Après un appel au boycott, H&M retire sa plainte contre un graffeur américain

Après un appel au boycott, H&M retire sa plainte contre un graffeur américain

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Par Justina Bakutyte

Publié le

Le groupe suédois a abandonné ses poursuites contre Revok, mais le débat autour des copyrights des graffitis et du street-art en général est loin d’être terminé.

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La semaine dernière, le géant du prêt-à-porter était une nouvelle fois en mauvaise posture, malgré ses efforts répétés pour se refaire une bonne image. En janvier, la marque avait suscité la polémique en faisant la publicité d’un sweat portant la mention “Coolest Monkey In The Jungle” (“Le singe le plus cool de la jungle”) sur un petit garçon noir.

À peine deux mois plus tard, c’est pour un problème de non-respect de copyright qu’H&M s’est retrouvé dans l’embarras. Le street artist américain Revok (dont le vrai nom est Jason Williams) a en effet repéré ses graffitis dans les pubs d’H&M pour leur campagne de streetwear “New Routine“. N’ayant jamais été contacté par l’entreprise pour donner l’autorisation d’un tel usage de ses œuvres, le graffeur a demandé une compensation.

Selon Hypebeast, les avocats de Revok ont envoyé une lettre de mise en demeure à H&M qui stipule que “l’utilisation non autorisée de l’œuvre originale de Jason Williams, et la façon dont l’œuvre est utilisée, lui porte préjudice, et va sans doute laisser penser aux consommateurs qui connaissent son art qu’il y a désormais un lien entre les deux parties“.

Une campagne qui porte préjudice au street artist

Loin de s’excuser et d’arranger les choses, le géant suédois a contre-attaqué, en déposant, dans un premier temps, sa propre plainte contre Revok. Selon H&M, le graffiti étant par nature le produit d’une attitude criminelle, son auteur n’a donc aucun droit dessus. “Le droit à la protection de l’œuvre est un privilège judiciaire fédéral qui ne s’étend pas aux œuvres créées dans l’illégalité“, pouvait-on lire dans le document rédigé par les avocats du groupe.

La marque affirmait d’ailleurs s’être adressée au département des espaces verts et aires de loisirs de la ville de New York pour demander l’autorisation de prendre des photos sur le terrain de handball William Sheridan, et pour savoir si des royalties devraient être payées à l’artiste. Ce à quoi les autorités auraient répondu que le graffiti sur le mur du terrain “n’avait pas été autorisé et qu’il est donc le fruit d’un acte de vandalisme“.

Dans le monde entier, des graffeurs ont pris le parti de Revok et s’inquiétaient de l’issue de cette affaire. En effet, si le tribunal en était venu à statuer en faveur du géant suédois, cela aurait pu créer un précédent et ainsi priver toutes les œuvres de street art de la protection du copyright. C’est ce qu’expliquait ce post Instagram d’Insa, un artiste de Londres qui a appelé au boycott de la marque :

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“Boycott d’H&M : Cette semaine, le vendeur de prêt-à-porter H&M a déposé une plainte à la cour fédérale de New York. Elle demande apparemment que le tribunal détermine que toutes les œuvres illégales, comme le street art et les graffitis, soient privées de la protection du copyright, et puissent ainsi être utilisées par n’importe quelle marque ou entreprise, sans offrir de rétribution ni demander la permission de l’artiste. Cette action en justice lancée par H&M est une attaque pure et simple des droits des artistes et nous devons la dénoncer. Des millions de fresques et d’œuvres d’art partout dans le monde pourraient ainsi se retrouver sans protection et disponibles pour un usage commercial, sans contrepartie financière ni autorisation quelle qu’elle soit.”

Après plusieurs rebondissements dignes d’une saga, H&M a fini par abandonner les poursuites contre Revok, selon Hypebeast

Rappelons que ce n’était pas la première fois qu’un grand groupe demandait à un tribunal de déclarer que toutes les œuvres d’art (illégales ou non) commanditées devraient être privées de la protection du droit d’auteur. Interrogé par Juxtapoz Magazine, Jeff Gluck, l’avocat de revok, expliquait cependant que la loi américaine, ou en l’occurrence l’absence de législation, n’empêche pas un artiste d’être propriétaire des droits de son œuvre. L’avocat citait le texte de loi américain sur les droits d’auteur, qui explique que “la protection est valable pour les œuvres originales d’un·e auteur·rice fixé sur n’importe quel support tangible d’expression…” Il illustrait son propos avec l’exemple suivant :

“En d’autres mots, si Jack Kerouac a écrit Sur la route alors qu’il traversait votre jardin, cela signifie-t-il qu’il ne peut pas jouir des droits d’auteur de son ouvrage ? L’acte potentiellement criminel n’a pas de rapport avec l’acte de création. On peut accuser [Revok] d’intrusion, mais il a toujours le copyright de son œuvre. “

La question de savoir si un graffiti illégal, par opposition à une œuvre d’art commanditée, doit être protégé par un copyright ou non, est très complexe. D’autant plus que de grands groupes comme H&M ont pris l’habitude d’usurper ainsi toutes sortes de créations originales, qu’il s’agisse de musique, de vidéos, de designs ou de textes, Zara a notamment fait l’objet de nombreuses accusations de plagiat. Il semble communément accepté que si une création est publiée sur Internet pour que le monde puisse la connaître, il est normal de la récupérer, de la modifier et de se l’approprier.

Traduit de l’anglais par Sophie Janinet

Article paru le 15 mars et mis à jour le 16 mars et le 19 mars.