Le scénario est souvent le même : vous incarnez une jeune héroïne qui arrive dans un nouvel endroit, vous rencontrez une kyrielle de beaux garçons… Et vous espérez bien trouver l’amour. Les “otome games“, ou “jeux pour jeunes filles” en japonais, sont des jeux textuels à choix multiples où le but est de développer une idylle.
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Des jeux dits “féminins”, souvent raillés sur Internet. Très présentes sur mobile, les joueuses sont généralement assez jeunes (moins de 30 ans) selon les studios et les jeux.
À la manière de City of Love ou Amour Sucré, ces produits destinés à un public féminin gagnent en présence économique et médiatique : les vidéos du youtubeur Squeezie jouant à Linda Brown ont engrangé chacune près de 5 millions de vues. Quant au mastodonte Ubisoft, il a racheté en 2018 le 1492 Studio, entreprise française spécialisée dans les jeux otome.
Des jeux stéréotypés ?
Faut-il réduire les otome à des jeux pour midinettes en mal de romantisme ? Leticia Andlauer, docteure en sciences de l’information et de la communication, s’est concentrée sur les otome dans le cadre de sa thèse intitulée “Jouer la romance”, où elle a travaillé sur Amour Sucré, “jeu romantique” produit par Beemoov en France.
Selon elle, ces jeux sont volontairement stéréotypés : “on donne aux joueuses des archétypes qu’elles connaissent : le sportif, le timide, le bad boy… Le but est aussi de donner envie d’y jouer”. Les otome games regroupent des personnages masculins dominants et protecteurs, des relations exclusives et hétérosexuelles. “Dès 14/15 ans, les joueuses produisent un discours critique de ces stéréotypes de genre : très peu le prennent au 1er degré”, explique Leticia Andlauer.
Dans la communauté otome, des voix s’élèvent pour contrer le regard méprisant qu’il peut exister sur ces “jeux de drague”. “Depuis plusieurs années, il y a des réflexions de la part des conceptrices sur la place des femmes dans les jeux”, nous indique la chercheuse.
Car souvent, les héroïnes de ces jeux ne se réalisent qu’à travers le regard masculin. “Il y a des questions importantes au niveau du consentement, par exemple”, indique-t-elle, tandis que certaines scénaristes tentent de faire valoir des perspectives féministes dans leur travail.
“Dès que quelque chose est féminin, c’est dévalorisé”
Sur son blog, Leticia Andlauer explore les questions de la dévalorisation des loisirs féminins et des jeux de filles comme les otome games. “Dès que quelque chose est associé à des caractéristiques féminines, comme le romantisme, c’est dévalorisé”, nous spécifie-t-elle.
Les otome restent donc des communautés de niches, qui se déploient sur divers forums spécialisés… bien loin de la communauté gaming masculine.
“Ce sont des communautés différentes qui n’ont pas beaucoup d’interactions : les joueuses sont contentes de ne pas se prendre des réflexions de mecs sur leurs jeux. Sur les forums comme celui d’’Amour Sucré‘ ça crée des espaces féminins d’entre soi intéressants”, commente Leticia Andlauer.
Peut-on espérer que les otome games trouvent leur place dans le monde des gamers ? Une question complexe selon la chercheuse : “il y a aussi une question de budget : le marché reste quand même discret, hyper intéressant en termes de profits mais de niche”. La production française n’est pas en reste, puisque Ubisoft a racheté en 2019 “Is it Love ?”, un otome made in France de 1492 Studio, qui compte plus de 20 millions de téléchargements à l’international.