, puis d’Anna Klumpke. Toutes deux sont également peintres. “Rosa Bonheur ne s’est jamais déclarée lesbienne et certains nient toujours son lesbianisme, mais il existe une correspondance très précise, et son testament en est pour moi une véritable preuve. Elle ne parle que des femmes de sa vie, fait d’Anna Klumpke son unique légataire alors qu’elle a des frères, et toutes trois sont enterrées ensemble”, précise Marion Cazaux.

George Achille-Fould, Rosa Bonheur dans son atelier, 1893. (© Mairie de Bordeaux, musée des Beaux-Arts/Photo : L. Gauthier)

En 2017, Rosa Bonheur est exposée au musée du Prado, en Espagne : “Ses œuvres étaient visibles dans le cadre de la grande exposition ‘World Pride’, qui ne mettait en lumière que des artistes LGBTQ+. C’est une exposition qui a fait Histoire”, conclut l’experte.

Claude Cahun (1894 – 1954)

Née en 1894, la photographe, écrivaine et plasticienne française initialement nommée Lucy Schwob prend le pseudonyme de Claude Cahun et brouille ainsi son identité de genre. “Claude Cahun, qui faisait partie des cercles surréalistes, a rapidement quitté Paris pour poursuivre sa vie en Bretagne. Elle y était moins en danger du fait de son statut de femme juive et de femme lesbienne, et pouvait prendre ses distances avec les hommes surréalistes, connus pour être extrêmement misogynes”, détaille Marion Cazaux.

Crâne rasé et costume trois-pièces sur le dos, Claude Cahun commence à faire des autoportraits travestie. “Elle se travestit au masculin et au féminin. C’est comme si elle ‘stéréotypait’ les deux genres et s’amusait avec. Elle a également fait beaucoup de photos de couple avec sa compagne Suzanne Malherbe, connue sous le nom de Marcel Moore, mais leur relation n’est que suggérée.”

Ces photos, jamais rendues publiques, ne seront découvertes qu’après la mort de Claude Cahun et de Marcel Moore. Au regard de ces archives, l’artiste lesbienne devient une véritable icône queer, comme le confirme Marion Cazaux. “Beaucoup de personnes queers se font tatouer son visage, ses photos sont reprises par des artistes… Il y a une continuité de sa figure dans l’Histoire de l’art, et elle est désormais plus connue pour ses travestissements que pour ses collages surréalistes.”