La société de Minority Report s’approche-t-elle à grands pas ? Peut-être, si l’on en croit les travaux d’une équipe de chercheurs de l’université de Chicago. Dans une étude publiée dans la revue Nature Human Behaviour, ces derniers expliquent avoir développé un algorithme capable de prédire une occurrence de crime urbain dans un rayon de 300 mètres (1 000 pieds).
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L’algorithme repose sur des données publiques de la criminalité enregistrées ainsi que des incidents de violence dans des zones données. “Nous révélons ici un moyen de prédire la criminalité dans les villes au niveau des incidents individuels, avec un niveau de précision bien supérieur à ce qui a été atteint dans le passé”, expliquent-ils.
Deviner où le crime se “propage”
Pour l’étude, c’est Chicago qui a été choisie. L’équipe de chercheurs a réuni les données des événements criminels enregistrés dans la ville américaine, séparées en deux catégories. D’un côté, les crimes contre les personnes (agressions, homicides) et, de l’autre, les crimes contre les biens (cambriolages, vols). Les infractions mineures (circulation routière) ou celles touchant par exemple au trafic de drogue sont difficilement exploitables, les forces de l’ordre n’intervenant pas directement.
Le nouveau modèle algorithmique trie les crimes en examinant quand et où ils se sont produits. Il en tire ensuite des modèles pour prédire quand d’autres crimes se produiront. Contrairement à des algorithmes précédents, celui-ci repose sur une méthode unique qui estime que le crime a lieu sur des “points chauds” et se “propage” ensuite à d’autres endroits, sans forcément se reproduire dans les mêmes lieux.
Les chercheurs admettent que le modèle est pour l’instant trop limité par la diversité socio-économique des villes pour être globalement appliqué. De plus, le fait que les données proviennent uniquement des éléments de surveillance d’État utilisés par les forces de l’ordre serait un frein à plus d’adaptabilité.
Une efficacité testée à 90 % mais un risque de données biaisées ?
L’algorithme a été expérimenté dans huit villes américaines dont Chicago, Los Angeles, Atlanta ou encore Philadelphie. Il aurait réussi à prédire la probabilité d’occurrence d’un crime avec une efficacité de 90 % quelle que soit la ville.
L’histoire n’est pas nouvelle. En 2012 déjà, la police de Chicago avait mis en pratique le “Crime and Victimization Risk Model“, un programme qui crée une liste de “potentiels assaillants et victimes” basée sur des données statistiques incluant le passé criminel. Le programme délivrait ensuite une note qui permettait de prioriser ou non une affaire criminelle, estimant au passage la dangerosité de “l’assaillant potentiel” – cela ne signifie pas qu’il était identifié.
En 2019, une contre-étude publiée sur Technology Review avait estimé que le programme s’appuyait sur des données biaisées. La moitié des enquêtes qui s’était appuyée sur cette technologie et ce modèle avait fini par accuser des “agresseurs potentiels” sans casier – ou ayant commis des infractions très mineures.
Conscients de ces erreurs, les chercheurs de l’université de Chicago ont cherché à diversifier les données pour nourrir l’algorithme, même si ces dernières restent issues de la police, qu’elle soit en ville ou en surveillance des frontières, par exemple.
Outil de contrôle ou critique de l’application de la loi ?
Ishanu Chattopadhyay, l’auteur principal de l’étude, précise que l’algorithme ne doit pas être utilisé “directement” par la police. Il ne s’agit pas “d’envahir” les quartiers dits sensibles par le modèle pour intervenir “à la source” de la criminalité. L’objectif est plutôt d’en faire un “outil” à mettre en relation avec des mesures de politique de sécurité pour lutter contre les causes de la criminalité.
“[L’algorithme] fonctionne extrêmement bien. Vous pouvez maintenant l’utiliser comme outil de simulation pour examiner ce qu’il se passe si la criminalité augmente dans une partie de la ville ou si l’application de la loi est renforcée dans une autre partie de la ville.”
Au passage, les chercheurs ont également analysé la rapidité d’intervention de la police lorsque des arrestations étaient enregistrées. Il semblerait que, dans les quartiers aisés, la police ait procédé à plus d’arrestations, et ce, plus rapidement. À l’inverse, dans les zones dites “pauvres”, l’application de la loi et la réactivité de la police sont moindres.
L’un des logiciels de prédiction les plus connus, PredPol, utilisé depuis 2012 par la police de Los Angeles, n’est pas exempt de critiques non plus. En 2019, la sociologue Ruha Benjamin avait accusé l’algorithme d’être “producteur de crimes”, estimant que les patrouilles de police se concentraient désormais sur les zones “prédites”, générant ainsi des prophéties autoréalisatrices. Dans leur conclusion, les chercheurs déclarent :
“Nous reconnaissons le danger de mettre de puissants outils de prédiction dans les mains d’États trop zélés au nom de la protection des civils, mais nous montrons également leur capacité sans précédent à vérifier des biais d’application de la loi, tenant les États responsables d’une manière qui était impensable dans le passé.”
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