Nous y voilà : Noël approchant, de nouveaux triple A (les blockbusters vidéoludiques) se mettent à sortir. Graphismes époustouflants, longue durée de vie et perpétuation ad nauseam de franchises à succès : la recette marche encore, mais jusqu’à quand ? Parmi les géants de l’industrie produisant ces titres, on retrouve bien évidemment Ubisoft, la plus grande entreprise française (et de loin) de jeux vidéo.
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Après le plus que correct Tom Clancy’s The Division 2 sorti en mars dernier, il fallait marquer cette fin d’année. Et c’est ainsi que Ghost Recon Breakpoint, onzième opus de la franchise, débarqua. En effet quoi de mieux, après un FPS tactique en ligne que de se frotter à un autre FPS tactique (parfois en ligne) ? Beaucoup de choses.
Ce qui aurait pu être une superbe immersion tactique dans la peau d’un membre des forces spéciales s’est finalement transformé en un bazar sans nom.
Combattez, équipez-vous et répétez cent fois, soldat
Parlons tout d’abord de la jouabilité. Pour rappel, la série Ghost Recon nous met à la tête d’un “Ghost”, une escouade surentraînée et suréquipée de soldats américains. L’essence même de la série repose sur les infiltrations, les éliminations discrètes et bien entendu les nombreuses phases de gunfight quand tout part à vau-l’eau.
Les premières sensations sur Ghost Recon Breakpoint sont loin de représenter ce qu’allait devenir le reste de l’aventure. Pour l’intro, les premiers déplacements sont plutôt corrects et les phases d’infiltrations assez intuitives. Puis vient rapidement le “vrai” jeu…
À partir de ce point, le titre devient extrêmement brouillon : les combats sont assez fades dans l’ensemble et même si l’infiltration n’est pas complètement ratée, les ennuis arrivent rapidement à la moindre erreur.
Dans Breakpoint, le problème c’est que ces ennuis arrivent très souvent, notamment à cause de l’intelligence artificielle (IA) des ennemis, qui fait qu’ils sont désespérants d’incohérence. Tantôt aveugles, tantôt clairvoyants, l’IA des adversaires semble avoir plusieurs années de retard technique, d’autant plus qu’il y a très peu de variations d’un ennemi à l’autre.
C’est parti pour la session de tir au pigeon nocturne (les lunettes seront vite désactivées car on ne voit rien avec). (© Ubisoft)
Le bon côté, c’est que le manque total de cohérence et les bugs de l’IA sont assez exploitables. Au final, si vous vous planquez bien et attendez, vous pourrez jouer au tir au pigeon en descendant toute une garnison, soldat par soldat. Il faudra tout de même compter sur une couverture automatique très mal optimisée et des passages FPS-TPS (de la première à la troisième personnes) abrupts.
Infiltration et RPG : la culasse entre deux chaises
Du côté de l’équipement, Ubisoft a repris le système de “niveau d’objet général” de The Division 2, lui-même inspiré de celui de Destiny. Si avoir une moyenne du niveau de son équipement (armes et vêtements) peut sembler une bonne indication pour estimer sa progression, en réalité le système ne tient pas. En cause le choix fait par les développeurs de “rendre réaliste” le jeu en récompensant le headshot (létal, quoiqu’il arrive), ce qui fait que la variété de l’arsenal n’a guère d’intérêt.
De manière générale, la sensation des équipements, peu importe le niveau, reste plutôt ennuyeuse. Peu de recul, aucune balistique… Les mitrailleuses restent des crache-balles quand les fusils de sniper sont tout simplement trop puissants (pour ne pas dire “cheatés”).
Les petits gadgets, comme les différents types de grenade et surtout le drone d’observation, vous seront utiles, principalement pour repérer vos ennemis avant l’action, mais pour un jeu axé justement sur un futur proche aux technologies soi-disant folles, cela reste assez décevant.
Les spécialisations et l’arbre de talents n’ont que très peu d’incidence sur le jeu… (© Ubisoft)
Pour le reste du titre, on retrouvera des mécaniques assez classiques de RPG, dont certaines usées jusqu’à la corde : coffres à découvrir, zones à explorer, points de déplacement rapides à débloquer… Ubisoft ne perd pas ses mauvaises habitudes. On pourra tout de même compter sur une durée de vie correcte avec de nombreuses quêtes secondaires et divers embranchements dans la quête principale, le tout sur une carte plutôt gigantesque.
Une ambiance ennuyeuse qui ne prend jamais
Le lieu et la temporalité de l’action sont toujours déterminants dans un jeu. Les développeurs de Breakpoint ont fait le choix de créer leur propre île du Pacifique, Auroa. Les vastes étendues proposées peuvent paraître impressionnantes, certes, mais vous en aurez ras le bol au bout de quelques heures de jeu. Jungles, bâtiments “high-tech” en béton grisâtre, collines, un peu de neige et quelques lacs, et c’est à peu près tout. Le manque de variété des paysages de l’île est déprimant, et les buildings adverses, lieux principaux de vos affrontements le sont tout autant.
Clairement, on va tout faire à l’hélico. (© Ubisoft)
Le tracé des quêtes ou encore les respawns peu précis ne vous aideront pas dans cette vaste map. Vous allez cavaler, rouler (avec des mécaniques de conduite datées), et surtout utiliser l’hélicoptère pour rejoindre des objectifs de quêtes, toujours situés à l’autre bout de l’île. De nos jours, revenir à un hub de quêtes semble plus vieillot que jamais.
En 2025, cette île est devenue une sorte de Silicon Valley au milieu du Pacifique. Jace Skell, une espèce d’Elon Musk anxieux, a pensé toute l’île comme un “espace 2.0” avec son lot de drones et de voitures autonomes (mais que vous ne verrez jamais rouler). À la grande surprise générale (lol), il perd le contrôle de sa technologie et l’île passe sous le contrôle de la junte des Wolfs, des Ghosts renégats menés par Cole D. Walker (incarné par Jon Bernthal).
Un Jon Bernthal anecdotique
La présence de Jon Bernthal, aka le Punisher ou encore Shane dans The Walking Dead, était le gros argument marketing d’Ubisoft pour ce titre. En réalité il s’agit plutôt d’un retour puisque le personnage de Walker apparaissait déjà dans Wildlands, dans le DLC Oracle. Au risque de décevoir les fans, l’acteur ne sauve rien à la mise en scène de Breakpoint, déjà très bancale sans lui.
Non, ce n’est pas le musée Grévin. (© Ubisoft)
Primo, l’histoire n’a rien d’original : des renégats vous obligeant à vous retourner contre celui qui était jadis votre mentor, et une technologie dont le contrôle échappe à ses créateurs. Sans spoiler, les péripéties n’ajoutent jamais le moindre piment ou suspense – sans parler de la fin qui n’est en vraiment pas une.
Deuzio, outre Jon Bernthal qui tient à peu près la route (sans néanmoins changer de ses habitudes de bad guy torturé), le reste du casting est à la ramasse complet, en VO comme en VF. Le tout est en plus desservi par de piètres animations faciales (les persos savent-ils cligner des yeux ?) et une écriture qui rend les dialogues tout bonnement passables.
L’enfer, c’est les autres
Le principe même de la franchise Ghost Recon, c’est de jouer un membre d’escouade parmi tant d’autres. Pour ce qui est de la partie “histoire”, il faudra compter sur de très bons amis, puisque rejoindre une escouade au hasard en ligne est en réalité un enfer. Le jeu ne permettant pas de donner des indications claires (ou rapides) à vos camarades, on se retrouve bien souvent dans un capharnaüm d’actions.
Cela nuit bien sûr à toute possibilité d’immersion, d’autant plus que vous pouvez, en rejoignant une équipe au hasard, vous faire spoiler des quêtes. On regrette amèrement le fait de ne pas avoir de bots avec nous lorsqu’on décide de la jouer vraiment solo.
En multi aussi la couverture automatique est votre pire ennemie. (© Ubisoft)
Enfin, les modes multijoueurs souffrent des mêmes problèmes de gameplay. Il en résulte beaucoup de camping avec les fusils de sniper et des mécaniques (comme les mines ou les drones) utilisés de manière assez accessoire puisqu’une balle dans la tête suffit toujours à vous abattre. Finalement, on appréciera juste la rapidité des serveurs qui permettent de souffler en pleine partie “histoire” – lorsque vous en aurez marre de tuer les quatre mêmes types d’ennemis.
Ultime gros carton rouge : les microtransactions, avec des “monnaies” in game. Évidemment, toutes les armes, les skins et autres accessoires sont achetables via de l’argent bien réel. De quoi gâcher les sensations de progression et de creuser les inégalités entre joueurs et joueuses.
Résultat : D+
Ghost Recon Breakpoint aurait pu être un bon jeu, si ses développeurs avaient évité de trop copier des titres comme The Division 2 (sorti il y a moins d’un an). Le manque d’ambition et d’innovation est terriblement visible. Malgré quelques bonnes idées, pendant de rares passages de l’histoire et d’encore plus rares phases de gameplay originales, le titre n’arrive pas à se différencier de la masse des blockbusters vidéoludiques prêts à s’abattre sur nos consoles et PC.
Ce qui est cool :
- Graphiquement (sur l’aspect technique), le jeu se tient.
- L’ambiance sonore assez efficace.
- Reste un bon défouloir si vous avez plusieurs potes avec qui jouer.
Ce qui est moins cool :
- Encore trop de bugs ou de maladresses de collision (et ces couvertures automatiques…).
- Les phases de combat s’enchaînent et les sensations avec les armes se ressemblent.
- Une ambiance extrêmement fade et un scénario cliché.