Une petite histoire des hommages funéraires dans les jeux vidéo

Une petite histoire des hommages funéraires dans les jeux vidéo

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(c)@CollectedEchoes/Twitter

Catharsis numérique et mémoire vidéoludique : comment les joueurs se sont emparés des jeux pour honorer les leurs.

Nés en Argentine, les frères Koiter étaient jumeaux. Pour leurs études secondaires et supérieures, ils partent ensemble aux Pays-Bas, au milieu des années 1990, où ils s’adonnent longuement aux joies du gaming jusqu’au bout de la nuit. Starcraft, Diablo, Warcraft : ils jouent partout sur le même compte, sous le pseudo de Twincruiser.

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Le duo de sang, devenu duo de gaming, devient ensuite un duo artistique. Michel et René Koiter se mettent au dessin numérique avant de se faire débaucher par Blizzard. Alors âgés de 19 ans, ils travaillent en free-lance sur les dessins de World of Warcraft, qui s’apprête à paraître et à devenir le plus connu des MMORPG. Michel tombe malade. Une forte fièvre le frappe et son état se dégrade en quelques jours, soudainement. Jusqu’à une crise cardiaque inexplicable, tant le jeune homme semblait en bonne santé. Michel Koiter décède en mars 2004.

Samwise Didier, le directeur artistique de Blizzard Entertainment, se rapproche de René le jour même, pour lui faire une proposition : celle d’ériger un monument en l’honneur de Michel dans World of Warcraft.

Si vous vous promenez du côté de la colline du Guerrier Perdu, encore aujourd’hui, vous trouverez un monument. C’est le Shrine of the Fallen Soldier – l’autel du guerrier tombé au combat. On y voit un orc dans un cercueil, gravé des initiales MK et un Gardien des Âmes qui le protège, portant le nom de Koiter. Il s’agit, à notre connaissance, du tout premier mémorial permanent érigé dans un jeu vidéo en l’honneur d’un joueur.

Hommage à Michel Koiter. (© Blizzard Entertainment)

Les MMO, formidables créateurs de liens sociaux

Le premier, mais certainement pas le dernier. Depuis, les hommages aux joueurs en ligne par leur communauté ou par les développeurs sont devenus quelque chose de commun dans les mondes virtuels. Les univers de Minecraft, Animal Crossing, Final Fantasy XIV, WoW et beaucoup d’autres, moins connus ou plus anciens, sont devenus des lieux où se réunissent les joueurs pour saluer la mémoire d’un des leurs.

Ces dernières semaines, les joueurs du monde entier ont rendu hommage à Byron “Reckful” Bernstein, joueur et streamer de World of Warcraft connu internationalement, qui s’est donné la mort le 2 juillet. Des centaines de joueurs se sont réunis spontanément au sein de la cathédrale de Hurlevent, pour lui dire adieu.

Byron Bernstein était un streamer connu et apprécié de sa communauté, mais dans les MMO, c’est aussi, souvent, de parfaits inconnus à qui l’on rend hommage. Il suffit d’un partage sur les réseaux sociaux ou d’une vidéo sur Internet pour que les joueurs se réunissent d’eux-mêmes pour rendre hommage à l’un des leurs, malade, en fin de vie ou déjà dans l’autre monde.

En 2014, le redditor Pattmyn a simplement dit, dans un message sur le réseau social, sa peine de voir son ami Codex Vahlda, joueur de Final Fantasy XIV et barde de niveau 50, quitter ce monde à cause de la maladie peu avant ses trente ans. Quelques joueurs se sont réunis pour lui rendre hommage dans un lieu donné. Puis quelques centaines, puis d’autres venus de différents serveurs, à tel point que le jeu ne pouvait tous les contenir dans un même lieu virtuel.

Pourquoi les joueurs en ligne se sentent-ils concernés par le destin d’une personne qu’ils ne rencontreront jamais, avec qui ils ne partagent peut-être que l’amour d’un jeu vidéo ?

“Je pense que c’est lié à la question complexe de l’identité à l’âge numérique. Étant donné que des personnes passent la majorité de leur temps connecté à un jeu spécifique, ils s’identifient à leur personnage numérique et se sentent plus proches de ce qui se déroule dans ce monde que, parfois, dans leur propre rue […]”, nous explique Josh Howard, historien américain, doctorant de l’université du Tennessee et auteur de plusieurs articles sur le sujet de l’histoire orale dans les jeux vidéo.

Vivre dans le jeu après la vie

Sur World of Warcraft ou Final Fantasy, des millions de joueurs se connectent chaque jour pour partager des bouts de vie ensemble. Pour les amis et la famille des joueurs décédés, ces mémoriaux et hommages offrent un moment de chaleur humaine dans des moments difficiles, mais aussi un bout de souvenir tangible de la personne – qui reste en ligne tant que le jeu existe.

L’histoire de Ribbitribbit, un personnage joué par un garçon de six ans dans EverQuest II, est l’un des exemples les plus connus. Sa mère, en 2012, poste un message sur les forums officiels du jeu. “C’est un post déprimant, mais j’ai besoin d’aide. Mon fils de six ans a un cancer et on lui donne entre six et douze semaines à vivre”, écrit-elle, demandant à la communauté de l’aider à décorer sa maison dans le jeu, chose que le petit garçon aime le plus faire dans EverQuest. Le message est repéré, relayé et dans les jours qui suivent, près de 400 joueurs se rallient pour décorer la maison – et finissent même par lui en construire d’autres.

La famille de Ribbitribbit a par la suite posté une série de vidéos pour remercier la communauté et partager le plaisir du petit garçon dans son île. Depuis cet événement, les joueurs d’EverQuest II se réunissent le 9 mars, le “Ribbitribbit Day”, pour “célébrer non seulement Ribbitribbit, mais tous les amis que nous avons perdus au cours de nos aventures”, comme l’explique l’un des organisateurs.

On pourrait également citer l’histoire d’Ezra Chatterton, un joueur de douze ans qui partageait sa passion pour World of Warcraft avec son père. Son dernier vœu était de rencontrer les développeurs du MMORPG. Ces derniers lui ont proposé de créer sa propre quête dans WoW. Ezra imagina une petite quête où les joueurs devaient retrouver un chien perdu, Kyle. “Kyle’s Gone Missing” existe toujours dans WoW Classic et l’on peut même entendre la voix d’Ezra, enregistrée par Blizzard, dire “Aidez-moi ! Mon cher chiot, Kyle, s’est enfui !”.

Une catharsis numérique

Des histoires comme celles-ci, il en existe énormément. Impossible d’être exhaustif. Récemment, comme le raconte avec brio le site Polygon, c’est vers Animal Crossing: New Horizons, que se sont tournés les joueurs en quête de mémoire de l’un des leurs. Comme dans Minecraft, le jeu permet de construire soi-même un lieu, un espace “protégé”, dédié à la mémoire d’une personne – et cette fois, sans l’intervention des développeurs ou même de la communauté. Une catharsis vidéoludique personnelle pour mieux supporter la peine.

En 2012, un joueur connu sous le nom de Gas Bandit a construit un monument en l’honneur de sa femme, Pauline, décédée à l’âge de 41 ans. Il a créé une grande statue la représentant, une pioche à la main, face à la mer. “La mémoire digitale contribue pour les individus à faire sens entre leur vie numérique et leur vie ‘dans le monde réel’ […]. Ces histoires et mémoires ont une véritable importance pour les gens. Sans espace numérique, tout ce qu’il reste est la mémoire”, conclut Josh Howard.

Hommage à Pauline, la femme de Gas Bandit. (© Minecraft)